PEKEA (Political and Ethical Knowledge on Economic Activities) a organisé à Rennes du 12 au 14 décembre, un séminaire international, sur le thème : A la recherche d'une économie fraternelle.
Parmi les intervenants, originaires de plus de 25 pays, on comptait des chercheurs de différentes disciplines des sciences humaines et sociales, des hommes et des femmes d'action, travaillant dans des entreprises privées, des associations citoyennes, des administrations locales, régionales, nationales et internationales, des élus, ainsi que des militants d'association d'économie solidaire et de solidarité internationale …En deux jours et demi, au cours des conférences plénières, des tables rondes et d’une quinzaine d'ateliers, les intervenants et les quelques trois cents participants ont approfondi le projet de recherche lancé à Santiago du Chili en septembre 2002: construire un savoir politique et éthique sur les activités économiques.
Comment se fait-il qu'un appel à la recherche d'une économie fraternelle puisse mobiliser aujourd’hui des hommes et des femmes du monde entier pour une réflexion collective, internationale et pluri-culturelle ? Plus de sept cents personnalités ont fait connaître leur appui au projet de PEKEA. Une telle convergence ne peut s’expliquer que par la prise de conscience que, après l’échec du marxisme et l’incapacité du néo-libéralisme à tenir leurs promesses, il faut chercher d’autres réponses pour notre génération et les générations futures.
Le séminaire avait pour ambition d’aborder le premier bloc de connaissances mis en chantier par PEKEA, à savoir la construction d’un critère de valeur, autre que celui aujourd'hui dominant de la valeur de marché, pour expliquer et guider les activités économiques. L'appel à contributions pour la préparation du séminaire invitait donc à construire autour d'un concept de valeur sociétale qui permette de comprendre ce qui compte pour la société et non pas de raisonner seulement sur ce qui se compte. Pour choisir entre deux options, on ne peut s’en remettre au seul marché, mais il faut chercher celle qui est préférable au regard de la valeur sociétale. Pour définir cette valeur nous sommes guidés par l'éthique; c'est dans ce champ et non celui de l'économique qu’elle se définit. Et nous pensons que seule la délibération démocratique peut permettre de la préciser, la mesurer et l’apprécier. Cela semble indispensable pour la genèse des projets, leurs choix, leur mise en œuvre et l’évaluation des résultats.
Le concept de valeur sociétale a paru plus pertinent que celui "d’utilité sociale", terme que manipulent quelques spécialistes de l'économie solidaire mais qui se place en parallèle au concept d'utilité économique de la théorie dominante sans s'inscrire dans une conceptualisation alternative. La valeur sociétale peut donc être définie comme résultante d’un processus d’arbitrage permanent qui privilégie l’espace de la délibération collective et de la coopération guidées par des principes éthiques. Il ne s’agit donc pas seulement de la détermination d’une valeur socialement nécessaire, ou bien d’un calcul de coût d’opportunité ou de maximisation d’utilité sous contrainte, comme l’enseignent les approches économiques hétérodoxes ou orthodoxes. Avec le concept de valeur sociétale, le propos consiste bien plutôt à rechercher une adéquation la plus cohérente possible entre, d’un côté, la nature, l’ampleur et la variété des besoins à satisfaire et, de l’autre, les choix d’investissement, la mobilisation des moyens de travail associés aux activités, la mise en œuvre des opérations de production et l’identification des termes de la répartition. En ce sens, la valeur sociétale articule différents leviers dont la convergence peut contribuer à faire reculer les limites de la rareté sociétale, c’est-à-dire les limites imposées aux capacités individuelles et collectives dans une société concrète.
Mais dans quel type de société peut-on faire fonctionner des activités économiques qui permettent la croissance de la valeur sociétale, c’est à dire de la vraie "richesse"? C'est là que la fraternité doit apparaître: rien de tout cela n'est possible si la nation, plus exactement le groupe humain ne fonctionne pas comme une communauté fraternelle. La société doit être communauté, et il faut cesser d'opposer Gesellschaft et Gemeinschaft, comme s'il s'agissait d'étapes du développement sociétal ou des aspects antagoniques des sociétés contemporaines. Le rôle central de la fraternité apparaît si l’on veut bien revisiter la devise (depuis 1848) de la République française : Liberté - Egalité – Fraternité. Le capitalisme libéral, qui prétend représenter la Liberté, crée une société qui produit des inégalités et n'en finit pas de promettre qu'il va les réduire, une société où peinent à s'exprimer des solidarités qui permettent de supporter difficilement des situations d'exclusion . Le socialisme d'Etat prétendait incarner l'Egalité, mais au détriment de la Liberté et c'est la pression pour la liberté qui a conduit à son échec et à la chute du mur de Berlin. Reste la Fraternité. Pour les deux types précédents de société la fraternité est au mieux seconde. Nous devrions songer plutôt à mettre en premier la Fraternité. Cela obligerait à concevoir la Liberté de manière positive et non pas seulement négative - ma liberté n'est pas seulement libération d'une contrainte extérieure mais devrait être employée pour étendre la liberté des autres, non pas la restreindre. Ceci permettrait aussi à l'Egalité d'être vécue autrement, comme une équité et une dignité partagée entre membres d'une même humanité planétaire.
N'est ce pas trop français ou tout au moins bien utopique? Bonne question alors que la prochaine réunion de PEKEA doit avoir lieu en Asie, à Bangkok, au début de novembre 2004. Alors notons que dans le préambule de la constitution indienne est proclamé "le droit de tous les citoyens à la JUSTICE sociale, économique et politique; à la LIBERTÉ de parole, de religion et de culte; l'ÉGALITÉ des conditions et des chances; et la FRATERNITÉ assurant la dignité de l'individu et l'unité et l'intégrité de la nation". S'il faut nommer un guide pour construire un autre savoir, politique et éthique sur les activités économiques, qui permette de concevoir un monde de communautés ouvertes et solidaires du niveau local au niveau planétaire, ce n'est pas à la révolution française qu'il faut songer, mais à l'Asie : c'est à Gandhi, bien sûr, qu'il nous faut faire référence.