Biographies Short Biography Semblanzas

 

Serge Latouche est né en 1940 à Vannes (56). Il est diplomé d'études supérieures en science politique, docteur en philosophie et Professeur de Sciences Economiques. Il est actuellement Professeur émérite de l'Université de Paris-Sud (XI-Sceaux / Orsay). Par ailleurs, il est membre du comité scientifique de la revue "Ecologia politica" (Rome) depuis l996, membre du Comité de rédaction de la Revue "L'homme et la société" depuis 1982, membre du Comité de rédaction de la Revue du MAUSS, depuis sa fondation à laquelle il a participé activement, en 1982, Président de la Ligne d'horizon (Association des amis de François Partant) et Président d'honneur du forum ambientaliste de la gauche italienne. Il a publié de nombreux livres et articles dont un grand nombre ont été traduits en plusieurs langues. Signalons : 2003 - Justice sans limites. Le défi de l'éthique dans une économie mondialisée, Fayard. 2001 - La déraison de la raison économique. Du délire d'efficacité au principe de précaution. Albin Michel économie. 2000 - La planète uniforme, ed. Climats. 1998 - L'autre Afrique. Entre don et marché. Albin Michel, Paris. l997 - Les dangers du marché planétaire, Presses de sciences po. 1995 La mégamachine. Raison techno-scientifique, raison économique et mythe du progrès, Editions La découverte. 1991 La Planète des Naufragés - Essai sur l'Après-Développement, Editions La Découverte. 1989 L'Occidentalisation du Monde . Essai sur la signification, la portée et les limites de l'uniformisation planétaire, La Découverte, col. Agalma. 1986 - Faut-il refuser le développement ? PUF, col, Economie en liberté, Paris.

 

Résumé/ Summary/ Resumen

 

Inventer le "doux commerce"

Reflexion sur les voies de la justice dans l'échange

Par Serge Latouche,

Professeur émérite d'Economie de l'Université Paris XI.

"Il n'y aurait jamais de justice réelle et absolue, mais seulement l'expression criante d'un désir sans cesse réitéré et sans cesse différé, en tout cas constamment contradictoire, d'être juste"

Paul Audi

(Supériorité de l'éthique. De Shopenhauer à Wittgenstein. PUF, perspectives critiques, Paris 1999.)

Montesquieu, en une page souvent citée, a célébré le "doux commerce". "Le commerce, écrit-il, guérit les préjugés destructeurs ; et c'est presque une règle générale que partout où il y a des moeurs douces, il y a du commerce ; et partout où il y a du commerce il y a des moeurs douces"( L'Esprit des lois, tome II p. 585 Pleiade, livre XX.). Cette formule a fait les délices des libéraux. Or on oublie de citer la suite. Montesquieu ajoute, en effet, : "Mais si l'esprit du commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays où l'on n'est affecté que de l'esprit de commerce on trafique de toutes les actions humaines et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l'humanité demande, s'y font ou s'y donnent pour de l'argent". Le commerce mondial actuel, en tout cas, est tout sauf juste et doux. Il est le le principal véhicule de l'injustice du monde et de la banalité économique du mal.

Certes, la justice n'est pas de ce monde et moins encore que toute autre la justice économique. Toutefois, aucune société n'a pu fonctionner sans avoir une certaine forme de justice pour horizon et si des Etats ont pu vivre et se maintenir dans la corruption et le mépris de fait de toute norme morale, les périodes "heureuses" de l'aventure humaine sont celles où les abus les plus criards ont pu être normalement limités et sanctionnés. Prétendre faire justice dans une économie mondialisée est une gageure, mais c'est aussi une exigence de la situation. Il importe d'ébaucher les traits de ce que pourrait signifier une société juste dans le contexte d'un monde ravagé par l'économie, tout à la fois unifié par le Marché et divisé par des intérêts multiples et incompatibles entre eux que ce même marché engendre, ou du moins exacerbe. C'est dans la direction d'un échange égal ou équitable dans le commerce humain que se dessine l'utopie d'une justice actuelle. Toutefois, au delà de beauté de la formule reste à définir dans cette affaire le contenu possible d'une égalité dans l'échange et les rôles possibles de marchés et d'une monnaie fonctionnant dans un monde au delà de l'économie. "L'esprit de commerce, poursuit Montesquieu, produit dans les hommes certain sentiment de justice exacte, (Justesse, SL), opposé d'un côté au brigandage, et de l'autre à ces vertus morales qui font qu'on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité et qu'on peut les négliger pour ceux des autres". Quand on fait cela, on introduit un peu de l'esprit du don dans l'échange marchand, ce qui s'appelle justement un geste "par dessus le marché". Cette générosité s'est perdue dans les nations très commerçantes, explique Montesquieu (Hénaff Marcel, Le prix de la vérité. Le don, l'argent, la philosophie. Seuil, Paris 2002. p. 472.). Ainsi, même marchand, l'échange peut posséder les vertus du "doux commerce", à condition qu'il participe de la logique du don, alors que le Marché anonyme et abstrait est source inépuisable de frustrations, d'envie et de rivalités qui dégénèrent en conflits tribaux et purifications ethniques quand ce n'est pas en guerres mondiales.