Solidarité subie, solidarité choisie ? Etre humain pourquoi faire ? Etre humain pourquoi pas...
Détour par la société des Indiens Kogis (Colombie) pour
interroger nos pratiques et nos représentations
Eric JULIEN
Eléments de Synopsis
En décembre 1995, les grèves du service public paralysent les
grandes villes, et particulièrement Paris et sa banlieue. Pendant près
d'un mois et demi, il devient très difficile de se déplacer. Le
froid est vif, les magasins de vélos sont dévalisés. Dans
les rues, au bout de quelques jours, l'ambiance se transforme. Peu à
peu, on se parle, on s'interpelle, on invite des "inconnus" à
partager un véhicule, le co-voiturage se développe spontanément.
Face à cette "crise", cette contrainte issue d'un mouvement
de grève, les Parisiens et les habitants d'Ile-de-France s'organisent,
tentent de trouver des réponses originales à une situation inhabituelle
qui les pénalise dans leur vie quotidienne. Une certaine forme de "solidarité"
spontanée se développe et se met en place. L'impensable devient
possible. Les voitures se remplissent, le dialogue s'instaure, on se dépanne
entre voisins. Le tissu social se resserre, la solidarité reprend sens.
Puis, vient la fin de la grève, la fin des contraintes. Aussi vite qu'elles
étaient apparues, ces "nouvelles solidarités" disparaissent,
se dissolvent dans le quotidien. Quand la contrainte "directe" s'amenuise,
par un mouvement presque automatique, les comportements "solidaires",
les finalités plus collectives et humanistes régressent, pour
ne pas dire qu'elles disparaissent. L'autre redevient un étranger que
l'on ignore, voire que l'on rejette, lorsque qu'il remet trop en cause des représentations
et des intérêts court terme.
Et l'histoire nous offre de multiples exemples, de ces "possibles"
solidaires que l'homme sait développer, nourrir et mettre en
œuvre, lorsque s'imposent à lui des contraintes trop fortes, trop
lourdes - Face aux catastrophes naturelles, face aux difficultés, aux
souffrances aux guerres ; face aux révolutions de toutes natures, industrielle,
politiques, d'une manière générale, face aux ruptures,
et l'expérience dont elles sont porteuses qui font basculer le quotidien
dans les difficultés et la souffrance, on s'organise, on se rassemble,
on donne à l'autre, au collectif, donc à soi. L'homme
se dépasse, trouve l'énergie, les possibles qui donnent sens et
incarnent des valeurs fortes.
-"Je me souviens qu'en Espagne, pendant la guerre civile, j'ai eu la
révélation de «l'autre homme» (...) Sans doute la
proximité de la mort et la fraternité des hommes en arme, à
n'importe quelle époque et dans n'importe quel pays, produisent toujours
une atmosphère favorable à l'extraordinaire, à tout ce
qui s'élève au-dessus de la condition humaine et brise le cercle
de la solitude qui entoure chacun d'entre nous..."-
Octavio PAZ, "Le Labyrinthe de la Solitude"
Au delà de ce constat, pour tenter d'en comprendre les enjeux, les mécanismes,
il s'agit de se poser une double question :
1. Qu'est-ce qui motive, qu'est-ce qui génère un comportement
plus ouvert, solidaire ? Qu'est-ce qui amène un être humain
à privilégier, mettre en avant le don, l'empathie, l'ouverture
aux autres, avant la défense stricte de ses intérêts et
de ses représentations ? Bref, qu'est-ce qui amène un homme à
"être" humain ?
2. Si l'on en revient à des préoccupations plus
immédiates, plus directement liées au monde de l'entreprise,
un comportement "solidaire", plus ouvert sur l'autre et le
monde, est-il compatible avec les intérêts, et
les logiques financières, managériales, organisationnelles, etc.
d'une entreprise ?
Pour tenter de répondre à ces questions, je vous propose de réaliser
un "détour" culturel, d'aller rencontrer une autre culture,
celle des Indiens Kogis (12.000 personnes, derniers héritiers
des grandes sociétés précolombiennes du continent sud-américain)
qui vivent en Colombie. L'idée est d'engager un dialogue entre notre
modernité, les questions auxquelles elle est confrontée, et une
société traditionnelle qui a toujours privilégié
le "comment mieux vivre ensemble", de façon
plus solidaire, plus équilibrée. Il ne s'agit pas d'effectuer
une comparaison, elle n'aurait pas lieu d'être, mais juste d'engager un
dialogue entre deux regards sur le monde. Un dialogue avec le monde kogi, dont
l'idée de "solidarité" fonde les valeurs, les pratiques,
et les comportements.
Alors peut-être pourrons-nous identifier, donner forme à de nouvelles
manières d'être et d'entreprendre ensemble, demain…