Quand les citoyens s’en mêlent

Josette Combes

« L’avenir m’intéresse parce que c’est là que j’ai l’intention de passer mes prochaines années ». Woody Allen

Une mise en perspective historique liminaire

A la fin des années 70 et de façon intensive dans les années 80 se manifeste une multiplicité de formules d’organisations sociales à la fois territorialisées et largement essaimées sous des formes dérivées simultanément dans le monde. Ce sont les unités pertinentes d’une évolution culturelle phénoménale (au sens étymologique qui se manifeste). Un double mouvement social produit des artéfacts inattendus.
D’une part la mouvance libertaire et hédoniste initie des modalités du vivre ensemble qui déroge à la norme. S’inventent des configurations inédites ( amoureuses, conjugales, amicales, associatives) dans une recherche affichée du jouir de vivre. Les séparations instituées entre les différentes sphères sont vécues comme aliénantes, Ainsi la prépondérance du sujet économique est considérée comme une entrave à l’épanouissement de l’être. (1)
Ce n’est pas l’effort qui est récusé mais l’inanité de sa finalité au service d’une machine économique fondée sur la production de marchandises dont on commence à contester l’utilité et à répertorier la nocivité (2). La prise de conscience du gaspillage des ressources et des énergies humaines s’amorce tandis que la poussée féministe impose des remaniements sociaux dont les incidences touchent toutes les sphères de la vie publique et privée. Il s’agit de répartir différemment les tâches, les rôles, les statuts, les rémunérations, les distinctions. Les structures hiérarchisées verticales sont combattues et remplacées par des systèmes horizontaux et égalitaires. La démocratisation des voyages et l’effet des migrations provoque l’émergence d’un sentiment d’appartenance à une espèce dont les études anthropologiques, sociologiques, psychologiques font émerger les fondamentaux,( Lévi-Strauss, Mauss, Bourdieu). Les travaux deviennent universels parce qu’ils sont de plus en plus produits et coproduits dans une visée universelle, qu’il s’agisse des idées comme des objets de consommation.
Dans le même temps la stabilité de la base - le plus grand nombre des contributeurs de l’économie industrielle – se fendille, se fissure puis s’écroule. L’illusion de l’ascension sociale qui portait le dynamisme industriel et ses ouvriers, en dépit des conditions de travail épuisantes s’évapore. L’extraordinaire amélioration de la condition ouvrière en quelques décennies était perçue comme le résultat de luttes pour l’accès à la dignité et la justice. Le collège et le lycée accessibles à tous les enfants, le temps de repos reconnu comme un droit, l’accès à la santé et à la retraite, justifiaient la peine et la fatigue des ouvriers accédant enfin au statut suprême de possédants (aide à l’accession à la propriété).
Ce qu’on a appelé « la crise » survient, interrompant la progression. On a pu lire ou entendre des milliers d’interprétations. On citera les jeux de pouvoir des puissances pétrolières créant des fronts d’affrontement entre entités économiques et culturelles, la mise en coupe financière des activités humaines organisant le principe du profit comme jauge universelle de la félicité humaine (les cours de la Bourse), la quantité des transactions marchandes comme thermomètre de la richesse des sociétés et sans doute la réaction conservatrice de protection des privilèges.
Fusions, absorptions, infiltrations, la guerre économique s’entame. Les dégâts sont colossaux, mesurables eux, par les taux de chômage et le retour des mendiants et des voleurs (les classes dangereuses) qui provoque la mise en branle d’un arsenal de mesures de contention (le revenu minimum d’insertion, les mesures de discrimination positive, les services de réanimation des asphyxiés sociaux). Ces mesures ont éventuellement permis de tirer d’affaire une partie des éjectés de la machine économique mais ont surtout souligné du stigma une catégorie de population porteuse de la lèpre de l’inadaptation à la « nouvelle » donne économique. Les gains de productivité qui promettaient l’allégement de la pénibilité du travail humain ont été reconvertis en ristournes pour rentiers et les excédents de main d’œuvre se sont vu dégagés dans un no man’s land où leurs maigres économies ont fondu, les laissant sur le sable.
Des espaces de vie par pans entiers se paupérisent, se gettoïsent. La seconde génération née de familles immigrées jusqu’alors invisibles parce que privées d’espace d’expression et cultivant la discrétion pour éviter les représailles, prend la parole (RAP) et rétablit une économie de survie dite informelle dans laquelle intervient le trafic mafieux.
La planète maillée des divers réseaux (de transport de matières, d’énergie, d’informations) dont la puissance sert avant tout la finance et la spéculation boursière se trouve soumise à divers bouleversements (agglutinations démographiques autour des mégapoles, pollution de ressources essentielles comme l’air, l’eau, la terre, exodes liés à la famine, aux guerres, aux régimes dictatoriaux, catastrophes alimentaires et épidémiologiques).
La mise en scène des interdépendances qui régissent la vie de l’espèce redonne un sens à la notion de solidarité, adossé au constat scientifique et pragmatique des réalités incontournables de la condition humaine, en lien avec un nouveau terme, les droits de l’homme doublés de la recherche du bonheur.

Une autre vision des systèmes sociaux de régulation.
Les deux mouvements se sont interpénétrés par le biais de mobilisations communes. Ils ont donné naissance à des formes d’organisation sociales économiques et politiques qui ont opté pour un certain nombre de principes qu’on peut généraliser de la façon suivante
     - La lucrativité n’est pas pas l’objectif central de l’activité humaine. La richesse ne s’évalue pas seulement en termes monétaires, une partie de la richesse est immatérielle.
     - L’activité doit avoir une finalité collective au service de besoins identifiés comme tels par leurs bénéficiaires. Elle s’organise en privilégiant le circuit court dans la recherche d’une économie de proximité en opposition au système de translations coûteuses nécessitant une débauche d’énergie désormais insupportable par l’écosystème, une concentration de populations en zones surpeuplées et le transfert des pouvoirs politiques aux détenteurs du pouvoir économique.
     - L’activité est gérée par ses producteurs en lien avec ses consommateurs. Dans certains cas les deux positions alternent (ex les crèches parentales, les régies de quartier, les coopératives de bio agriculture …)
     - La démocratie se pratique en reconnaissant à chaque contributeur le poids de son opinion (un homme une voix) et non de sa puissance financière.
     - La ressource humaine est valorisée par la reconnaissance de droits fondamentaux : conditions de travail et de rétribution décentes permettant l’autonomie des personnes pour leurs besoins fondamentaux ( se nourrir, s’abriter, échanger avec les autres, accès à la formation, usage du débat, recherche d’un équilibre gagnant / gagnant).

En fait il est naturel de trouver des initiatives dans à peu près tous les champs de la vie « ordinaire ». L’enfance (les crèches parentales), l’habitat (les régies de quartier), la nourriture (les biocoop), les énergies renouvelables, le commerce équitable, l’environnement, cette liste n’est pas exhaustive.
L’ensemble de cette économie est basée sur une analyse et un refus du gaspillage des ressources de la planète, tant pour le matériau qu’on y prélève et qu’on y rejette que pour le gâchis humain qui s’y pratique.
Le principe de relocalisation n’est pas celui d’un repli frileux sur une autarcie asociale, il est une recherche de rationalité dans la gestion des ressources pour réduire la gabegie de biens dont certains sont frelatés, d’autres dangereux, beaucoup programmés pour une obsolescence synonyme d’obligation de renouvellement. Nous sommes « riches » d’objets « pauvres » dont la production forcenée épuise le potentiel terrestre et menace la survie de l’espèce. C’est à un ralentissement de cette frénésie que les entrepreneurs de l’économie solidaire s’attachent. Pour cela il leur faut atteindre, une masse critique suffisante pour que les démonstrations commencent à s’incarner dans l’imaginaire collectif comme un contre - modèle plausible d’économie.
On a pu voir ainsi progresser lentement la prise de conscience de notre empreinte écologique et par là même se développer une organisation entrepreneuriale nouvelle sur des projets d’écoconstruction, ou de préservation des patrimoines naturels ou encore de recyclage de matériaux.
Le sauvetage des humains victimes de dégraissage économique mobilise au-delà des institutions initialement destinées à cette tâche, lesquelles ne peuvent plus opérer sans le recours aux opérateurs de l’économie solidaire ( mouvement de chômeurs, entreprises d’insertion, groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification etc, sans parler des économies d’échanges démonétarisés ( SELS, RERS) (3).


Les enjeux philosophiques

C’est évidemment une rectification des valeurs qui s’opère par ces différents positionnements dont la question pivot concerne la nature et la mesure de la valeur « de ce qui vaut la peine ».
Le progrès rapporté à ses artéfacts écologiques est reconsidéré dans son présupposé : avancée ou régression, qu’est-ce que la «nouveauté» utile, qu’est-ce que le gadget, qu’est-ce que la beauté du monde, la rareté, l’abondance. Peut-on se suffire de seulement survivre pour se sentir exister. La gratuité est-elle un fait ou un mythe ?(4)
Cette évolution est relayée par une partie des économistes, des universitaires et des acteurs de l’entreprise, comme une option rationnelle d’organisation de l’espèce. Cette cristallisation fragile est cependant formidablement résistante grâce à l’éventail de ses formes.
Ce qu’on rassemble désormais sous l’intitulé « mouvement social » (dont on ne peut dresser un inventaire exhaustif sauf à créer des chapelles et des excommunications), oppose au scénario de la compétition et de l’élimination par rejet ou dévoration, celui de la coopération pour une intelligence collective face aux enjeux de survie qui se présentent à l’espèce. Il ne s’agit pas d’opposer l’individualisme au collectivisme, la liberté à l’inféodation mais de prendre acte de la nécessaire redéfinition d’une opposition artificielle pour retravailler l’équilibre d’une dialectique féconde.

Quelle gouvernance

Le changement de cap suppose un remaniement des modalités de gouvernance qui s’applique en premier lieu à la sphère politique : ce qui agence le vivre ensemble par la loi commune.(5)
Les acteurs de l’économie solidaire ont mené de front l’expérimentation et la légitimation de ses résultats. La recherche de structuration / adaptation est parlante : les essais sont passés de tentatives isolées, informelles, invisibles au stade d’économies organisées, regroupées, lisibles. L’inclusion de ces démarches dans le paysage économique et politique plaide pour leur pertinence même si leur pouvoir subversif s’y est sans doute érodé au profit d’une vulgarisation de leurs procédures et de leurs propositions.
Opportunisme ou signe d’affaiblissement, l’économie dominante s’empare des principes qu’elle refaçonne à la mode publicitaire pour masquer la nudité de ses appétits voraces. Elle admet ainsi que la sauvegarde du patrimoine essentiel est à l’ordre du jour. On nomme ici ou là des préposés au développement durable, ce qui représente somme toute un aveu de mauvaise conscience. Il reste au citoyen à peser sur ces symptômes et à ne pas se satisfaire des placebos qui lui sont proposés.
Cela signifie naturellement que les formes de gouvernance par délégation soient articulées à celles qui de fait produisent et encouragent les initiatives de résistance à la ploutocratie actuelle.
C’est à ce stade que se situe la nécessaire mobilisation des forces de formation – déformation – reformation. On entre là dans le domaine complexe de l’objectivation des données en lien avec une subjectivité idéologique. Il s’agit bien de parti - pris enracinés dans une vision prospective à partir de l’ici et maintenant. Que peut être l’avenir de l’espèce. Ne peut –elle échapper à la régulation par le massacre ou a-t-elle le pouvoir d’inventer un modus vivendi qui fasse l’économie de la destruction, sachant le caractère contagieux de la violence et que les humains ne sont plus en mesure (s’ils l’ont jamais été) de circonscrire des aires de sauvegarde. Le changement climatique n’épargne aucune niche à plus ou moins long terme, les méthodes terroristes abolissent les frontières souveraines, la pénurie d’eau risque de devenir une catastrophe universelle.
Les propositions de réorientation du sens de l’économie tentent d’inventer un nouveau pragmatisme pour conjurer les scénarios mortifères qui se profilent.
Proposer des alternatives économiques visant l’autonomie alimentaire c’est résorber au moins partiellement l’errance migratoire et l’agglutination des populations en zones dangereuses pour elles-mêmes et menaçantes pour les autres.
Installer les circuits courts entre l’offre et la demande, c’est amoindrir le gaspillage d’énergie et consolider la traçabilité des produits.
Vider les effets de la production de leur dimension spéculative financière, c’est réduire la part d’énergie spoliée pour la convertir en rétribution ajustée à l’effort consacré.
Basculer la validité des actes sociaux et économiques vers une appropriation par chacun du sens et de la portée de sa participation, c’est redonner de la virulence à la notion d’entreprise comme espace de réalisation existentielle.
Les acteurs de l’économie solidaire sont à la recherche d’un équilibre entre les dimensions multiples de la personne que la seule définition productiviste ne permet pas de circonscrire, contenir, assermenter.
Sauf à installer un préambule de nos constitutions légalisant l’esclavage comme la résultante « naturelle » de la cohabitation sur la même planète d’un mélange d’élus semi-dieux rapetassés et siliconés à grands frais pour occuper l’espace – temps le plus large et de sous-hommes destinés à servir ces merveilleux au prix de leur propre vie.
Ce qui contrarie désormais cette dérive ancestrale, ce ne sont plus seulement les luttes politiques mais les sciences telles que la génétique qui n’a pu isoler à ce jour le gène de l’esclave ou celui du génie. A contrario l’approche biogénétique ne fait que confirmer l’influence de l’environnement dans la fabrication de la structure moléculaire : les gènes véhiculent de l’information, la douleur et la souffrance produisent des altérations, le plaisir agit en stimulateur de la vitalité.

Un développement paradoxal

Le capitalisme scie la branche, le tronc même de sa prétendue cohérence. Les mécanismes
du marché produisent des surplus là où on ne peut plus les absorber et créent des pénuries là où on manque de tout. Son outil idéologique, sa propagande consiste à fabriquer du désir par le biais d’informations tronquées (on ne sait rien du produit), sous des aspects falsifiés ( mise en scène hyperbolique), en exposant les états d’âme les moins reluisants. Citons la concupiscence (désirer le bien d’autrui), la forfanterie (se vanter d’exploits imaginaires), l’avarice (refuser le partage), le mépris d’autrui (ridiculiser celui qui ne peut prétendre s’offrir le gadget), le mensonge (c’est pour votre bien) sans oublier le sexisme (apparent ou en filigrane).
Ce discours, en flattant les bassesses humaines tend à conforter l’individualisme comme seule parade à la multitude avide et envieuse. Il peut éventuellement doper l’acteur économique s’il parvient à se ressaisir de quelques parcelles de la profusion à laquelle il concourre, même si la progression est lente il peut accepter l’effort. La machine économique en refoulant les accédants à la consommation a sectionné le meilleur rouage de son théâtre.

Les expériences initiatiques.

En augmentant massivement le nombre des exclus de la société de consommation, le capitalisme place en abîme le moteur même de son apparente réussite. L’abondance n’est plus synonyme de félicité.
En ne vivant que de l’essentiel, on peut s’apercevoir qu’une partie des biens produits ne présentent aucune utilité . En revanche en soulignant au trait rouge les zones de précarité on replace en perspective les fondamentaux de la condition humaine.
Par ailleurs, la concentration des zones de production et de consommation asphyxie les territoires : pollutions, engorgement des zones de circulation, surcharge et chute de qualité des services, consommation énergétique surdimensionnée et à contrario désertification humaine, absence ou insuffisance des services notamment de soins et de transport. Les pays « développés » se coltinent la question du recyclage des déchets, se couvrant de décharges polluantes. Les maladies liées au surpoids, aux excès de toutes sortes (quantités et qualités des aliments, des médicaments) tuent par infarctus, diabète, cirrhose et autres joyeusetés. Les pays « sous-développés », meurent de famine, d’absence de médicaments, d’épuisement physique dans des travaux peu productifs.
L’ensemble de ces anomalies produit une société « désenchantée »que les sirènes de la consommation ne détourne plus d’une sombre mélancolie (6), une sorte de gueule de bois des lendemains de ripaille.
Ironiquement la métaphore repoussoir de la bougie a été disqualifiée par les pannes d’électricité (Los Angeles, Italie et dans une moindre mesure les ruptures liées aux tempêtes) qui ont provoqué l’épuisement des chandelles et une nécrose momentanée du tissu économique. On commence à voir poindre les limites de la mégalomanie humaine et le nombre de chaînes associées à la liberté du marché.

Le concept de relocalisation tente de circonscrire les territoires pertinents de l’organisation économique. Deux questions centrales mobilisent ceux qui cherchent à endiguer un processus dont les artéfacts dangereux s’accumulent : comment mesurer l’utilité et quelles garanties de viabilité appliquer à l’économie pour qu’elle soit au service de tous. La révision des fondamentaux de l’économie de marché s’impose dont celui qui consiste à évaluer la richesse selon le PIB. Rappelons que l’URSS se trouvait au temps de sa splendeur en tête des puissances industrielles quand le niveau de vie de la majorité de ses contributeurs se situait au plus bas et que dans la plupart des pays de faibles PIB s’échafaudent des fortunes colossales.

Si l’humanité doit se déprendre de sa manie de prédation pour entrer dans une aire et une ère de répartition des ressources de la planète ce n’est plus pour obéir à un principe messianique mais simplement pour éviter un suicide collectif. Ce qui était méprisé comme des prophéties pessimistes en se confirmant, commence à convaincre une masse de plus en plus vaste d’humains. Les signes de cette amorce sont lisibles dans la passion de communication qui s’est emparée de la gente humaine autour de ces questions. Les conciliabules se déplacent sur les cinq continents et les modes de coordination ne s’instituent plus que sur un registre interculturel. Dans les forums qui foisonnent on peut décrypter l’émergence d’un pragmatisme mis à l’épreuve de l’expérimentation. Ce qui rassemble ces cohabitations hasardeuses c’est « comment agir autrement, que garder, que bannir des mœurs et habitudes actuelles , comment renouveler nos modes de relation pour atteindre un degré de civilisation soutenable. Pour cela les expériences se frottent les unes aux autres, se font la courte échelle, s’accordent réciprocité de crédit. Ces accordailles conjuguent et démultiplient les apports de chaque entité d’acteurs. La stratégie est évidemment de constituer un maillage de substitution.
Il s’agit moins de défendre des droits acquis que de les refondre dans de nouvelles chartes, de nouveaux traités en quelque sorte. Inventer un corporatisme universel qui serait non une défense de branche mais de tronc commun.
Les humains ont tous en commun, sans exception, besoin d’air, d’eau, de nourriture, d’abri, d’échanges amoureux, amicaux, intellectuels, pratiques, matériels et immatériels. Certains de ces besoins élémentaires sont désormais scientifiquement étalonnés et mobilisent l’essentiel de l’activité humaine. Tous les conflits humains sont articulés sur ces aspects de même que toutes les alliances.
Le mouvement social dans son ensemble joue la carte de l’alliance. Il y a naturellement des phénomènes de leadership, mais l’hétérogénéité des initiatives et l’ampleur de la tâche découragent les tentatives d’hégémonie. Les figures phare du jeu médiatique sont suffisamment nombreuses et travaillés par la poussée des corps autonomes qu’elles représentent pour préserver à ce jour la diversité des approches.
Peut-on envisager des régulations qui relèvent d’une autorité négociée et non de diktats imposés. De quelle façon peut-on organiser les systèmes de délégation sans qu’ils génèrent du despotisme. Comment fabriquer du générique sans éliminer les spécificités.
Dans les divers regroupements qui se reconnaissent comme alternatifs à l’option économique libérale, la double contrainte pèse sur les jeux d’alliance : préserver une éthique / accéder à l’efficacité, faire savoir pour transmettre / faire savoir pour combattre. Les tentations de radicalité par la violence sont nombreuses, les remords liés à un sentiment d’apathie le sont également. Le sentiment d’urgence s’accélérant, par symétrie le besoin d’engagement s’aiguise.
Il est évident que cette « agitation sociale » mobilise les défenses de ceux qu’elle menace. Face à la montée de la résistance populaire, la réaction élitiste organise sa riposte, en utilisant l’économie comme une arme de destruction civile (l’embargo n’est pas autre chose, en est la démonstration ultime). Les initiatives de terrain tentent de désarmer ce pouvoir et de réarmer les individus en leur procurant des pistes et des techniques non pour retourner l’arme mais la désarmorcer et redonner à l’économie sa fonction d’outil au service de la survie de l’espèce humaine.
Ce que l’économie solidaire porte en germe c’est la désaffection du productivisme au profit d’une gestion éclairée, précautionneuse et juste des ressources. Ce qui revient à opter pour des philosophies et des formes d’organisation que le capitalisme a momentanément disgraciées mais dont le fonds millénaire resurgit. Elles sont portées par des individus qui reconnaissent l’interdépendance des humains et la nécessaire part d’humilité que l’homme doit préserver en lui pour s’accorder aux autres et perdurer sur la planète, dont il n’est qu’un habitant provisoire éventuellement menacé d’extinction.

(1) Le fameux « Nous ne voulons pas perdre notre vie à la gagner ». Voir notamment Raoul Vaneigem. «Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations », Paris, Gallimard, 1974

(2) Les premiers mouvements écologistes naissent dans les années 70.


(3) Initiative de Claire Hébert Suffrin expérimentée dans les années 70 dans une classe d’Evry, puis au sein d’associations. La France compte 600 RERS (réseaux d'échanges réciproques et de savoir). Les RES ont par la suite essaimé en dehors des frontières de l'hexagone: en Suisse, en Espagne et en Belgique, depuis 1987. Aujourd'hui, une quinzaine de réseaux existent à Bruxelles et en Wallonie tandis que la mise en route est plus lente dans la partie néerlandophone du pays. "Le cercle des savoirs reconnus". Claire et Marc Héber-Suffrin. "Le cercle des savoirs reconnus" éditions Desclée de Brouwer.

(4) Donner , c’est reconnaître pour être reconnu. Marcel HENAFF, 2002, Le prix de la vérité, le don, l’argent,la philosophie. Paris Seuil, La couleur des idées.


(5) Le domaine publique, monde commun, nous rassemble mais aussi nous empêche, pour ainsi dire, de tomber les uns sur les autres. Hannah Arendt. 1983. Condition de l’homme moderne. Pocket / Calmann Levy, coll Agora. Paris p 92.

(6) Voir la courbe exponentielle des suicides dans les pays de l’OCDE