Les nouvelles clôtures : nouvelles technologies de l'information et de la communication
ou la révolution rampante des droits de propriété
Yann Moulier Boutang*
L'impact des nouvelles technologies de l'information et de la communication
n'est pas réductible à un déterminisme technique. L'appropriation des NTIC
par des dizaines de millions de personnes (1986-1995) modifie profondément
les paramètres constitutifs du paradigme de l'économie politique et du
capitalisme historique. Le papier se proposera de montrer comment se produit ce basculement dans ce que nous nommons le troisième capitalisme ou
capitalisme cognitif. Mais cette mutation remet au premier plan la
redéfinition des droits de propriété qui deviennent le coeur d'une bataille
des nouvelles clôtures
1. Trois remarques préliminaires : l'innovation technologique, les droits de propriété et le passage à une troisième capitalisme.
2. Le caractère central de la question des droits de propriété dans la mutation actuelle du capitalisme et de son passage vers le capitalisme cognitif
3. Le mouvement des clôtures à l'aube du capitalisme industriel (enclosures).
4. La nouvelle grande transformation du capitalisme et les nouvelles clôtures
5. Le problème majeur des nouvelles clôtures : l'exécution des droits de propriété rendue de plus en plus difficile par la diffusion massive des NTIC.
Première remarque : technologie, droits de propriété et clôture/ouverture
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* Professeur de sciences économiques (UBS de Vannes et Institut d'Etudes
Politiques de Paris)
Directeur du Laboratoire d'économie et de gestion des entreprises et des Territoires en Europe (LEGETE) de l'Université de Bretagne Sud à Vannes
Yann.Moulier-Boutang@univ-ubs.fr
Membre de l'équipe ISYS du MATISSE (URM 85-95 CNRS-Université Paris 1)
Laboratoire MATISSE
(Modélisations Appliquées aux Trajectoires Institutionnelles
et aux Stratégies Socio-Economiques)
Unité ISYS (Innovation-Systèmes-Stratégie)
URM Université de Paris I -CNRS
106-112 Bd de l'Hôpital
75647 Paris Cedex 13
France
tel : 0033(0)1 55434175 ou 4178
Yannh.Moulier-Boutang@univ-paris1.fr
Adresse personnelle
25, Villa Deshayes
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portable : 0033(0)6 86 86 75 91
1. Trois remarques préliminaires : l'innovation technologique, les droits de propriété et le passage à une troisième capitalisme.
Première remarque : technologie, droits de propriété et clôture/ouverture
La technologie conçue comme l'étude de l'état des sciences et des techniques est envisageable d'un double point de vue : a) soit comme l'analyse des contraintes structurelles et statiques qui s'imposent à court terme aux agents économiques, en particulier aux entreprises ; b) soit comme le repérage des conditions permissives et dynamiques de l'innovation qui permet précisément de s'affranchir des contraintes précédentes.
Si, au premier sens, les dispositifs juridiques et institutionnels sont immobilisés et tenus hors champs par l'économiste au nom du raisonnement ceteris paribus (toutes choses égales par ailleurs), il n'en va pas de même dès que l'on aborde la question de la croissance et de la dynamique. Dès lors l'interaction de la technologie et des droits de propriété (au sens de la prise en compte d'une variabilité du dispositif juridique). Là encore, deux points de vue sont possibles : c) soit l'on met en évidence en quoi la norme juridique dans sa dimension obligatoire contraint les comportements de agents (optimisateurs, rationnellement limités au sens de Simon ou altruistes) ; d) soit l'on cherche les facteurs qui aboutissent à l'invention de la règle nouvelle, de l'innovation, bref d'un pouvoir constituant établissant des normes nouvelles.
Mais dans les quatre optiques, la direction peut-être prise soit dans le sens de la disclosure soit dans celui de la clôture. Cela correspond pour la première, la clôture à des solutions de reproduction, de maintien de la stabilité d'un équilibre postulé (la disclosure ou la résistance à la clôture privative étant considérée comme un facteur de déséquilibre, de choc exogène), la disclosure (ouverture) à des solutions de stabilisation ou d'expansion à un niveau plus élevé.
Deuxième remarque : droits de propriété lato sensu
Le point de vue juridique définit comme droits de propriété 1°) toutes les formes de délimitation des usages (usus), de la jouissance du fruit et de l'aliénabilité d'actifs ; 2°) Les conditions d'exécution des règles, normes déterminant l'usus, le fructus et l'abusus de toute espèce de bien (bien étant entendu au sens le plus large de ce qui fait l'objet d'une valorisation symbolique, sociale, économique. Ces deux aspects sont liés au sens où l'exécution du droit (enforcement) rétroagit largement sur la forme même de la règle car une norme ou un interdit systématiquement ignorés tombent en désuétude et perdent leur caractère d'obligation . L'usage des droits de propriété n'est pas séparable de la forme particulière qu'ils revêtent et de l'intensité de l'obligation contenu dans leur énonciation (coutume, règles, loi, pacte, convention, contrat).
Si nous nous tournons maintenant vers la définition économique des droits de propriété, nous rencontrons la définition néo-classique de Demsetz1 : " un droit de propriété est la faculté d'exercer un choix sur un bien "2 Il faut entendre le terme de " faculté " comme pouvoir légitime d'exercer au moins indirectement la contrainte d'exécution. Certes, cette définition paraît bien recouvrir l'usufruit et le caractère cessible ou transférable, mais outre son caractère fonctionnaliste, elle présente le défaut de restreindre la question des droits de propriété à la théorie du choix sur un bien dont le caractère économique est déjà constitué par le droit.
On préfèrera donc une définition plus large : les droits de propriété sont l'ensemble des normes et conventions sociales qui permettent la transformation de ce qui vaut pour une société, un groupe, un individu en bien économique susceptible d'une évaluation monétaire (prix) ou non monétaire (don) ou d'un échange marchand (bien privé) ou non marchand (bien public). On évite l'écueil de restreindre l'analyse des conditions juridiques aux conditions de possibilité virtuelles du choix optimisateur d'un agent individuel.
Troisième remarque : crise dans l'accumulation et régime de droits de propriété
La question des droits de propriété et des arrangements juridico-institutionnels qui délimitent la nature et l'extension des droits de propriété et qui permettent d'exécuter ces normes n'apparaît pas toujours au premier plan. Elle ne fait pas toujours l'objet d'un débat ou d'un calcul économique. Mais on peut considérer l'émergence ou la ré-émergence de cette question traduite dans le langage de l'économie politique en termes de prise en compte devenue nécessaire des coûts de transactions et d'information (L. De Alessi, R. Coase, O. Williamson) comme le symptôme soit : a) d'une difficulté croissante de l'accumulation du capital avec un système de droits de propriété donné (situation d'aggiornamento souhaitée alors par les fractions les plus dynamiques du capitalisme pour moderniser les rapports sociaux au nom de l'efficacité économique voire sociale3) ; soit, plus subtilement, b) de tentative de contenir les formes nouvelles de résistance sociale, de les contourner ou de les convertir en nouveaux instruments de régulation. Dans la première lecture, le pouvoir d'initiative appartient toujours aux classes dominantes (les sphères patronales, ou de l'Etat) ou aux élites intellectuelles et culturelles. Dans la seconde hypothèse, la faculté d'inventer de nouvelles règles, de nouveaux dispositifs à vocation normative est un processus " de bas vers le haut " et le rapport entre l'économique, le politique et le juridique est plus interactif, moins fonctionnaliste (au sens d'une intériorisation linéaire et inéluctable de la contrainte " économique " objective .
Durant les périodes de régulation installée et consensuelle, la question des rapports juridiques de propriété ne se pose pas. Hormis des perfectionnements à la marge des normes, des aménagements techniques continus tenant compte des transformations lentes des mœurs, des savoirs et des techniques, les règles constitutives de l'activité économique ne sont pas mises en question (par exemple la limitation de la propriété privée pour la poursuite d'objectifs économiques d'intérêt général, ou à l'opposé, le caractère légitime du marché pour allouer des biens et des services de caractère universel). Elles paraissent naturelles tant qu'aucun groupe social ou aucune force politique ne les contestent et ne mettent en avant la nécessité de leur révision constitutionnelle.
2. Le caractère central de la question des droits de propriété dans la mutation actuelle du capitalisme et de son passage vers le capitalisme cognitif.
À partir de ces trois remarques, nous voudrions développer l'argumentation suivante :
Le retour en force d'une problématique juridique au sein d'un capitalisme mondial qui semblait avoir éliminé à partir de 1989 les alternatives à l'économie de marché néo-libérale ne se comprend que si l'on fait l'hypothèse d'un " basculement du monde " que l'on peut caractériser en première approximation comme le passage sur la longue durée à un troisième type de capitalisme. Cette transition à un capitalisme que nous nommons capitalisme cognitif (on reviendra plus tard sur ses caractéristiques) remet en cause l'édifice théorique classique (et à fortiori néoclassique) sur lequel s'était édifié l'économie politique à la fin du XVIII° siècle à partir d'Adam Smith, née elle avec le capitalisme indistriel.
Le crépuscule du capitalisme industriel ou post-fordiste, initié dès les années soixante-dix, a commencé par une crise de gouvernabilité des grandes usines donc de la division taylorienne du travail (crise des OS), et de façon concomitante par une socialisation de la main d'œuvre (scolarisation de masse, croissance des mécanismes de redistribution dans la formation du revenu des ménages).
La mondialisation ou globalisation de l'économie a représenté dès 1975 la tentative de surmonter les difficultés de fonctionnement du modèle fordiste : cette contre-offensive néo-libérale et conservatrice sur le plan social a présenté des aspects évidents de containement (contention) de la croissance des salaires (lutte contre l'inflation, plan d'ajustement structurel pour les pays en développement, réduction des déficits publics, désinsdustrialisation du centre de l'économie mondiale, délocalisation et élévation considérable du niveau de chômage permanent ou chronique), de déstabilisation des forces organisées sur le plan syndical (flexibilisation, précarisation, segmentation croissante des collectifs de travail selon le genre, la couleur de la peau, les statuts). Son expression achevée, au cours des années 1990, a été la financiarisation croissante de l'activité économique, assortie de mini-crises financières locales ou régionales dont l'impact macro-économique aboutit à une instabilité croissante en termes de déséquilibre nord/sud, sud/sud. Toutefois un aspect moins exploré des transformations de l'économie mondiale est que la forme financière s'est imposée comme norme envahissante de gouvernance aux Etats comme aux firmes transnationales parce qu'elle seule permettait de globaliser et de prendre en compte le poids croissant des externalités tant négatives ( introduction d'une perspectives de développement écologiquement soutenable) que positives ( nouveaux gisements de productivité et de valeur)
L'économie dite post-fordiste s'est caractérisée par une remise en cause de la réglementation financière (désabritement des marchés protégés, diminution des marges de libertés des politiques monétaires, puis budgétaires par rapport aux normes imposés par les marchés des capitaux, les changes flexibles d'une part, par des institutions comme le FMI, la Banquer Mondiale et l'organisation mondiale du commerce d'autre part, ainsi que de la propriété juridique héritée de l'État Nation (secteur public, entreprise " nationale " service public). En ce sens, cette contre-révolution est allée au " fond des choses " en redessinant les frontières macroéconomiques au profit d'une mesoéconomie des agents trans-étatiques sans toputefois jamais trouver un régime d'équilibre comparable aux trente glorieuses ( 1945-1975).
Force est toutefois de constater que le nouvel ordre mondial annoncé par les Etats-Unis, en 1991, après la chute du mur de Berlin et la guerre du Golfe, s'est avéré fragile et instable : les crises financières locales sont devenues endémiques, les nouveaux pays industrialisés (les cinq dragons asiatiques, le Mexique, le Brésil, l'Afrique du Sud) connaissent à nouveaux des difficultés d'endettement extérieur et une exaspération des inégalités internes. La décennie de croissance américaine n'a pas tiré l'Europe et le Japon de l'ornière du chômage structurel si bien que le taux de chômage mondial des pays développés demeure très élevé (entre 15 % et 6 %) pour ne pas parler des pays en voie de développement. Les indicateurs d'inégalités montrent que si les écarts au sein des couches moyennes ne se sont pas sensiblement aggravés, le fossé entre les très riches et les très pauvres s'est lui creusé tout comme celui qui sépare le Sud le moins développé du Nord le plus riche.
Il semble bien que le post-fordisme et son corrélat sur le plan politique (celui d'une transformation de la souveraineté " nationale " ou souveraineté impériale)4, n'ait pas trouvé une " régulation " stable, consensuelle analogue à ce qu'avait constitué l'Etat national du développement beveridgien s'appuyant sure l'entreprise fordienne et sur une politique keynesienne. Autrement dit il y a un problème de " régime d'accumulation "
L'une des raisons de cette instabilité est à chercher selon nous dans un mécanisme complexe : celui de l'irruption croissante de la société des NTIC et celui corrélatif, d'une crise des droits de propriété. C'est ce double aspect que nous allons examiner plus en détail maintenant. Il s'agit d'articuler le problème de l'accumulation capitaliste avec le bloc socio-technique qu'on rassemble sous le vocable trompeur de nouvelles technologies de l'information et de la communication comme si la vague d'innovation que nous connaissons actuellement était semblable à celles qui se sont succédées de 1750 à 1950.
Dans notre esprit, la société des NTIC s'oppose à une approche techniciste et purement objectiviste de l'économie des nouvelles technologies issues de la numérisation de l'information, du traitement informatique et du développement des ordinateurs personnels. La problématique traditionnelle en économie de l'innovation repose sur la différenciation opérée depuis J.A. Schumpeter entre l'invention (qui peut être aussi bien théorique et fondamentale que technique et appliquée) et sa mise en œuvre à l'échelle industrielle par un entrepreneur puis par les grandes entreprises qui aboutit à son incorporation dans le système productif et la consommation de masse, diffusion qui seule garantit l'innovation comme phénomène socio-économique (le premier étant plutôt de l'ordre de l'histoire des sciences). Il existe pour les économistes standard un critère qui permet de séparer l'invention comme fait purement technique de l'innovation comme progrès technique appliqué massivement à la production ; c'est celle du seuil de diffusion dans la société et de cycle de maturité du produit (Vernon). Ce critère n'est pas absurde, mais il est insuffisant (et son insuffisance est au cœur des déconvenues de l'économie du développement qui a longtemps réduit le rattrapage à une simple dotation en capital matériel par habitant) car ce sont l'appropriation et l'usage des techniques qui commandent les mutations des dispositifs juridiques et institutionnels et la diffusion auto-entretenue de la culture technique. L'accent mise par les théories du capital humain et par les modèles de croissance endogène reflète jusque dans l'économie académique cette prise de conscience.
Dans le cas de la mutation actuelle que désigne l'appellation de " révolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication ", ce qui exige d'abandonner la seule distinction schumpetérienne5 c'est que dans une économie reposant sur le savoir (Knowledge based economy) ou dans ce que nous nommons le capitalisme " cognitif ", la science, la connaissance cessent d'être exogènes par rapport à la production tandis que la distinction invention/innovation perd une grande partie de sa pertinence. L'activité subjective d'appropriation des connaissances et de production d'innovation continuelle à partir de l'organon de l'ordinateur et des connaissances numérisées et mémorisées devient le cœur de l'activité humaine de transformation, c'est-à-dire l'activité stratégique, centrale, les autres activités en particulier le travail matériel devenant subalternes.
3. Le mouvement des clôtures à l'aube du capitalisme industriel (enclosures).
La première révolution industrielle (1750-1830) (cycle du coton, énergie hydraulique froide)6, qui marque l'abandon du premier capitalisme mercantiliste et esclavagiste, s'est traduite par une pénétration de la norme marchande (déjà largement représentée dans l'économie-monde à l'échelle des échanges internationaux) à l'intérieur des États-Nations : l'autoconsommation recule, la production artisanale est partiellement substituée par celle de la grande industrie ; maisla transformation majeure se situe dans la prolétarisation et le début de l'exode rural. Pour que les fabriques trouvent la main d'œuvre qui leur avait fait défaut du temps des " pauvres " et dont elle avait dû pallier l'absence en bâtissant l'économie de plantation dans le Sud par la Traite et l'esclavage du travail dépendant, il leur fallut prolétariser une population paysanne ou mobile. La force brutale n'avait pas suffit et le grignotage des droits coutumiers (terres communes, droits de vaine pâture), s'opéra certes sous le contrôle de la soldatesque (l'exemple de l'Irlande est édifiant) mais surtout grâce à l'application du progrès technique à l'agriculture (fourrage artificiel supprimant la jachère, clôture des pâturages et des cultures) qui augmentait les rendements. La marchandisation progressive de tous les biens et services, l'imposition en numéraire et non plus en nature, avait augmenté la contrainte pour le prolétaires de se louer à " l'homme aux écus ". Un nouveau système de culture (au sens qu'Ester Boserup donne à ce terme) nécessitant l'application de plus de travail et de capital mais nourrissant davantage la population, légitima les Parliamentiary enclosures. Ce mouvement de clôture administré abrogea par des lois les droits coutumiers et les remplaça par un code de la propriété moderne donnant au landlord l'usufruit exclusif mais aussi la possibilité d'aliéner la terre. Mais parallèlement, le droit de propriété du maître sur le travailleur dépendant fut limité au seul usage et au fruit et exclut l'abusus en édifiant l'édifice complexe du salariat libre. On peut dire que la " sourde pression des rapports économiques " (Marx) finit par former un système de marché du travail, de marché des biens et de marché des capitaux qui reléguait au second plan les coups de force de l'accumulation primitive, c'est-à-dire la longue suite de spoliations, de génocides partiels, de massacres divers et de dressage autoritaire au " respect de la propriété ". Malgré les révoltes, la prolétarisation s'imposa sous la révolution industrielle d'autant mieux que les paysans n'avaient pas consolidé leurs droits depuis la " libération médiévale " et que la production industrielle fournissait des biens de consommation de masse de médiocre qualité (textile) mais paraissait sauver de la famine ou de la misère absolue. Une autre caractéristique fondamentale sur laquelle nous avons insisté ailleurs, c'est que le mouvement des clôtures " par en haut " ( Parliamentary enclosures c'est-à-dire imposée par la loi) avait été précédé par plusieurs siècle de clôtures à convenance ou contractuelle (piecemeal enclosures)7.Ces clôtures se produisirent avec l'aval des communautés villageoises et survinrent à la suite d'un mouvement de désertion des villages, alors que les clôtures par voie législative aboutirent le plus souvent à une émigration forcée ou non désirée (push).
La séquence décrite par Marx peut donc se résumer dans les dix étapes suivantes :
1) Régime équilibré pré-capitaliste
2) Fragilisation externe ou interne ; pénétration du marché, de la monnaie, parcellisation des propriétés
3) Contrainte extérieure (choc) déterminant : Guerre, conquête,
4) Changement des rapports de propriété : Parliamentary enclosures
(Clôtures administrées)
5) Déstabilisation économique définitive des petits propriétaires
6) Perte des terres et des instruments de travail et pertes du bénéfice des droits communautaires des pauvres
7) Perte de domicile
8) Prolétarisation achevée : vente de la force de travail
9) Salariat sur place
10) Migration rurale/urbaine vers les villes des grandes fabriques
Dans cette séquence, les droits de propriété subissent un aggiornamento fonctionnel à l'accumulation capitaliste : tous les droits ou coutumes qui procuraient des espaces d'autonomie collective au paysan propriétaire, voire au pauvre sont éliminés pour faire place à la tabula rasa libérale qui rend produit l'individu isolé, vendeur du seul bien qui lui reste : sa force de travail dont seul l'usage est aliénable.
Le mouvement de regroupement des propriétés foncières et d'application du progrès technique " libèrent " la force de travail excédentaire qui devient l'armée industrielle de réserve dont la grande fabrique a besoin et qui éloigne le cauchemar de la pénurie de main d'œuvre et les hausses de salaires au dessus du salaire " naturel " de reproduction de la force de travail.
Le progrès technique (qui comprend le machinisme, l'organisation de la division du travail et sa diffusion à l'échelle d'entités macroéconomiques) rend possible la diminution brutale de la population agricole sans baisse du produit agricole, il accélère la diffusion de normes techniques mais aussi de normes sociales (l'horloge qui mesure le temps de travail dépendant salarié). Mieux, il permet de nourrir, d'habiller, de loger de grandes concentrations d'ouvriers. La connaissance et la science qui se développent se présentent du côté du détenteur de facto puis de jure des moyens de production comme un complément social des objets techniques que sont les machines8.
Les transformations du droit de propriété, sauf pour la notable exception de la force de travail libre (et beaucoup plus tard pour le développement de la propriété publique économique) vont dans le sens d'une unification des trois aspects de la propriété, l'usage, le fruit et l'aliénabilité totale (encore notée abusus), sous la forme " pleine et entière " dont la transférabilité sans limite est le critère. C'est sur cette base que se construit la propriété privée, ou propriété bourgeoise. Mais après une cinquantaine d'année de libéralisme théorique puis pratique, les Etats-Nation reconstruisirent rapidement des limites à la transférabilité (pour des raisons de sécurité intérieure ou de préservation de l'indépendance nationale ou d'un espace colonial) tandis que le traitement du risque économique conduisit à l'invention de statuts juridiques qui limitaient la responsabilité civile (fin de la prison pour dette, société à responsabilité limitée, société anonyme, par actions etc...). Après la crise de la fin du XIX° siècle et la vague de création de monopoles, le rôle économique de l'État Nation acquit une légitimité qui a perduré y compris à la contre-révolution néolibérale.
4. La nouvelle grande transformation du capitalisme et les nouvelles clôtures
La nouvelle "Grande Transformation" marque le passage à un nouveau régime de capitalisme que nous appelons le "capitalisme cognitif"9
La transformation qui touche l'économie capitaliste et la production de la valeur est globale et marque la sortie du capitalisme industriel né avec la grande fabrique manchestérienne qui reposait essentiellement sur le travail matériel ouvrier de transformation de ressources matérielles. Pas plus que le capitalisme industriel n'avait rompu avec la substance du capitalisme marchand esclavagiste, le capitalisme " cognitif " qui s'annonce et qui produit et domestique le vivant à une échelle jamais vue, n'évacue le monde de la production industrielle matérielle : il le ré-agence, le réorganise, en modifie les centres nerveux
L'économie se caractérise aujourd'hui par une virtualisation croissante et par la montée irrésistible du rôle de l'information10. L'immatériel a dépassé vers 1995, l'économie matérielle dans le montant de la formation de capital11. Le caractère dominant dorénavant des services n'est que la manifestation du déplacement du centre de la valorisation vers les processus cognitifs.
Le rôle désormais fondamental de la saisie de l'information, de son traitement, de son stockage sous forme numérisée dans la production de connaissance et dans la production tout court à partir de petits ordinateurs décentralisés (1986) de plus en plus puissants reliés entre eux par l'Internet (1995) et la Toile. Il s'agit de la révolution des NTIC, nouvelles technologies de l'information et de la communication.12 Cette révolution a été comparée à la révolution des chemins de fer13; elle est en fait plus profonde. L'innovation commencée par les NTIC qui couple la démocratisation très rapide des ordinateurs personnels (PC) à l'utilisation de moyens de transmission de l'information révolutionnaire dans leur débit dans leur coût ainsi qu'à leur mise en réseau mondiale est loin d'être épuisée.14 L'utilisation des supports biologiques plutôt qu'électroniques repoussera dans la décennie qui vient les limites des mémoires et leur coût tandis que l'utilisation de nouveaux conducteurs comme l'électricité permettra à l'information d'emprunter des réseaux déjà existants et donc d'abaisser leur coût davantage encore. Les innovations en matière de biotechnologie, de science de la vie (inventaire du génome) sont relancées par les NTIC et les relancent à leur tour. C'est un phénomène qu'on n'a pas observé durant la première révolution industrielle, mais plutôt au moment de la Renaissance et de la révolution copernicienne. En ce sens on doit parler d'un nouveau paradigme ou modèle socio-technique. 15
Les perspectives de croissance des économies développées, mais également des pays émergents sont étroitement liées à une réorganisation de la production. La production de marchandises matérielles au moyen d'autres marchandises matérielles, perd son caractère central et cède la place à la production de connaissance au moyen de connaissance.
Dans la croissance, l'innovation continuelle revêt un rôle fondamental et endogène. Cette innovation prend sa source privilégiée dans les processus cognitifs interactifs de coopération sociale, de codification à travers la numérisation des savoirs jusque-là tacites (Nonaka)16 et leur captation aussi bien par l'entreprise, que par le marché et la puissance publique. Le progrès technique n'est plus une caractéristique exogène, il prend la forme d'un "système socio-technique" (C. Freeman et C. Perez) caractérisé par les N.T.I.C. (nouvelles technologies de l'information et de la communication). 17 La connaissance et la science qui avait été incorporées dans la valorisation du capital industriel mais en demeurant distinctes deviennent le lieu hégémonique, la leading part du système18. C'est ce qui est nommé par le terme de Knowledge based economy, (économie reposant sur la connaissance). 19
Le modèle smithien de division du travail est invalidé sur trois plans. Sur celui de la spécialisation de l'activité : la réduction du travail complexe au travail simple ainsi que la division de l'exécution manuelle d'avec la conception intellectuelle conçue pour diminuer le temps d'apprentissage ne sont plus les facteurs déterminants de l'augmentation de la productivité. La taille du marché perd également de sa pertinence dans un univers de production de petite série et une "économie de variété" (R. Boyer) soumise à une forte incertitude de la demande. L'innovation enfin, lorsqu'il s'agit de la coordination de processus complexes, est freinée par la division taylorienne et smithienne du travail ; les gains de productivité ne résultent plus d'économies d'échelle pour pallier la loi des rendements marginaux décroissants. 20 Ces derniers ne constituent plus la loi d'airain de l'économie.
Dans les formes de division du travail post-smithienne, que certaines recherches récentes nomment une nouvelle division cognitive du travail, on observe le rôle dominant des économies d'apprentissage dans les phénomènes de différenciation des marchés et de concurrence inter-capitalistique.21 Les valeurs d'autonomie, d'intelligence (définie comme la faculté de donner une réponse satisfaisante à une modification de l'environnement ou du contexte non prévue ou programmée) deviennent les sources majeures de la valeur puisque l'incertitude, bien plus que le risque calculable, s'impose comme partie intégrante de la complexité.
Dans l'économie politique du deuxième capitalisme ou capitalisme industriel, l'usine et la production représentaient le coeur du système auquel étaient assujettis les autres moments (la circulation, la consommation, la redistribution et la reproduction).
Cet élargissement de la notion de production de valeur était déjà présent dans l'apparition des fonctions financières au coeur du fordisme qui seules sont capables de traiter l'incertitude et le risque, mais avec l'avènement de l'information numérisée et la capacité de traitement des NTIC, le bouleversement des séquences productives touche aussi bien l'amont que l'aval du moment de la production. La consommation devient une coproduction dans la production en flux tendus puisqu'elle permet de ne produire que ce que l'on a déjà vendu. Le marché précède la production qui doit s'y intégrer de plus en plus étroitement22. La consommation par le public et les usagers produit l'information nécessaire à la régulation en temps réels de la production matérielle. Ceux que la vieille économie politique nommait des outputs deviennent des inputs déterminants pour la réduction du risque de non-réalisation de la marchandise et la multiplication des boucles de feed backs généralise les phénomènes de réversibilité (production flexible), d'indivisibilités mais également d'instabilité des combinaisons .
Le déclin des concepts de travail directement productif s'accompagne de la perte de pertinence des concepts de performance individuelle au sein de l'entreprise de l'entreprise, de la performance factorielle et d'une, globalisation de la performance étendue au territoire productif23, à l'ensemble de l'économie d'un pays donné24. La détermination des éléments d'efficace dans la performance d'une économie aussi bien à l'échelle microéconomique que macroéconomique, semble d'autant plus difficile que l'homogénéité des inputs n'est plus donnée. Il ne s'agit pas seulement de la question traditionnelle de l'irréductibilité du travail complexe au travail simple, mais de la pluralité irréductible de l'ensemble des inputs et de la dissolution des lignes de partages traditionnelles entre capital et travail. Ainsi R. Nelson et P. Romer sont-ils conduits à généraliser la distinction ternaire entre le hardware (matériel-machine), le software (logiciel) et le wetware25 (activité du cerveau) au lieu de la distinction binaire capital/travail. Cette distinction doit d'ailleurs être complétée par une quatrième dimension qui s'est imposée partout, celle des réseaux comme modèle productif.
Si l'on devait résumer le trait distinctif par excellence du troisième capitalisme, on devrait mettre au premier plan la montée irrésistible dans les modèles de coopération sociale et productive d'une quatrième composante, le netware ou réseau 26qui s'impose comme un tertium quid entre le marché et la hiérarchie. La société de réseau est rendue possible par l'informatique (la numérisation, la programmation, par la diffusion de l'ordinateur personnel et par la constitution de l'Internet). Elle bouleverse les conditions de l'échange de connaissance, de la production de l'innovation et partant les possibilités même de captation de valeur par les firmes.
La quadruple combinaison du hardware, du software, du wetware et du netware, inputs absolument nécessaires pour la production de biens-connaissance implique un rôle central du travail comme activité vivante non consommée et non réduite à du travail mort dans le machinisme27 ainsi que l'importance des savoirs implicites ou contextuels irréductibles à du machinisme, à du capital humain standardisé et à la science objective comme expression du niveau de développement des forces productives de la société. Si la marchandise matérielle est remplacée de plus en plus par un bien information dont le référant est le langage et la production de signe28, le paradigme énergétique et entropique qui avait servi à qualifier la force de travail dans le capitalisme industriel comme un quantum d'énergie consommé et à reconstituer est de moins en moins apte à qualifier la nature de l'activité humaine mobilisée ainsi que celle de la coopération indispensable29. Si c'est l'activité vivante du cerveau et l'interconnexion des cerveaux qui s'avère la source majeure de valorisation, la séparation canonique de la force de travail d'avec la personne du travail et ses affects devient une fiction de moins en moins opérationnelle30, tout comme la séparation de la formation de l'apprentissage d'avec la consommation productive de l'activité31. En ce sens, le déclin des formes canoniques d'emploi salarié, ne relèvent pas des ajustements conjoncturels aux fluctuations de la croissance ou d'une simple adaptation structurelle à la production flexible, mais à une crise constitutionnelle du salariat.
D'un point de vue macro-économique, l'âge du capitalisme cognitif se caractérise par une crise des instruments de comptabilité nationale et de la comptabilité privée, par une remise en cause de ce que la doctrine économique avait érigé en lois immuables. La généralisation des phénomènes d'indivisibilité, d'interaction ne permet plus à l'analyse économique de rejeter les externalités dans les marges du système capitaliste. Les externalités positives comme négatives constituent les conditions générales de fonctionnement de la croissance, de l'investissement, de la distribution des revenus32. L'exaspération de la "norme marchande" se produit dans une situation paradoxale : les prix de transferts sont incommensurables avec les prix de marché33 et les coûts de transactions sont infinis. La multiplicité et la complexité des interactions de chaque opération ayant des implications économiques génère des ondes d'effets positifs ou négatifs qui défient les systèmes de mesure marchands (que ces derniers reposent sur un temps de travail de plus en plus incohérent, sur l'utilité marginale, sur la rareté ou le besoin éprouvé par un individu isolé). L'évaluation des externalités devient à la fois indispensable pour une vision de l'économie réelle, mais en même temps, elle soulève des difficultés de plus en plus grandes dans le cadre de l'allocation marchande des biens et des services car le coût de transaction cognitif devient infini. Il y a donc deux motifs à une globalisation du calcul économique : l'extrême complexité des opérations et le coût prohibitif d'attribution d'un prix via les mécanismes du marché. Cette transformation explique que l'hypothèse des rendements croissants ou constants s'avère davantage plausible que celle des rendements décroissants pour rendre compte de l'innovation dans les firmes34, de l'appropriation innovante des nouvelles technologies35, des économies externes de réseau.
5. Le problème majeur des nouvelles clôtures : l'exécution des droits de propriété rendue de plus en plus difficile par la diffusion massive des NTIC.
La spécificité du bien connaissance quant à son usage, son amortissement, son enrichissement, son caractère non exclusif soulève deux types de problèmes redoutables pour le paradigme actuel de l'économie politique qu'elle soit d'obédience néo-classique ou d'obédience critique. Le premier type de problème déjà discuté à propos de la "new economy" américaine36 est celui de la pertinence des lois globales de la théorie des prix s'agissant de biens connaissance dont la rareté n'est plus la caractéristique fondamentale et dont la nature se rapproche des biens publics37.Certaines caractéristiques des marchés de la net economy (en particulier le stockage d'information sur le consommateur à travers les cookies, le coût marginal quasiment nul de reproduction des biens connaissance et des biens informations) remettent en cause le principe de l'unicité des prix et du même coup les caractéristiques rééquilibrantes du marché.
Le deuxième type de problème est lié à la nature et à la spécification des actifs susceptibles d'entrer dans l'échange marchand. La nature de plus en plus publique des biens connaissance remet en question leur possibilité d'être produit à travers le système marchand. D'autre part, la nature même, des innovations mises en œuvre par les nouvelles technologies de l'information et de la communication (comme la levée des obstacles à une reproduction et à stockage presque infinis des biens immatériels), rend très problématique la création même de droits de propriété exerçables sur les nouveaux biens. L'exécution des droits de propriété privée se heurte à des difficultés croissantes. C'est le problème des nouvelles clôtures illustré par les procès autour des droits d'auteurs sur les morceaux de musique téléchargés à partir de l'Internet38. La question de la brevétabilité des logiciels est un second exemple. La question de la marchandisation des biotechnologies un troisième.
Ainsi le double paradigme du marché et de la hiérarchie s'avère de plus en plus étroit pour penser la coordination des agents dans des systèmes complexes et vivants, c'est-à-dire possédant la possibilité de se reproduire et de s'auto-organiser.
Avant de revenir sur ces exemples de nouvelles batailles des clôtures, précisons le mécanisme général qui fait obstacle à l'établissement de nouveaux droits de propriété sur le modèle du mouvement des clôtures qui avait conditionné le développement du régime d'accumulation du capitalisme industriel.
Le schéma 1 présente l'articulation de la division du travail, l'intervention de l'État dans l'établissement des droits de propriété dans le fonctionnement du marché dans le capitalisme industriel.
Le schéma 2 qui doit être mis face à face résume les transformation qui se produisent dans le capitalisme " cognitif ".
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication en rendant tout bien connaissance ( langage, image, son) réductible à une suite de chiffres binaires stockables et traitables par l'informatique grâce au développement de la capacité des mémoire, aux logiciels de compression , de cryptage, lève l'obstacle technique qui protégeait l'exécution des droits de propriété privatif . L'ensemble du système de la propriété intellectuelle ( brevets industriels, droits d'auteurs, marques) se trouve remis en cause. Il n'est pas jusqu'au séquençage du vivant qui ne se trouve ainsi rendu accessible. La bataille juridique et stratégique qui oppose les pays du Sud qui se sont spécialisés dans les médicaments génériques ( l'Inde, le Brésil) à propos du traitement du Sida en Afrique du Sud aux grandes multinationales pharmaceutiques européennes et américaines illustre à quel point il s'agit d'un enjeu capital pour les biotechnologies. Sur le front de la consommation mercantile d'images ou de musique, le procès Napster montre également que les consommateurs sans pouvoir d'achet ( insolvable de fait) peuvent tirer partie des nouvelles technologies pour contourner l'exclusion marchande. Enfin la bataille des logiciels libres ( Linux) contre le modèle marchand Microsoft montre également que dans le secteur crucial pour le capitalisme cognitif du software se trouve pour la première fois confronté à un véritable modèle productif et coopératif qui n'obéit plus à la division smithienne du travail. Ce qui est remarquable, c'est que la technologie en tant qu'elle correspond à une diffusion massive des savoirs informatiques et à une décentralisation des connaissances parvient à faire mieux que la coordination par le marché ou par la hiérarchie d'entreprise.
Schéma 1 : Droits de propriété dans le capitalisme industriel
HIÉRARCHIE ÉTAT
Absence
d'externalités
Organisation
de la rareté
Possibilité
d'exécuter
des droits
de propriété
privatifs
Répression
des fraudeurs
Schéma 2 : Problèmes d'exécution des droits de propriété dans le capitalisme cognitif
ÉTAT COOP ÉRATION
DES CERVEAUX
EN RÉSEAU
Impossibilité
d'exécuter
des droits
de propriété
privatifs
Répression
des fraudeurs
impossible
Les tentatives de reprises en main de l'Internet par les États, comme l'essai de soumettre aux règles de l'économie marchande la production de connaissances rencontrent des difficultés structurelles internes : sous peine de perdre son caractère productif la coopération par l'Internet ne peut pas s'accommoder des limitations d'accès : la gratuité ou quasi-gratuité fait partie du modèle. C'est pourquoi l'échec de la e-economy loin de refléter une normalisation rapide, une adaptation des droits de propriété à des services un peu particuliers mais réductibles aux lois du marché traduit ce hiatus. Réciproquement, les tentatives de s'installer dans un régime de capitalisme cognitif, suppose résolus des problèmes de garanti de revenu des producteurs de connaissance autrement que par les brevets et les droits d'auteurs et probablement une refonte totale du système du salariat qui s'était consolidé au cours du capitalisme industriel. Il paraît ainsi difficile de faire l'économie d'une réflexion nouvelle sur le système de protection sociale qui a été couplé au salariat jusqu'à présent.
Les Références ont été omises provisoirement.
Schéma 1 : Droits de propriété dans le capitalisme industriel
HIÉRARCHIE ÉTAT
Absence
d'externalités
Organisation
de la rareté
Possibilité
d'exécuter
des droits
de propriété
privatifs
Répression
des fraudeurs
Schéma 2 : Problèmes d'exécution des droits de propriété dans le capitalisme cognitif
ÉTAT COOP ÉRATION
DES CERVEAUX
EN RÉSEAU
Impossibilité
d'exécuter
des droits
de propriété
privatifs
Répression
des fraudeurs
impossible
1 Voir aussi pour des définitions substantiellement identiques mais moins lapidaires, A. Alchian (1961) L. De Alessi (1980)
2 H. Demsetz (1964)
3 Ainsi les partisans d'un capitalisme industriel régulé et d'un salariat aménagé et tempéré par des lois de protection sociale ( qu'ils soient fordistes avec le five dollars a day, , keynésiens avec le concept de demande effective et de refus d'une baisse du salaire nominal ou béveridgien avec le Welfare State et la protection sociale organisée à partir des prélèvements obligatoires) se retrouvèrent-ils d'accord pour écarter les régulations libérales brutales du premier tiers du XX° siècle parce qu'elles conduisaient à la guerre, où aux désordre sociaux intérieurs
4 Que l'on reprenne les analyses de m. Hardt et A. Negri (2001) ou celle d'A. Joxe (2002).
5 Qu'elle soit celle du premier Schumpeter ou du second voir la discussion de C. Freeman et L. Soete (1997)
6 Voir par exemple Freeman& Soete (1997), pp 18-21
7 Voir Y. Moulier Boutang, (1998), pp. 295-301
8 Cette approche n'est que la moitié de l'histoire. la pression économique des classes dominantes a été corrigée, contenue par divers mécanismes (dont la démocratie). En fait si l'on veut restituer aux affrontements autour des questions de droits de propriété toute leur dimension et pas simplement la face fonctionnelle à l'accumulation, on peut dessiner une séquence presque opposée point par point. Celle d'une prolétarisation ratée ou restreinte8.
1) Régime déséquilibré de façon endogène : travailleur dépendant (serf, vilain, tenancier) cherchant à devenir propriétaire ou à fuir ailleurs
2) Déséquilibre définitif du système de cultures par la fuite (deserted villages)
3) Les chocs internes ou externes servent seulement de prétexte ou d'occasion, de catalyseurs d'une réaction dont tous les ingrédients sont déjà là.
4) Avalisation formelle des nouveaux compromis y compris juridiques (piecemeal enclosure by agreement) Clôtures négociées ;
5) Transformation des cultures : institutionnalisation des régimes de métayage et de fermage: Passage à l'élevage, occupation des terres communes par les paysans ou par les landlords ; codification des coutumes (vaine pâture, droit de chasse, braconnage toléré) ;
6) Prise de terre par usucapion (squatters), formation d'une paysannerie durable (yeomen ou laboureurs) prolétarisation ratée
7) Occupation de maison (cottagers) : Fuite vers le travail de berger, de salarié occasionnel prolétarisation partielle ;
8) Fuite vers la ville, libération juridique, régularisation accès au travail libre hors corporation, au travail indépendant ;
9) Emigration interne puis internationale : Invention d'emploi indépendant,
Secteur informel, salariat occasionnel. Voir pour un développement détaillé, Y. Moulier Boutang (2001)
9 Voir sur ce point C. Azaïs, A. Corsani et P. Dieuaide (Eds.) (2001) et Corsani A., Dieuaide, P., M. Lazzarato, M., Monnier, J.-M., Moulier Boutang, Y., Paulré, B. & Vercellone, C. (2001),
10 Voir M. Porat(1977), G. Dang Nguyen, P. Petit & D. Phan D., (1997), C.Goldfinger (1994), P. Chapignac (1996), J. Gadrey (1996) Rapport Henri Guillaume au Premier Ministre, M. Castells (1996), J. Beale (1995), P. Petit, (Ed.), (1998), M. Catinat (1999), Volle (199), D.T. Quah (2000),
11 Sur le travail immatériel, voir M. Lazzarato (1992, 1997)
12 D. Sichel (1997), R.E. Litan & w.A. Niskanen (1998).
13 Voir P. Drucker (2000).
14 Voir Greewood J. (1997), J. Lojkine (1997)
15 Voir C. Freeman et C. Perez (1983).
16 Voir C. Freeman & L. Soete(1997).
17 L'endogénéisation du progrès technique dans les modèles de croissance endogène, ainsi que les théories évolutionnistes de la firme enregistrent chacun à leur niveau (macro et micro) cette transformation. Sur la croissance endogène et une réévaluation sérieuse du progrès technique et de ses modalités voir B. Amable & D. Guellec, (1992( ; B. Amable B. & B. Verspagen (1995) ; B. Amable & P. Petit (1997) ; D. Archibugi & J. Michie, (1997).
18 Voir E. Rullani et L. Romano(1998) et E. Rullani (2000)
19 Voir P. Petit (1999b), OCDE, (, 1992, 1996a), OECD (1998), OECD (1999) et surtout Foray D. Lundvall B.A. eds. (1996), G. Dosi (1996), J. Fagerberg (1996), J. Fagerberg, Guerrieri &Verspagen (2000)
20 Voir B. Arthur (1989), Lundvall (1988), J.B. Delong & A.M. Froomkin A. ( 2000(
21 Voir P. Petit ( 1998 A et B), P. Moatti & E.M. Mouhoud (1992) ainsique E. M. Mouhoud dans le présent volume.
22 Voir par exemple les analyses du toyotisme ou ohnisme par B. Coriat (1991) ; sur les analyses du cycle court voir Corsani, A., Lazzarato, M., Negri A. & Moulier Boutang, Y. (1996(
23 Voir sur le sujet est P. Veltz (1994), voir aussi B. Pecqueur (1996) et A. Corsani (1999).
24 Voir le Rapport publié sous la direction de J. Barraux (1997), pour les débats sur le surplus de productivité globale et la compétitivité hors coûts des économies B. Coriat & D.Taddei (1993) et les interrogations sur le vieillissement des catégories de la comptabilité nationale très marquée par l'atmosphère de la reconstruction d'après la 2° guerre mondiale (J. Gadrey).
25 R. Nelson & P. Romer (1998)
26 Voir P. Veltz (2000) et le travail le plus complet à ce jour de Manuel Castells (1996), voir aussi P. Levy (1994)
27 Voir Y. Mouler Boutang (2001A.)
28 Pour la description, voir les travaux de J. Rivkin (1995) de R. Reich (1991) S. Lash & J. Urry (1994); pour une interprétation d'ensemble, C. Marazzi (1997) et M. Lazzarato (1992, 2000)
29 Voir M. Dantas (1996 et 2001)
30 Voir A. Supiot (1994 et 1999), Y. Moulier Boutang (2001A).
31 Voir F. Favennec-Héry(1996(, M. Lazzarato (2002)
32 Pour une reconnaissance du rôle croissant des externalités ou effets externes voir évidemment Kenneth Arrow (1962), mais aussi M. Aglietta (1997) et Y. Moulier Boutang (1997 et 2001B).
33 Voir Y. Moulier Boutang (1997)
34 Sur la littérature évolutionniste de la firme voir G. Dosi (1996) et l'état des lieux dressé par B. Paulré (1997)
35 Voir A.-B. Lundwall (1985 et 1988), B. Artur (1989), P. Jollivet (2000 et 2001)
36 Voir B. Paulré (2000)
37 Voir J.B. DeLong (1997) et Delong, J. B. & Froomkin A. Michael, (2000(, A. Kirman (1998); plus polémique voir Kelly, K., (1998( ou plus orthodoxe voir Shapiro, Carl & Varian Hal, (1998(.
38 Voir Y. Moulier Boutang (2001C).
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