Principes d'économie de la proximité et du site
Ou Comment repenser la pensée économique?
(version provisoire comme tout savoir)


Hassan Zaoual, Economiste
Directeur du GREL/IMN Equipe d'accueil n°1702 (Dunkerque)
Administrateur du Réseau Sud/Nord Cultures et Développement (Bruxelles)

Université du Littoral Côte d'Opale, Institut des Mers du Nord/Groupe de Recherche sur les Economies Locales. Maison de la Recherche en Sciences de l'Homme. 21 Quai de la Citadelle. B.P. 5528. 59383 Dunkerque cedex 1 Tél : (33) (0)3 28 23 71 00. Fax : (33) (0)3 28 23 71 10. E mail : zaoual@univ-littoral.fr

Mots clefs: économisme, développement, mondialisation, formel, informel, homo oeconomicus, homo situs, site, territoire, proximité, croyances, appartenance

Pour plus de références bibliographiques sur la théorie des sites. Moteurs de recherche Google tapez zaoual


Abstract: Dans cette contribution, l'auteur, sur la base de ses expériences d'économiste du développement dans les pays du Sud et de son implication dans des programmes de recherche portant sur le développement local dans les pays industrialisés, tente d'élaborer une théorie qui met en évidence le rôle crucial des croyances dans la vie économique:le paradigme des sites symboliques d'appartenance. Ce faisant, il met en relief le caractère relatif des principales hypothèses et lois de la science économique standard. De proche en proche, la démarche choisie opère un décloisonnement entre l'économie et les faits de société et entre la réflexion et l'action. Cette conjugaison fait surgir la pertinence de l'échelle locale des comportements économiques. C'est ce qui l'amène à forger de nouveaux concepts transdisciplinaires et pratiques tels que le site symbolique d'appartenance, l'homo situs, la rationalité située, le code de sélection et les sanctions sitologiques etc. A la lueur de la grande diversité des pratiques locales, il conclut sur l'incapacité de tout modèle économique général à régenter la dissidence économique constatée. De là découle une économie non violente et modulable tenant compte des particularités de chaque contexte humain et intégrant les impératifs de durabilité au plan des sociétés et des écosystèmes. La pédagogie d'écoute et d'accompagnement en est un des outils opérationnels qui intègrent l'éthique du site à la technique de l'économiste. Ainsi, face aux risques et aux menaces de la mondialisation uniforme, cette orientation, sans tomber dans le relativisme intégral, laisse entrevoir une civilisation de la tolérance et de la diversité, seul rempart contre l'entropie de l'économisme.














Principes d'économie de la proximité et du site
" Situer veut dire ici avant tout : indiquer le site. Cela signifie ensuite : être attentif au site. Ces deux démarches, montrer où est le site et se rendre attentif à lui, sont l'acheminement préparatoire à une situation. Mais nous aurons fait preuve déjà d'assez d'audace si, dans ce qui va suivre, nous nous contentons de ces démarches préparatoires. La situation, quand elle répond à un acheminement véritable, aboutit à une question. Celle-ci questionne en direction de la contrée à laquelle appartient le site.....La situation médite le site". Martin Heidegger1

Introduction:
Ce texte rend compte d'un double itinéraire de recherche dans les pays du Sud et dans les pays du Nord de la planète. C'est dans cette convergence derrière la divergence Nord-Sud que l'auteur tente de se positionner pour avancer un certain nombre de conclusions de recherche en direction d'un paradigme transversal des pratiques économiques. Cette nécessité est devenue impérative face aux limites de l'économisme notamment dans sa version standard, celle qui sépare totalement, les faits économiques des autres faits de société. Une seconde nécessité est l'émergence et le développement des économies dissidentes2.
Les innombrables échecs des projets et des modèles économiques dans les pays, au départ postulés pauvres, nous ont appris à ne plus céder au découpage des disciplines scientifiques admises. Au contraire, l'observation des terrains incite à une recomposition des savoirs en la matière tout en portant un intérêt aux représentations qu'ont les acteurs d'une situation de leur monde, exigence devenue universelle. C'est au prix de ce double effort que nous pourrions comprendre les multiples causes de l'échec de nos conceptions économiques abstraites dans le monde factuel des agents économiques et de manière plus large celui des acteurs de la société. Pendant longtemps, notre discipline a plutôt été tentée par les illusions scientifiques de la formalisation mathématique et de la quantification en général. Aujourd'hui, sa crise majeure nous incite à un retour à une induction plus réfléchie et à une plus grande ouverture sur les autres sciences de l'homme. C'est donc une façon d'humaniser l'économie politique, en somme, de tenir à distance tout réductionnisme aveugle quel qui soit. Ainsi, cette contribution s'inscrit dans les tentatives de renouvellement de la pensée économique critique.
Pour ce faire, dans une première phase de notre argumentation nous pratiquerons la pédagogie de l'erreur féconde. Sur la base de l'échec, que déduire pour mieux conduire au plan des concepts et des pratiques les organisations et les systèmes économiques vers une plus grande performance auto instituée par les acteurs eux-même. Cet objectif nous conduira, dans un second temps, à décrire la capacité de décryptage et de pilotage, par le bas, de la théorie des sites. Ce qui impose de fait la construction de nouveaux concepts dont le sens et le "réalisme à visage humain"3seront définis et mis en synergie. Ces principes étant exposés, nous exercerons la pertinence de cette nouvelle vision sur quelques concepts clefs de la science économique pour mieux la détruire de l'intérieur afin de contribuer à un plus grand consensus de notre communauté scientifique sur la nécessité d'un changement radical de paradigme.

I ) Les leçons du Sud au Nord: une suite d'erreurs fécondes
A ) Le Sud est détruit
On ne parle et on n'écoute jamais de nulle part, il est donc impératif de situer cette modeste contribution sur la nécessaire révolution paradigmatique à laquelle invite le programme P.E.K.E.A. Notre point de vue résulte d'un long cheminement relatif à l'expérience intellectuelle et pratique de l'économie du développement dont l'esprit, à y regarder de prés, est une simple extension mécaniste de l'économie politique, telle qu'elle s'est instituée dans les pays du Nord, vers les pays Sud. Dans ce contexte scientifique et pratique, les échecs des transferts de modèles économiques peuvent être considérés comme des "erreurs fécondes" à la condition d'en déduire un renouvellement de la pensée critique en direction d'un nouveau paradigme. Celui-ci se doit d'être capable de contribuer à la pensée universelle au-delà des particularités des nations du Tiers-monde. C'est à cet objectif que s'est attelée la théorie des sites symboliques d'appartenance que nous défendons aujourd'hui. Sa genèse est à rapporter aux interactions que nous avons eues dans divers continents avec des acteurs de terrain notamment les entreprises et les O.N.G. de coopération au développement. Pour les plus avancées d'entre elles dans la réflexion, la condamnation du parachutage des modèles et des projets de développement est sans appel.
En effet, sans la prise en compte de la grande diversité de notre monde, les emprunts précipités deviennent des emprises. Ce qui contredit dans les faits l'idée que les lois économiques peuvent être isolées du contexte historique dans lequel elles ont été élaborées. Dans la plupart des cas, contrairement aux effets escomptés par les modèles économiques planifiés ou non, le développement économique tel qu'il est pensé et pratiqué dans les pays postulés, au départ, pauvres se métamorphose en une "économie de rente". Tout se passe comme si le développement par le haut engendrait de la dette, de la pauvreté et diverses destructions culturelles, écologiques et sociales. La mondialisation, "sa sœur jumelle", ne semble pas, à son tour, produire des effets de leviers en direction des anticipations théoriques de l'expertise internationale.
Au total, les pays que l'on a définis au départ comme pauvres dans les critères du paradigme du développement deviennent de plus en plus pauvres surtout lorsqu'on les compare aux pays pourvoyeurs de modèles et de recettes de changement. Dans cette aventure, ils perdent leurs capacités endogènes de régénération sans pour autant assimiler le développement du capitalisme décrété par les lois générales de l'économie. Par certains aspects, le capitalisme innovant reste à la périphérie des phénomènes économiques et sociaux qui surgissent des télescopages entre le modèle de la pensée unique et les espaces-cibles. Le classique schémas marxiste centre-périphérie s'en trouve renversé! Le système économique exploite ainsi les ressources de ces milieux tout en stérilisant leurs capacités d'innovation et d'évolution, si ce n'est vers une prolifération de crises et de catastrophes en tout genre4.
En effet, à y regarder de prés, les économies formelles des pays du Sud que les bureaucraties d'Etat ainsi que les institutions internationales ont créées de toutes pièces au nom de la planification ou des lois du marché s'apparentent à des "macro-bulles" dont le maintien n'est dû qu'aux éventuelles hausses des prix des marchés mondiaux des matières premières, des produits tropicaux et dans certains cas de biens manufacturés sous-traités sans une réelle maîtrise industrielle locale, source d'un apprentissage en direction d'une réelle autonomie scientifique et technique. De nombreuses économies formelles nationales dans l'hémisphère Sud sont même hyper-spécialisées conformément aux impératifs traditionnels de la théorie économique de l'échange international sans pouvoir développer un capitalisme innovant. La conjugaison entre leurs réactions et des forces globales de la mondialisation les enferme dans des productions sans grande valeur ajoutée. Il s'ensuit que leurs exportations sont peu valorisées sur les marchés mondiaux marqués par de grandes instabilités. Pour employer une image bien réelle, le marché du cacao est, en permanence, travaillé par le chaos dont les effets macroéconomiques sont dévastateurs pour les nations qui s'y appliquent. L'économie de la côte d'Ivoire est une illustration parfaite de ce mécanisme. Le même raisonnement peut être tenu sur les pays pétroliers, riches ou pauvres de par leur démographie galopante5.
Dans ces circonstances, la coopération internationale et l'aide qui s'ensuit n'aboutissent qu'à renforcer ce redoutable mécanisme, celui qui les maintient en situation de débouché de l'offre de développement des pays du Nord, les plus innovants. Autrement dit, la pratique du développement dans les pays du Sud s'apparente à la formule suivante: "Ne pensez pas, payez! Les procédures du développement clefs en tête et clefs en mains illustrent parfaitement ce mécanisme d'aliénation qui est à la racine de la concentration de l'innovation d'un côté et de la destruction de l'autre. Pourtant, une vision par le bas montre que les lois économiques imposées ne sont d'aucune portée pratique quant à la résolution des énigmes scientifiques qu'elles se sont posées elles-mêmes.
La fréquentation des terrains révèle, en effet, que les espaces d'action des acteurs contiennent de multiples mécanismes sociaux qui neutralisent les modèles de l'expert économique. L'idée que l'on peut séparer totalement l'univers économique et sa mécanique du reste de la société s'avère, dans la pratique, être une pure illusion de scientiste qui engendre exactement son contraire. C'est sur cette chimère que la théorie des sites exerce ses principales critiques tant théoriques que pratiques. En effet, si dans le monde des sciences dîtes dures, les épistémologues ont démontré que l'on ne peut nullement séparer l'observateur de l'objet observé et que les concepts et les outils de la recherche sont parties prenantes de ce que l'on observe et manipule, que dire d'une science comme celle de l'économie dans les bouts et les tenants sont imprégnés par la force et la complexité du social et de l'humain?
La complexité dont il est ici question peut être parfaitement explorée à travers le paradoxe formel/informel dans les pays du Sud et de manière plus générale dans le monde des organisations.
B) L'informel: Un modèle de pluralité pour le formel?
1°) Le paradoxe formel/informel: un moteur de recherche
La complexité que découvrent les théoriciens de l'organisation examinée par la suite dans notre argumentation est à rapprocher des conclusions fondamentales sur le statut et le rôle de l'économie "informelle" par rapport à l'économie formelle dans les pays qui ont été pris comme cibles par les stratégies rationnelles du développement. L'économie du développement comme sa grande sœur l'économie politique a crû qu'elle pouvait changer la situation de ces pays à l'aide de modèles rationnels centrés sur des hypothèses et des concepts réducteurs6. De plus soulignons que ces mêmes modèles privilégient l'échelle macroscopique, ce qui accentue leur irréalisme. Plus le formel introduit et diffuse à travers ses modèles et projets l'autonomie de l'économique, plus l'économie qu'il est censé représenter devient dépendante de l'extérieur!
Le résultat de ce positionnement est connu. Les pratiques en question ont contribué, le plus souvent, à créer, artificiellement une économie formelle que les milieux locaux ont décryptée à leur manière puisque au départ leurs spécificités étaient ignorées par l'expertise. Ces processus "informels" transforment l'économie formelle en une économie de rente, pour ainsi dire une "coquille vide". Les mécanismes à l'œuvre relèvent du détournement, de la corruption, des activités de négoce et d'import export et de fragiles activités de sous-traitance internationale lorsqu'elles existent. La résultante en est un vide économique générateur d'endettement que les techniques des P.A.S. (Programmes d'Ajustement Structurel) ne guérissent pas.
Face à ce vide, tel un organisme vivant, l'économie "informelle" productive vient à la rescousse du chaos économique et social des sociétés que l'on a voulues programmer, du dehors et par le haut, pour le développement. Les pratiques informelles se voient même amplifiées par les incomplétudes des programmes économiques issus de la pensée globale. Plus on formalise avec ses critères de performance économique, plus la galaxie de l'informel s'étend. Ce paradoxe moteur incite, donc, à une véritable révolution conceptuelle.
En effet, les univers dits informels des sociétés et des économies en question expriment d'autres cosmogonies que l'on ne retrouve pas, au moins implicitement, dans les catégories générales du traitement prodigué par les docteurs en développement. Ces derniers, malgré les constats empiriques qui démontrent, en grandeur nature, l'inertie du formel transposé aveuglement et la vitalité de l'informel issu du dedans des milieux considérés, continuent de se représenter la nature de "l'informel" avec les concepts de la science formelle!
Ainsi, à titre d'exemple, un petit entrepreneur de l'informel sera perçu comme un capitaliste potentiel susceptible d'évoluer "naturellement" vers l'univers des lois de l'accumulation et de la concentration du capital à la condition de libéraliser encore plus l'économie formelle et de lui venir en aide, dans certains cas, par les pratiques classiques de la coopération internationale. C'est d'ailleurs ce qui explique la multiplication des politiques d'aide au secteur dit non structuré (informel). L'industrie des micro projets s'en trouve légitimée, à son tour. Pourtant, les univers auxquels nous avons affaire sont d'une nature rebelle à toute transposition et à tout réductionnisme. Ils expriment des espaces vécus dont les profondeurs s'enracinent dans les milieux locaux. Ce mélange entre des traditions en mouvement et les apports extérieurs sous forme de débris, issus notamment du naufrage des grands modèles de l'état et de l'économie officielle de marché, se fait naturellement sans l'aide d'aucune expertise. C'est de l'auto organisation spontanée.
A contrario, l'expertise a montré son incapacité à rendre compte des conditions réelles d'une économie capitaliste innovante et en tirer des solutions applicables universellement. Porté sur "le clef en tête et le clef en mains", il a comme principal penchant la transposition de modèles et de projets sans le moindre souci quant aux particularités du site concerné. L'informel, lorsque que l'on prend le soin de l'observer voire de le contempler, traduit une conjugaison d'une pluralité d'espaces de justification au sens des économistes des conventions. Il s'agit d'univers hypercomplexes. L'entrepreneur informel en question est à la fois un producteur-éducateur, membre d'une famille, d'un réseau ethnique ou multiethnique, d'un voisinage, d'une communauté religieuse etc. Et, toutes ces appartenances s'intègrent instantanément dans sa personne et le situent dans le temps, dans l'espace et son monde symbolique. Ces coordonnées font de lui non pas un individu atomisé mais une personne. Ici l'acteur social encastre le producteur au sens que lui donnerait précipitamment l'économisme. En Afrique l'individu néoclassique (isolé, égoïste, calculateur etc.) mourrait concrètement de sa belle mort théorique! Un proverbe du Maroc dit, "plus on calcule, plus on s'isole" à quoi répond au Sénégal, "est pauvre, celui qui est seul". La conséquence logique à en tirer est que le comportement économique de la personne in situ, si l'on peut tant soit peu l'isoler comme en microbiologie, demeurera incompréhensible au travers du modèle rationnel aéroporté du dehors. Un voyage dans la proximité et l'intimité de son monde est, donc, incontournable afin de s'en approcher.
Pour ce faire, la méthode rationnelle admise est trop brute et incite rapidement à l'a priori et à l'abstraction généralisante derrière laquelle disparaît, comme par enchantement, toute la richesse empirique de la situation. C'est pour cette raison que, dans ces circonstances, l'ignorance est d'un grand secours pour toute pensée vigile, celle qui veut découvrir mais non pas couvrir. Pour "développer", il ne faut pas envelopper. Contrairement au modèle de la rationalité standard, les observations et les enquêtes de terrain montrent que l'agent africain, si nous prenons son exemple, est plus porté vers la minimisation du risque que la maximisation des gains. Ce principe de prudence découle de multiples causes y compris naturelles en raison du marquage écologique. Ce caractère graduel se déduit notamment de la multiplicité des valeurs et des contraintes du monde des appartenances de l'agent.
Dans ces univers hybrides7, les croyances partagées qui sont aussi des réalités collectives vécues individuellement contribuent à consolider l'attachement de la personne à de multiples groupes sociaux. Par conséquent, dans ses choix économiques, les logiques communautaires sont omniprésentes et font de lui un être relationnel. La relation semble être le noyau rationnel de son comportement. La relation fonctionne, en effet, comme une assurance et une banque qui assure notre homme contre les aléas de la vie. C'est ce qui amène des chercheurs de terrain comme Emmanuel N'Dione8 à voir dans la société sénégalaise une société en grappes dont l'organisation affecte en profondeur la rationalité des acteurs de la situation. Ainsi, l'agent africain possède un ensemble de droits de tirage sur les réseaux auxquels il est relié. C'est une sorte d'économie de tiroirs qui renvoie à l'appartenance à un terroir. C'est son capital social9. La réciprocité et d'autres formes de coordination survivent ainsi à la monétarisation au fin fonds de l'économie urbaine. Tout se passe ainsi comme si les catégories et les visions locales du monde revisitaient les concepts, les outils, la monnaie et les pratiques venues du dehors. Par conséquent, le marché n'est plus orienté vers l'accumulation individuelle illimitée mais vers un fonctionnement social en raison des institutions implicites ou explicite de l'univers local. Celui-ci privilégie, entre autres, le rendement social. Tout échange venu de l'intérieur comme de l'extérieur est filtre selon les canons du site local. Au total, toutes nos catégories économiques s'en trouvent relativisées y compris les recettes nous paraissent les plus démocratiques et innovantes au plan économique et social.
Les mouvements monétaires de ces économies endogènes prennent des directions multiples comme les dépenses communautaires et individuelles en tout genre, de la consommation à l'investissement dans la petite production urbaine. Cette économie relationnelle est basée sur la confiance que restituent les conventions implicites des pratiques du site. C'est ce qui explique, entre autres, l'efficacité des mécanismes informels du financement de l'investissement informel. Pour la majorité des africains, exclus du monde des banques formelles, la vraie banque, c'est la relation. Cette relation prend sa consistance dans la confiance et la cohésion communautaire. Cette chaîne, de proche en proche, conduit aux entrailles de l'organisation sociale. Dans cette "boîte noire", le cheminement du chercheur débouche sur les dimensions cachées des pratiques locales pouvant aller jusqu'aux croyances, aux mythes fondateurs et aux religions qui, en profondeur, rattachent les acteurs au site. Ces mécanismes socioéconomiques fonctionnent, donc, par des systèmes de représentation intériorisés d'où dérivent des droits et des sanctions. L'estime du groupe n'est acquise qu'en s'alignant sur les repères et les règles du site. Celui-ci façonne les acteurs qui le reproduisent et les amène à chercher leurs rangs. A la socialisation se rajoutent les sanctions sitologiques en cas d'écart avec l'éthique et les normes cognitives de la communauté.
De par la primauté de l'investissement relationnel, les transferts entre les personnes reliées sont, donc, un mode quotidien d'échange qui prend le dessus sur l'accumulation matérielle et cantonne ainsi l'économie du lieu sur une échelle réduite. C'est qui explique le constat empirique que font les économistes sur le caractère non-accumulateur des producteurs informels. Leurs activités prolifèrent sur des échelles microscopiques sans s'agréger et se concentrer en direction des lois classiques du grand capitalisme. Cependant, de ce constat, ils n'en tirent pas une théorie adaptée aux conditions dans lesquelles s'exercent ces comportements. Nos experts décrochent rapidement des faits pour revenir à une vision unilatérale, celle de la nécessité de l'accumulation du capital. "Accumulez, accumulez, c'est la loi des prophètes", formule de Karl Marx, est inopérante comme d'ailleurs, celle de la main invisible. Dans la réalité, cette culture économique se heurte, donc, à d'autres prophéties locales. Nous sommes, plutôt, tentés de dire" donnez, donnez, c'est la vraie loi des prophètes". Tout indique que l'économie du don neutralise, au moins partiellement, la potentialité des lois de l'accumulation individuelle propres à l'économie de marché. Ainsi, tout se passe comme si le site bornait le capital. On ne peut accumuler sans donner. Ainsi ce que l'on pourrait qualifier de "cité du développement" par analogie au modèle des cités des économistes des conventions, est assaillie par les sites qui conjuguent une pluralité de principes supérieurs. Ainsi, ce que nous concevons comme modèle économique général est noyé par le multiple.
Comme les mots et les concepts ne sont pas neutres, le sociocentrisme de l'économisme revient en force au travers même des notions utilisées comme secteur informel, non structuré10, de survie etc. Ce jugement n'est pas celui des faits mais une projection des représentations symboliques des développeurs sur une situation qui trouve ses issues dans d'autres registres sociaux, en somme un placage des valeurs du développement sur les milieux en question. Comme par enchantement, ils nous font oublier que leur expertise n'a pas permis à l'économie formelle dite structurée de décoller et de marquer des performances macroéconomiques incontestables. C'est même tout le contraire. De plus, l'existence de l'informel urbain et sa prolifération trouvent aussi leur source dans les défaillances même du formel. Ainsi au lieu que le paradigme en question se réforme, c'est à la réalité que l'on demande de s'adapter! Le mot "informel" dit ce qu'il ne dit pas à savoir que le phénomène en question n'est pas reconnaissable par les concepts de la pensée ordinaire. Informe, donc il n'a pas de forme. Toute pensée dominante ne reconnaît que les siens! Les théories sont aussi têtues voire plus que les faits. Ce qui s'explique aisément par la force des croyances scientifiques.
Pourtant, une vision du dedans révèle que ces univers ont aussi leurs logiques de fonctionnement. Ils sont le siège de modes de structuration qui leur sont singuliers11. Leur caractère composite demande une autre façon de concevoir l'économique. En recourant à une vision plus large et transversale de l'économie et de la vie en société, on découvrira que les processus en question sont même un laboratoire social vivant12 à partir duquel on peut réformer le formel et dynamiser l'informel. Ceci présuppose que l'on sort du réductionnisme qui prolonge une seule et unique façon de concevoir l'économique, celle qui découle de la culture de maîtrise et d'accumulation du développement. Il s'agit bien d'un télescopage de valeurs d'une part et de concepts d'autres part. Seulement, les concepts capables de restituer l'énigme de l'informel sont implicites aux croyances pratiques qui gouvernent les populations évoluant dans ces univers hybrides. Ils ne sont pas révélés par le travail de la pensée. Et, pour cause, l'orthodoxie chasse, en permanence, l'hétérodoxie qui cherche à penser la pluralité qui est bien présente dans les dynamiques "informelles". Toute pratique ou pensée rebelle est considérée par les tenants de l'autonomie de l'économique comme irrationnelle voire même comme une forme de délinquance de la connaissance. Ce qui se passe dans le monde des religions qui cherchent à asseoir leur domination sur la base d'un seul et unique modèle se retrouve dans le domaine des sciences sociales notamment la science économique orthodoxe. Le doute est bien loin de la science normale sûre d'elle-même. Or, il est impératif tant au plan éthique qu'au plan scientifique d'accepter le pluralisme dont la vitalité est incontournable pour le progrès de la connaissance. Point de parti unique pour la pensée.
2°) L'organisation: un objet irréductible à un organigramme
La question de l'informel n'est pas propre aux économies du Sud. Elle est bien présente aussi dans les pays du Nord sous de multiples formes13. A cet effet, rappelons l'histoire de la sociologie des organisations. Dés les années 20-30, l'école des relations humaines (Elton Mayo) a bien démontré que l'organisation rationnelle du travail est doublée d'une organisation informelle que les groupes d'ouvriers créent, eux-mêmes, au sein même de l'organisation scientifique du travail. Le taylorisme se voyait, déjà, limité quant à sa capacité à maîtriser, dans ses propres critères d'efficacité, les moindres agissements de l'homme. Certes, la machine aliène l'homme mais celui-ci finit toujours par trouver en lui-même des ressources cachées qui lui permettent de tenir tête au système le plus sophistiqué.
Après une courte illusion dans les années 60 sur la capacité à gérer l'entreprise comme un simple système physico-financier, les sciences de gestion nourries par les apports de la sociologie de l'organisation ont fini par adopter une attitude plus modeste sur la question du changement et de l'organisation de cette unité cardinale du capitalisme qu'est l'entreprise. L'importance qu'a acquise la notion de ressources humaines puis celle de culture dans la vie des entreprises depuis une vingtaine d'années montre bien que ces sciences appliquées ont pris conscience de l'importance, pour dire simple, du facteur humain. Ce qui signe implicitement la fin du déterminisme rationnel en la matière et l'irruption de préoccupations plus larges quant à la manière de conduire toute organisation humaine.
Les travaux de Michel Crozier, Erhard Friedberg, Philippe D'Iribarne et bien d'autres n'ont fait qu'amplifier cette perspective. L'effondrement du fordisme et l'irruption des organisations flexibles ont aussi apporté leur contribution à ces changements paradigmatiques. De proche en proche, des entités comme la culture et la cognition d'organisation, le partage du pouvoir et du savoir, l'importance de l'information et de la connaissance etc. ont envahi un territoire scientifique qui se voulait uniforme, calculable donc maîtrisable. Les intangibles rendent de plus en plus la conception de la performance moins rigide. Et, ici, avec l'évolution économique, l'immatériel grignote le matériel et en fait son auxiliaire dans la représentation de la structure intime de l'organisation et du lien que l'on peut concevoir entre elle et les performances escomptées.
Cette dématérialisation incite à plus de prudence et confère à l'organisation économique des traits prophétiques, d'où l'importance capitale de l'identité organisationnelle. Ce n'est pas un hasard que le capitalisme intelligent, pour faire de l'argent, a soif de la participation des gens de l'organisation14. Cette orientation conjugue identité et efficacité. Autrement dit, pour croître, il faut croire. Et, c'est là que les croyances partagées font leur irruption dans l'arène du rationnel. "L'esprit maison" est ni plus ni moins qu'une religion de l'organisation. Les croyances et les valeurs partagées motivent, en profondeur, l'adhésion à l'organisation et l'acceptation des sacrifices que demande son évolution et sa perfection dans un monde en constante évolution15. Comme les trajectoires individuelles et collectives de l'organisation incorporent des similitudes et des différences, des ajustements permanents se produisent pour créer un site symbolique commun, source de sens et de cohérence autour d'objectifs concertés. Il en découle une dynamique de règles que les pratiques des acteurs en présence élaborent, de manière formelle et informelle, dans la conduite de l'organisation. Ces modes de régulation de par l'importance des entités décrites ici sont difficilement transposables d'une organisation à une autre. Ils varient dans le temps et dans l'espace si bien que les singularités sont omniprésentes en raison directe des contingences de chaque organisation ou de chaque mutation d'une même organisation. C'est ainsi que la diversité16 prend le dessus sur l'uniformité et les certitudes d'antan. Ce qui interdit tout mimétisme intégral et incite à l'innovation sur site. L'échange international d'expériences s'arrête, donc, y compris à l'intérieur de chaque pays ou région, à l'inspiration et l'innovation située reprend le relais.

C ) L'économisme réduit
En sommant nos conclusions sur les expériences de développement et le phénomène de l'organisation, le cogito épistémologique sur l'économisme et de façon plus générale sur les conceptions mécanistes et linéaires nous rappelle la fameuse formule de Susan Hunt: "Lorsque l'on a des marteaux à l'esprit on voit partout des clous". De même, pour Einstein, "c'est la théorie qui décide de tout" à tort ou à raison. Ni les faits ni les données ne sont donnés. C'est la capacité d'interprétation et le degré du pouvoir explicatif qui fait la force d'une pensée. Dans cette perspective, la crise du paradigme du développement et de la mondialisation et, par une remontée sinueuse, celle de l'économisme dans son ensemble, est incontestable. Comme nous le dit Thomas Kuhn17 dans son œuvre magistrale portant sur "les structures des révolutions scientifiques", un paradigme repose, en dernière instance sur les croyances de la communauté scientifique et, ces mêmes croyances ne sont pas totalement indépendantes des croyances sociales qui motivent une époque, une société. Ainsi, elles sont parties prenantes des théories et des institutions qui ont cours dans un contexte donné. La science normale qui en découle se développe jusqu'à un certain point pour décliner, à la suite, de son incapacité à décrypter la montée en puissance de faits et de nouvelles visions rebelles. C'est exactement le diagnostic du développement dans les pays du Sud et, par extension, de la science économique orthodoxe qui se veut pure et déterministe malgré les assauts du désordre et la complexité de notre monde. Cette crise majeure motive aussi dans les pays industrialisés la montée en puissance des considérations relatives aux territoires, au développement local, à l'économie sociale et solidaire et, de manière plus générale, celle des recherches qui tentent d'articuler le Social, l'Economique et le Local et l'Ecologique. Cette reconfiguration S.E.L.E. est révélatrice d'une menace transdisciplinaire pour l'autonomie paradigmatique de la science économique qui s'est construite à l'aide d'un champ délimité par le réductionnisme de ses postulats et concepts fondamentaux.
En effet, pour s'instituer en tant que science à part entière, l'économie politique s'est assigné un projet d'autonomie totale18. Cet économisme débouche, inéluctablement, sur un totalitarisme. Cette dérive s'est même construite contre le libéralisme des fondateurs. N'oublions pas qu'Adam Smith avait, d'abord, rédigé, avant même ses "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations", sa "théorie des sentiments moraux". Dans celle-ci, il décrivait les ambivalences de la nature humaine dont la subtilité est, en réalité, rebelle à tout déterminisme. De façon essentielle, l'homme concret est irréductible à une équation intégrant uniquement un tempérament égoïste, calculateur et cherchant exclusivement son intérêt. Des valeurs et normes sociales travaillent, constamment, en sens contraire et en profondeur, son comportement. Ce qui confère, à la nature humaine, des configurations multiples dans lesquelles l'éthique et les contraintes de la vie en société ont toute leur place. Cette profondeur n'est pas étonnante chez A.Smith, un auteur au départ théologien et philosophe.

Les relations entre la théorie des sentiments moraux et la théorie de la richesse ont fait l'objet d'une amnésie de la part des disciples et particulièrement des économistes contemporains. Les sentiments dérangent la science! Autrement dit, la lecture retenue a été le plus souvent mécaniste. Cette façon de se représenter les phénomènes économiques a été renforcée par les imprégnations newtoniennes et cartésiennes de la théorie de la richesse. Celle-ci, en effet, nous introduit dans un univers gouverné par des lois tendancielles relatives à l'échange, à l'autorégulation du marché, à la division du travail, à la valeur- travail et finalement, à l'accumulation. Tous ces concepts s'organisent dans un schéma abstrait qui incite au scientisme dans lequel la formalisation va jouer, plus tard, un rôle amplificateur. David Ricardo ouvre la voie à une plus grande systématisation avec ses Principes d'Economie politique et de l'impôt. Ce n'est pas un hasard que de nombreux auteurs l'ont qualifié de logicien voire de Newton de l'Economie Politique. K.Marx, lui-même, a été subjugué par la force de la rigueur de ce "représentant scientifique de la bourgeoisie". Le 19ème siècle a, d'ailleurs, vu naître de nombreux auteurs écrivant des Principes (Malthus, J.S.Mill, A.Marshall etc.) et, même pour certains, des Nouveaux Principes (Sismondi). Ce siècle travaillé en profondeur par la vieille idéologie du progrès peut, donc, être considéré comme une époque marquée par la croyance dans la possibilité d'une connaissance scientifique de la nature profonde des processus économiques. A l'image de la "machine à vapeur", ces derniers sont censés fonctionner sur la base de lois naturelles comparables à celles de la physique ou de la chimie. Les économistes néoclassiques ont encore amplifié ce penchant en direction d'une conception physico-mathématique, si bien que durant la seconde moitié du siècle passé, l'outil mathématique a totalement remplacé la capacité hypothétique de l'analyse économique. Si c'est formel, donc, c'est vrai! A ceci prés, avec l'hégémonie de la pensée anglo-saxonne économique et l'usage de l'anglais, pour certains esprits faibles, la "grande vérité" est à portée de main, encore un laminage du pluralisme.
Le mythe scientifique de l'autonomie et de la puissance de l'économique ainsi que celui de la maîtrise et de l'accumulation sont bien présents aussi chez Karl Marx malgré sa critique du capitalisme et de son idéologie économique. A la lecture du Manifeste du parti communiste son culte du progrès que la culture du capitalisme a créé est incontestable. Par ailleurs, le matérialisme historique avait même comme projet d'être une science valable pour l'ensemble de l'histoire de l'humanité. En toute logique, il en découle une apologie marxiste du colonialisme et du productivisme. Dans cette généalogie, le passage du Marx de l'Aliénation au Marx du Capital va même être considéré, par les disciples, comme celui d'une maturité scientifique progressive. Ce qui est arrivé à Adam Smith est arrivé à Karl Marx. Les descendants de ces deux lignées intellectuelles d'Occident n'ont retenu de leurs ancêtres que les causalités susceptibles d'être énoncées et articulées dans des modèles de pensée réductionnistes et matérialistes. Cet appauvrissement va avoir de lourdes conséquences non seulement pour les humanités du Sud et de l'Est mais aussi pour les peuples qui ont connu la révolution culturelle du capitalisme de l'intérieur. Ces lectures successives vont engendrer des visions simplistes de la vie du capitalisme et de son alternative à savoir le socialisme. Tout le 20ème siècle est jalonné de querelles idéologiques et de totalitarismes durant lesquelles le marxisme momifié dans des dogmes disparaîtra, victime d'une systématisation qui en a appauvri la portée critique. Le libéralisme institué en sort gagnant, non pas à cause d'un renouvellement en profondeur de sa vision, mais, de par la disparition du marxisme. Le modèle unique tire ainsi sa force du dilemme de l'alternative manquante! En réalité, du point de vue de toutes les cultures autres que celle de la civilisation économique du capital, les deux discours ont une même essence celle du mythe de la maîtrise et de l'accumulation illimitée. Cette lecture de l'avenir radieux de la condition humaine se déduit de la culture dite des lumières qui, amplifiée, sans retenue, devient, aujourd'hui, celle des ténèbres pour l'ensemble de l'humanité.
En effet, au fur et à mesure que la civilisation globale renforce son emprise sur la société et sur les hommes, la croyance dans la planification rationnelle, la bureaucratie, le marché, la science et la technologie devient l'icône du progrès humain. C'est une machine à tout uniformiser. Cette globalisation de la pensée et de la pratique, car elles sont inséparables, se fait, sans principe de prudence et clairvoyance quant à la faillite des valeurs et des représentations sur lesquelles se construit, devant nos yeux, une société mondiale totalitaire nouveau genre avec tous les risques multiformes qui en découlent. De par les postulats de la pensée globale, la grande diversité des situations concrètes des populations est superbement ignorée. Une seule et unique voie est proposée, celle du compétitionnisme entre les hommes, les nations, les territoires et leurs cultures. La course aux ressources naturelles et à leurs manipulations imprudentes en découle. C'est la sélection exclusive en ligne, celle que dictent le marché et l'accroissement des profits. Tout ceci se traduit dans les faits par des destructions des diversités stabilisantes tant du point de vue de la cohésion des sociétés que du point de vue des écosystèmes.
Le paradigme en question n'a de global de nom dans la mesure où il se réduit à une seule des instances de la culture du développement à savoir l'économique. Ce caractère parcellaire appauvrit les sociétés capitalistes elles-mêmes dans la mesure où le rôle des autres dimensions de l'existence humaine au sein de la civilisation matérielle est ignoré. Or, même la recherche économique contemporaine version Economie institutionnelle au sens large démontre amplement que la vie économique réduite à la mécanique du marché est indéchiffrable dans toute sa profondeur. Les comportements économiques observables sont révélateurs d'une complexité dans laquelle les dimensions institutionnelles, psychologiques voire culturelles ont un impact certain. Ce qui réduit terriblement les certitudes sur lesquelles le discours économique unijambiste a construit son hégémonie sur la société des humains. En se clôturant sur lui-même, le discours scientifique en matière économique implose et échoue dans ses propres objectifs théoriques et pratiques. Cette uniformisation de la pensée est le signe d'une fragilité croissante de sa consistance et de la nécessité d'un pluralisme et d'une approche multidimentionnelle dans la manière d'aborder les énigmes économiques.
Le marché, la mondialisation et les mathématiques, hypothèses des 3 M, s'accompagnent, aujourd'hui, d'une crise sans précédant du savoir économique. Il y perd sa pertinence théorique et pratique. En ignorant les faits et les pratiques ainsi que leur multiplicité et leur pluralité, le savoir économique engendre sa mort intellectuelle et pratique. Tel un serpent qui mord sa queue, le discours économique globalisant et cohérent dans l'abstrait enferme les esprits dans une linéarité époustouflante. Les anomalies en tout genre s'accumulent et se multiplient sur les fronts sociaux, sanitaires et économiques sans pour autant entraîner de réelles révolutions dans la réflexion. La théorie référentielle en question continue de se reproduire par propagande et trouve ses défenseurs dans les institutions qui prolongent dans l'action la conception en question. Dans ces différentes échelles tout se tient puisque les croyances scientifiques se rationalisent dans des concepts/modèles et se matérialisent dans des institutions officielles de niveau national et international. L'approche critique intégrée dévoile ainsi les relations cachées entre les multiples instances d'un paradigme qui fonctionne par coupure et spécialisations éclatées. En conséquence, la critique doit payer le prix pour découvrir l'intimité ou l'anatomie totalisante du système et du discours qui le légitime. Autrement, un travail de recomposition s'impose.
En effet, face à des pratiques de développement économique issues de la macroéconomie ou des grandes idéologies comme le marxisme, la subtilité des mondes de la petite échelle est sans commune mesure. Cette dissidence19 des réalités du Sud face à l'idéalisme économique venu d'Occident rejoint la problématique du retour de l'acteur et des territoires face au système dans les pays dits développés. Au fur et à mesure que la recherche en sociologie et en économie avance au Sud et au Nord, l'hypothèse de l'imbattable acteur se confirme. Michel Crozier dirait" L'acteur bat le système".
L'effondrement du fordisme dans les pays occidentaux associé à celui du communisme en Europe de l'Est a créé à un vide que le libéralisme, version "économie de l'offre", s'est empressé de remplir20. Ce même discours lénifiant est reproduit à l'échelle de mondiale. La mondialisation est une pure extension du retour de ce libéralisme de conception mécaniste et linéaire. La globalisation, elle aussi, a fait l'objet d'une "propagande scientifique" sans précédant. Ainsi, elle a contribué, pour un temps, à masquer les anomalies cumulatives du paradigme standard des économistes au Nord et au Sud. Aujourd'hui, c'est une grande désillusion bien réelle sur les illusions qu'a fait naître la mondialisation. La pauvreté s'est étendue à l'ensemble des pays du monde au rythme de la mondialisation des échanges et du démantèlement des acquis et des institutions du fordisme au Nord et de celui qu'impliquent les Programmes d'Ajustement Structurel (P.A.S.) dans de nombreux pays du Sud sur endettés.
Ce processus de décomposition généralisé s'accompagne d'une multiplication des insécurités, de crises d'identité et de génocides notamment dans les pays de l'hémisphère Sud, incapables, de par leur fragilité congénitale, de contenir les effets de propagation de la crise économique mondiale. La dite "nouvelle économie" n'a été qu'une parenthèse dans cette crise majeure. Ses effets de régulation n'ont été perceptibles momentanément que dans le contexte de l'économie américaine durant la décennie 90. Tout le monde s'accorde, aujourd'hui, pour nuancer ou même condamner l'épuisement des effets escomptés de la mondialisation. Ce retournement est d'autant plus significatif qu'il s'accompagne d'une prise de conscience des risques et menaces qu'induit un développement scientifique et technique incontrôlable. Les crises écologiques et sanitaires ont diffusé leurs impacts dans le corps des sociétés contemporaines21. Ce qui amplifie les angoisses, en plus des frustrations et des exclusions induites par les mutations économiques en cours. L'économie de l'offre n'offre pas de sens. Tous les ingrédients d'une crise de civilisation sont, donc, réunis. Cette conjugaison de causes multiples explique la montée en puissance des incertitudes économiques et politiques des sociétés les plus consolidées au plan des institutions démocratiques. L'hypothèse d'une crise multiforme de la civilisation économique du capitalisme est donc plausible. Elle exacerbe aussi les conflits de cultures22.

II ) Vers une économie de la proximité et du site

A ) Genèse de la théorie de sites
Face à ce bilan au Sud et au Nord, les tendances de la recherche convergent vers cette nécessité que nous soulignons: la vie économique ne peut être approchée du dedans qu'avec un paradigme capable de l'enchâsser dans les pratiques locales des acteurs. Ce faisant, une seconde nécessité en découle, celle d'un pluralisme économique en raison de la grande variété des trajectoires et des institutions implicites et explicites qui assurent les coordinations entre les agents d'une situation donnée. A ce niveau de réflexion, on ne peut pas séparer les différentes dimensions de la localité. De manière générale, les conventions ne peuvent pas fonctionner sans convictions. Et, derrière les convictions qui assurent l'adhésion, se profile le continent des croyances collectives. Point d'institutions efficaces sur le terrain sans croyances! Il y a donc un sens qui parcourt l'ensemble des niveaux du monde des acteurs. L'acteur en situation ne sépare jamais ce que nous séparons dans l'abstrait pour rester fidèles à des disciplines désuètes. C'est ce caractère indiscipliné qui le rend rebelle à nos connaissances cloisonnées. Il faut donc s'y adapter par une démarche indisciplinée23. C'est l'une des voies qui permettront de lever un des plus grands paradoxes contemporains: malgré le progrès de la formalisation et la spécialisation dans les sciences sociales, l'homme est resté un grand inconnu des sciences de l'homme!
Par conséquent, il faut donc répondre à ces énigmes avec une vision renouvelée capable de mettre en synergie non seulement des disciplines différentes mais aussi les cultures en situation d'échanges et de chocs. C'est à ce programme de recherche que s'est attelé le paradigme des sites.
La montée en puissance de multiples branches de l'analyse économique comme l'économie sociale, l'économie solidaire, le développement local, les territoires, l'économie plurielle et enfin l'économie de la proximité dans les pays même qui s'affichaient comme modèle confirme la pertinence de l'orientation choisie24. En effet, cette littérature25 se réfère à des pratiques dont l'élucidation est irréductible aux hypothèses restrictives et généralisantes de la pensée économique traditionnelle. Ces pratiques peuvent incorporer des mécanismes de marché sans pour autant s'y réduire26. La densité de cette incorporation est, bien entendu, variée et variable selon les situations concrètes et leurs évolutions. Cependant, elles font toutes référence à une approche plus modeste et plus appropriée aux faits économiques. Leur caractère empirique et opérationnel les conduit à une plus grande ouverture sur les dimensions institutionnelles voire culturelles dans certains cas.
Cette approximation conduit tout droit à la proximité dans la mesure où le changement d'une situation est co-produit en situation par les acteurs eux-mêmes. En conséquence, les interactions symboliques et pratiques des acteurs deviennent des objets de recherche et d'action incontournables. Du même coup, l'idée que les processus économiques et de façon plus large les faits sociaux relèvent, au moins en partie, des prophéties auto-réalisantes est soutenable. La notion de participation autour de repères collectifs devient capitale dans ces conditions. C'est à ce niveau que les apports de l'école française des conventions ainsi que celle de la régulation, bien que celle-ci soit macroscopique, se conjuguent et contribuent à un plus grand mouvement de pensée qui met en évidence l'incomplétude de la théorie standard et incite à une approche intégrant les acteurs et la diversité institutionnelle. Dans ces premières phases d'élaboration la théorie des sites a dû fréquenter ces univers théoriques pour mieux se consolider et, par la suite, se situer dans l'univers perturbé de la recherche contemporaine. Elle en porte forcément les empreintes. Les sites et la subtilité de la proximité ne peuvent être compris sans avoir à l'esprit cette trajectoire scientifique qui conjuguent à la fois des résultats de recherche du Sud et du Nord.
Si au départ, les conclusions décrites ici sur les limites du développement transposé Nord-Sud ont constitué la base empirique de la démarche des sites, leur véracité relative s'est vue renforcée par celle que l'on rencontre dans le domaine de la pensée critique du marché dans les pays du Nord. Cette interaction a généré des relations de recherche qui ont fait évoluer les concepts de la théorie des sites vers un statut plus universel. Vu du dessous, la vie économique dans les pays du capitalisme développée ne répond pas, en effet, à un modèle unique. Dit, autrement, le centre ou l'occident n'est pas totalement homogène. La diversité des capitalismes nationaux en dit long à ce sujet. De manière encore plus profonde, les dimensions locales et régionales marquent de leurs empreintes historiques les trajectoires économiques et les territoires à l'intérieur d'un même pays. Les entreprises, à leur tour, affichent, à chaque fois, des spécificités propres à leurs itinéraires, à la variété de la culture de leurs fondateurs et aux contingences de leurs territoires originels. La diversité est, donc, omniprésente, y compris dans les pays à vieille économie de marché. Ces différentes échelles doublées des multiples causes à prendre en considération expliquent les disparités régionales et, par conséquent, l'attrait de la décentralisation, une des solutions qu'imposent les mutations en cours.
En somme, le programme de recherche sur les sites trouve des alliés scientifiques à un niveau ou à un autre, sans pour autant arriver à des conclusions totalement similaires, pluralisme de la pensée économique oblige.

B ) Principes d'économie politique des sites
1°) De l'antiréductionnisme
L'observation des faits du développement apprend qu'en dernière instance les échecs pratiques des projets du développement renvoient à des conflits de sens27 entre les développeurs et les acteurs. Ces qui pro quo découlent du réductionnisme des concepts, catégories et des outils mis en œuvre dans de telles situations. Nous oublions le plus souvent que nos concepts, nos outils les plus palpables renvoient à nos valeurs. Les coupures croyances/concepts, immatériel/matériel, théorie/pratique, réflexion/action, cultures/économie etc. sont autant d'obstacles à franchir pour lever le voile qui couvre les pratiques du développement. Pour sortir de ces impasses, il devient impératif d'énoncer des principes longuement médités et d'inventer des concepts. Ce n'est qu'avec leur recours que l'on peut se représenter une réalité. Osons donc faire ce pas.
La sitologie est une des répliques de la fin d'un monde, celui du déterminisme et du matérialisme dans les sciences de l'homme28. Les principes sur lesquels elle s'est construite présentent une grande plasticité, diversité et incertitude obligent. Le rôle des croyances dans les comportements des organisations humaines, fussent-elles économiques, impose cette grande révolution de la mentalité conceptuelle des sciences sociales. De par la grande variété des contextes d'action, le principe de diversité et de singularité s'impose de lui-même. Ainsi, chaque site29 est singulier. Ce caractère unique est un défi à la pensée unique. Ce qui laisse entrevoir la diversité des pratiques locales. Les contingences donnent ainsi de fortes colorations spécifiques aux modes d'organisation de la vie économique selon les contrées30. Comme la science classique et, par voie de conséquence, la science normale en économie a horreur des singularités, il est impossible d'avancer dans la compréhension des phénomènes économiques, par essence de nature sociale, si nous continuons à nous rattacher à un paradigme uniformisant. Cette limite congénitale suppose, en toute logique, une contestation de l'autonomie et de l'uniformité des principes économiques admis.
Dans ces conditions, le pluralisme est de rigueur. De là découlent d'autres principes à la fois éthiques et scientifiques à savoir le principe de la tolérance et de la prudence. La complexité qu'écarte le réductionnisme est là pour justifier cette nouvelle perspective paradigmatique. Cependant, le principe de la singularité qui conduit à la relativité n'exclut pas de fait un autre principe, celui de l'ouverture. Car un site, tout en étant singulier de par son histoire, est ouvert. Il se nourrit de la diversité pour exister et évoluer. En son absence, il se reproduit sur lui-même et périclite en l'absence d'échanges avec le monde extérieur. La singularité, à terme, conduit à son tour à l'uniformité stérilisante. Le site est, donc, par nature, un système ouvert qui fait sens31. En étant le siège de plusieurs acteurs en interactions symboliques et pratiques à l'intérieur et à l'extérieur de leur monde, le site s'adapte et évolue32. Ces enchevêtrements multiples rendent caduque tout déterminisme. Ainsi, le site relève, incontestablement, d'un univers non linéaire, donc un monde probabiliste fait de bifurcations. Le poids du passé agit sans déterminer. Il se combine, de multiples façons, avec les irruptions du présent et la manière dont les acteurs anticipent. L'héritage33 fait, donc, l'objet d'un décodage permanent au même titre des changements venus de l'extérieur. De par le poids de cette diversité, la sitologie en tant que démarche ne peut être que sinueuse. En ce sens, elle épouse la variété fluctuante des terrains et leurs bifurcations éventuelles. Elle fait sienne l'idée que le chemin se fait en cheminant.
Par conséquent, dans de tels univers, la singularité ne doit pas inhiber l'effort scientifique. Elle n'est pas exclusive de la pluralité dont elle tire sa vitalité. Il y a, sans aucun doute, un équilibre dynamique qui s'instaure entre la singularité et la pluralité, synonyme de changement et de dynamisme du site. C'est pour cette raison que l'hypothèse d'un code de sélection à l'image de du génie génétique est plausible pour parachever la cohérence globale de la théorie du site. Ce code permet de supposer, en toute vraisemblance, que le site opère des sélections du dehors et du dedans. Cette écosynthèse est inhérente à l'ordre des choses. Elle se fait, à son tour, de manière à chaque fois singulière de par les contingences de site ici soulignées. Il n'y a pas de modèle unique en matière de changement. Le changement change en fonction des sites. Chaque mutation est ainsi à situer avec précaution.

Le hasard et la nécessité nous font découvrir chez Martin Heidegger l'herméneutique du site et la façon de le découvrir. Il écrit, en substance, : " Situer veut dire ici avant tout : indiquer le site. Cela signifie ensuite : être attentif au site. Ces deux démarches, montrer où est le site et se rendre attentif à lui, sont l'acheminement préparatoire à une situation. Mais nous aurons fait preuve déjà d'assez d'audace si, dans ce qui va suivre, nous nous contentons de ces démarches préparatoires. La situation, quand elle répond à un acheminement véritable, aboutit à une question. Celle-ci questionne en direction de la contrée à laquelle appartient le site.....La situation médite le site. ". Cette citation suggère bien que le repérage d'un site et de la situation dans laquelle il est, constitue une opération délicate. Situer, c'est indiquer respectueusement et progressivement les contours du site et porter une grande attention à ce qui s'y exprime. L'écoute précède, donc, l'acte machinal. Voir pour mieux savoir et il ne faut pas toujours trop savoir. Face à ce dilemme, le site ne s'ouvre à notre découverte que par une approche ouverte sur son intégrité, sa singularité. Ce qui présuppose une mise en ignorance de toute connaissance qui conduit à l'arrogance. Ce vide attire le plein du site puisque le regard porté sur lui est prêt à le recevoir tel qu'il est. Ce qu'il est ne se dévoile que dans l'intimité de l'amitié et la complicité. La reconnaissance est la porte de la connaissance. Le site aime se faire respecter, l'estime avant l'estimation! Un préalable à notre technique d'économiste.

2° ) Ajustement et code de sélection du site
A ce stade de raisonnement, on voit réapparaître le principe directeur du paradigme de la diversité: la nécessaire adaptation de la pensée et de la pratique à chaque situation. Car, les mêmes apparentes causes n'entraînent pas les mêmes conséquences. C'est donc la connaissance de ce code caché qui nous permettra d'anticiper ou au moins d'approcher le secret du fonctionnement et de l'évolution possible du site. C'est dans sa "boîte noire" que gisent ces mystères. En effet, son exploration dévoile une partie de son anatomie. Elle est constituée d'expériences, d'un parcours, des croyances voire des mythes fondateurs du site. C'est ce qui conditionne ses rituels ainsi que ses rythmes d'évolution et de changement. Rites mythes sites. Tout semble se tenir dans cette énigme
L'ajustement de notre regard à cette boîte noire enfouie dans les couches tectoniques du site est primordial. Elle conditionne le reste de l'approche graduelle du site. Ici, l'interculturalité est d'un atout incontestable. Il faut donc sortir de soi et aller vers l'autre. Ce n'est pas une mince affaire pour les esprits canonisés par la pensée unique, derrière laquelle se dissimulent d'autres croyances, donc d'autres boîtes noires. Comment donc se représenter les croyances des autres si ce n'est adopter le principe de tolérance et de prudence ? C'est une éthique de l'investigation qui limite fortement celle de l'intervention précipitée si caractéristique de la culture technique, donc économique. C'est aussi, une autre manière, de se dire: peut-on croire aux croyances des autres? Ou du moins les respecter. C'est cette complicité que demande la proximité: avoir le courage de faire un voyage respectueux dans le monde de l'autre. Ici, le développeur est déstabilisé. Le problème posé change de côté et impose de lui-même la modestie. La complexité efface ainsi le complexe du développeur. C'est lui qui doit changer pour mieux comprendre et accompagner le changement qu'exige le site au plus profond de lui-même. Nous sommes tentés de dire "change-toi avant de changer le monde", une philosophie à l'opposé du développementalisme et de l'économisme.
De même, l'ensemble de ces principes impose la nécessité d'approcher la "boîte conceptuelle" du site. Nous pouvons supposer qu'elle est constituée d'un savoir social, de théories et de modèles dont la pertinence pratique impose un ancrage dans la boîte noire. Ce second ajustement est aussi impératif car la philosophie et l'histoire des sciences nous ont appris à nous méfier de la neutralité des concepts quel qu'ils soient. Si cela est vrai dans le domaine des sciences dites dures, il ne peut qu'être capital dans les sciences de l'homme.
En effet, l'histoire d'une science aussi pertinente qu'est la physique quant à l'explication des énigmes de la nature démontre que l'objet observé dépend du poste d'observation. Les conditions expérimentales ainsi que les visions et les concepts des scientifiques sont donc parties prenantes de l'état perceptible d'un phénomène observé. L'objet en question se retrouve modifié par les outils d'observation qui prolongent aussi les théories scientifiques. Les premiers peuvent ainsi apparaître comme des formes matérialisées des seconds. L'instrument n'est, donc, jamais totalement neutre. Que dire donc des données et des indicateurs économiques? Leur mode de collecte comme leur identification dépendent toujours d'un regard, lequel regard dépend, au moins, implicitement des concepts et des définitions admises dans le cadre plus général d'une théorie. Encore, des conventions!
Pour aller à l'essentiel, les données, en réalité, ne sont jamais données si ce n'est avec un certain a priori! C'est d'ailleurs ce qui amène certains grands physiciens à reconnaître que l'on ne connaît pas grand chose de l'intimité de la nature34. Dans ces conditions, les vérités construites de la physique naissent d'abord d'un discours sur la nature. C'est donc la théorie qui décide de tout y compris ce que nous observons et mesurons. Par voie de conséquence, on ignore ce qui lui échappe. Une théorie aura, par conséquent, tendance à ne chercher que ce qui semble la vérifier dans les faits qui, plus et, ne peuvent pas être totalement approchés en dehors d'elle-même. Cette circularité est bourrée de pièges épistémologiques. C'est ce qui rend ardu la définition exacte des critères de scientificité. Ce n'est donc pas un hasard que nous soulignons, entre autres, la pertinence de la théorie de l'histoire de la science de Thomas Kuhn35. Chaque paradigme renvoie, en fait, aux croyances de sa communauté scientifique. Il y a donc incontestablement une vision voire un imaginaire implicite aux pratiques scientifiques. C'est, donc, aussi, une sorte de site de croyances scientifiques qui structure et conditionne l'ensemble du processus scientifique d'une époque ou d'une société y compris ses modalités les plus concrètes et les plus matérielles comme l'est celle de l'observation des faits. Cette science normale trouve son essor jusqu'à l'apparition d'anomalies cumulatives qui détruisent la normalité en question.
En reprenons à notre compte l'ensemble de cette perspective, il devient nécessaire d'imaginer un nouveau paradigme en économie susceptible de répondre aux énigmes non résolues en l'occurrence la dissidence des faits, des pratiques et des comportements économiques que nous rencontrons dans d'innombrables expériences de terrain. L'idée de l'ajustement conceptuel au site incite à la formulation d'un paradigme flexible eu égard à la grande variété de notre monde et aux incomplétudes de l'autonomie de l'économie36. Comme dit Ilia Prigogine, Prix Nobel de Chimie, avec une évidence frappante " le problème économique n'est pas un problème autonome, parce que finalement il ne tient pas en compte la psychologie des personnes."37. Il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui, à suite de l'économie des conventions38, l'économie cognitive39 soit à l'avant garde de l'analyse économique.
Par conséquent, l'ajustement à la vision de l'acteur est essentiel. Elle varie au gré des sites et de leurs propres dynamiques. Le site est lui-même plus qu'une vision, c'est une cosmogonie. Cette notion suggère le type de relations qu'ont les hommes d'une contrée donnée avec l'univers, la nature, la relation à l'autre, la façon de se représenter la réalité et la vérité. La "boîte à outils" du site ne peut qu'être marquée par ces caractères spécifiques à la vision qu'ont les acteurs de leur monde. En toute logique, le savoir-faire, les outils, la conception du temps, l'argent, les capitaux, l'entrepreneuriat, les modèles d'action, les routines des modes d'organisation quel qu'ils soient en portent forcément les empreintes. Ici le visible prolonge l'invisible notamment le monde caché de la boîte noire du site. Ce qui confirme l'idée que les institutions et les outils sont des technologies intellectuelles et cognitives40. De proche en proche, nous nous rapprochons inexorablement de la problématique du sens.
En effet, pour durer, le site emprunte au religieux sa capacité à relier les hommes. Il produit du sens et consolide ainsi ses institutions. Ce faisant, il assure la cohésion et la coordination entre les hommes. En ce sens, il développe des mécanismes d'intégration au lieu et au groupe d'appartenance41. L'ensemble est huilé par des croyances partagées qui motivent et veille sur les débordements et les excès de la concurrence, de la convoitise et du mimétisme destructeur.
Tout semble donc imprégné par le site symbolique, les concepts comme les outils et les institutions. La métaphore des 3 C résume ses enchaînements: croyances, connaissances et comportements. Le sens sur lequel tourbillonne le site parcourt et articule ces différents niveaux de réalité. C'est ce qui produit sa cohérence pratique et du même coup relie la technique à l'éthique. Lorsque l'ensemble de ces interrelations est défait c'est la dérive et au bout un chaos technique. Dans ces conditions de destruction, pouvant venir de l'intérieur et de l'extérieur y compris sous forme d'un altruisme développementaliste, le site perd sa capacité à gérer et à faire évoluer son monde, d'où le principe de prudence quant à l'intervention dans une situation donnée. Ces destructions ne sont pas porteuses d'une restitution de capacités réelles à gérer les projets introduit à l'insu du site. Ils finissent aussi par être détruits ou moins détournés vers d'autres finalités lorsque le site a su préserver des capacités de décryptages et de résistance lors des crash de modèles. Son code de sélection présente, donc, une sorte de douanes invisibles. Le site filtre les entrées et les sorties pour préserver son intégrité. Dit autrement, " Originellement, site (Ort) désigne la pointe de la lance, écrit Martin Heidegger, notre philosophe de la technique, C'est en lui que tout vient se rejoindre. Le site recueille à soi comme au suprême et à l'extrême. Ce qui recueille ainsi, pénètre et transit tout le reste. Comme lieu du recueil, le site ramène à soi, maintient en garde ce qu'il ramène, non pas sans doute à la façon d'une enveloppe hermétiquement close, car il anime de transparence et de trans-sonance ce qui est recueilli, et par-là seulement le libère en son être propre. "42.

C ) Proximité, homo situs et rationalité
1° ) L'énigme de la proximité
Les principes exposés montrent que le site est d'abord une entité imaginaire, un système de croyances partagées qui assurent sa cohérence. Sa rationalité ne prend sens que dans le cadre des multiples relations entre ses instances. Autrement dit, dans le monde factuel, contrairement aux pratiques disciplinaires cloisonnées, l'acteur ne sépare pas ce nous séparons dans le monde de l'abstraction. L'idée d'autonomie de l'économique s'évanouit d'elle-même dans cette conjecture. Ce que l'on pourrait désigner comme économique se retrouve enchâssé dans le site et par le site. Ce qui remet en cause, et, en profondeur, l'idée de lois naturelles dans les comportements des organisations et des systèmes économiques. La montée en puissance des pratiques sur de petites échelles exprime le besoin vital de l'auto organisation des organismes sociaux face au chaos du global. Le marché global et abstrait est générateur d'incertitudes dans les faits. Dans ce contexte, le site apparaît comme un réducteur d'incertitude. C'est l'expert collectif cognitif. La confiance, l'intimité, la durée, les normes et les institutions du site etc. contribuent à donner plus d'épaisseur sociale aux relations entre les hommes, fussent-elles marchandes. En somme, le site se construit pour créer des repères collectifs et de la confiance. En cela, il est générateur de modes de coordination hors marché qui viennent en soutien ou se substituent aux mécanismes du marché. Les entités en jeu dans cette hybridation de l'économique présupposent une proximité et c'est la relation ou même l'adhésion au site qui la procure.

L'échelle de ce que nous sommes tentés de qualifier de " locale" est mouvante. C'est une représentation et en tant que telle elle est relative à l'observateur. Une définition fixe, une bonne fois pour toute, du local et du site nous paraît illusoire. Il y a autant de localités que de perceptions des acteurs concernés. Il peut même y avoir des superpositions de ce que l'acteur juge être son territoire voire ses territoires d'appartenance. Tout indique que le poste d'observation en la matière est essentiel comme il l'est dans la physique. La prudence doit être donc de règle dans ce que nous entendons par localités, site et proximité. La proximité est généralement perçue sous l'angle physique comme, d'ailleurs, la notion de site. En réalité, la proximité ne peut pas être approchée sans tenir compte de l'espace symbolique du site, fait de liens sociaux et de croyances partagées. La relation inverse est aussi vraie, pas de site sans proximité de perceptions et réciproquement. Le local ne peut être défini par une quelconque science. C'est la conscience d'appartenance qui délimite les frontières fluctuantes de cet espace qui se construit dans le temps et les interactions entre les acteurs d'un lieu dit.

En somme, dans sa profondeur existentielle, le site est proximité et complicité. Mais, Si cette proximité est irréductible à une dimension purement physique ou matérielle, elle est de nature immatérielle comme le site qui la porte. Elle relève d'un sens commun et d'une organisation qui conjugue des différences autour d'un sens partagée ou d'un respecté mutuel. La proximité est donc cognitive avant de prendre des formes plus ou moins visibles et palpables. C'est ce qui explique sa complexité. Comme le site qui la crée, elle présuppose dans sa formation généalogique une durée, donc des expériences communes et des rencontres. Apprendre à se connaître fait partie des procédures de production des sites et de la proximité qu'ils assurent. C'est pour cette raison qu'il n'y a pas de territoires sans histoires. La mémoire fait donc, aussi, partie des mécanismes de la proximité. Elle est mémoire vive par les excitations que présuppose le processus perpétuel de recomposition du site.
En d'autres termes, la proximité s'entretient à partir de la permanence des échanges et du récit du site sur lui-même. Mobiliser la mémoire, c'est aussi produire du territoire et par-là même de la proximité dont peut se nourrir la vie économique. Comme le site, la proximité ne peut être approchée qu'à partir des représentations communes des acteurs. C'est à partir d'elles que l'on peut identifier l'identité du site et de son territoire. Au départ, tout part de l'imaginaire. La proximité n'y échappe pas.
Aussi subtile que le site qui la produit, la proximité résiste à notre entendement surtout si nous ne faisons pas l'effort de l'ajuster à celui du site. Dans ces conditions, l'intimité de la proximité nous demeure insaisissable. Le proche et le lointain sont en perpétuel télescopage et cela dans le même lieu. Voisin et loin, ça existe. Loin et proche aussi ou comme le dit, un poète arabe " proche d'un loin et loin d'un proche". Mesurer le proche et le lointain comme paramètres de l'espace et du temps conduit à l'épuisement. La proximité, la vraie, est impossible à expérimenter. Elle échappe à la méthode paramétrique. Elle fait même fuir la dite proximité. " Ce qui est étrange, écrit notre philosophe,....le voisinage même demeure invisible. Ainsi en est il du reste, dans le quotidien " 43. Et, de rajouter, " Le pas qui prend du recul jusqu'au lieu où l'être humain a site demande autre chose que le pas en avant par lequel le progrès nous précipite dans le machinal " 44.
Pour se conjuguer dans la proximité, le temps et l'espace doivent contenir autre chose. C'est ce que M. Heidegger désigne par le vis à vis de l'un pour l'autre ( das Gegen-einander-über)45: " Nous avons tendance à nous représenter le vis à vis l'un pour l'autre seulement comme une relation entre des êtres humains.....Or, le vis à vis l'un pour l'autre vient de plus loin, à savoir de cette large ampleur en laquelle terre et ciel, dieu et homme s'atteignent. "46. Ainsi, le site retrouve toute sa plénitude.
Cette lecture philosophique est importante dans le cadre de l'humanisation de la démarche économique des sites. Elle nous sensibilise à l'écoute et à la relativité de nos catégories, souvent, abstraites sans liens forts avec la grande diversité des subjectivités des espaces vécus..
En définitive, pour nous résumer, l'appartenance au site contribue à la proximité même si elle ne la détermine pas toujours en raison des conflits pouvant exister au sein même du site. L'une ne peut aller sans l'autre.
2°) Ambiguïtés du site, homo situs et rationalité située
Comme le suggère les principes de base de la théorie du site, la pluralité, la complexité des interactions entre les adhérents etc. peut aussi induire des stratégies qui manipulent le site en direction d'un pouvoir et d'un avoir sur le territoire. Ici, la stratégie prend le dessus sur l'éthique du site. La tactique remplace ou instrumentalise l'éthique du site. Le site n'est pas donc un lieu totalement paisible, il est le foyer d'une dynamique foisonnante dans laquelle l'opportunisme et la clandestinité de certains objectifs individuels et collectifs peuvent aussi se dissimuler derrière les habits du site. Il n'est pas dans la nature de l'homme d'être toujours bon. Comme le dit un proverbe marocain: "malin déguisé en naïf". Ici, le concept d' l'homo situs47 , l'homme situé, qui fuit les divisions du rationalisme économique se dévoile beaucoup plus compliqué, donc plus humain et concret, que le concept d'homo oeconomicus. Eu égard à la complexité des pratiques des hommes, ce dernier est d'une simplicité et d'une transparence étonnante et paralysante.
Tandis que l'homo situs peut avoir un aspect bienveillant et/ou malveillant. C'est donc un génie malin, pouvant être coquin et sympathique à la fois et c'est même ce mélange qui assure son efficacité sur le terrain. Cette ambivalence est omniprésente dans les comportements humains. C'est ce qui les rend, d'ailleurs, rebelles à tout réductionnisme. Pour produire de la cohérence et de la cohésion nécessaire à la vie en société et limitant au maximum l'incertitude, le site tend à faire pencher la balance en direction de la bienveillance. Cette harmonisation mobilise les croyances communes et les codes moraux locaux qui, dans la pratique, organisent la coordination de l'organisation sociale du site. Et, ici, même la concurrence a besoin de son contraire, la coopération. Ce qui dévoile la nécessité de la pluralité.
Loin de la rationalité économique standard et de la rationalité limitée qui la corrige et la dépasse en soulignant le déficit informationnel et cognitif du décideur, la rationalité située prend en charge la grande variété anthropologique des sites qui ne manque pas d'avoir des effets certains sur la rationalité "économique" du site et de ses acteurs. Ainsi, la rationalité située est une construction sociale in situ. De par la complexité de la dynamique du site, elle est indéterminée. Elle se réalise en se réalisant en raison du principe d'incertitude que combat le site en temps que producteur de confiance et de conventions sociales. En somme, la rationalité située restitue les données éthiques et stratégiques du site. Elle est, par hypothèse, hybride, composite, variée et variable, d'où sa complexité face à laquelle se trouve tout réductionnisme cherchant à la modéliser, une bonne fois, pour toute. C'est la fin de la culture de maîtrise dans les sciences rationnelles de l'homme48 le début de la pédagogie d'écoute et de l'accompagnement.
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Conclusion:
Au terme de ce cheminement, il est incontestable que la pensée économique traditionnelle doit abandonner son projet d'une autonomisation pure et dure de son propre territoire intellectuel. Elle doit, en tant que science de l'homme, s'ouvrir à la diversité des disciplines et des cultures d'autant plus que le système qu'elle tente de légitimer est à bout de souffles. Sa crise multiforme conduit directement à une entropie économique, sociale et écologique. Il s'agit bien d'une crise de la civilisation économique. Par conséquent, les remèdes standard sont, aujourd'hui, dans l'incapacité à traiter concrètement les anomalies constatées. Ce qui veut dire en clair que le pluralisme économique est la seule voie d'avenir pour corriger l'égarement des abstractions généralisantes de l'économisme dont la mondialisation par le haut induit des crises et des naufrages de sociétés entières. Le paradigme alternatif sera, forcément, transdisciplinaire, interculturel et flexible dans ses concepts comme dans ses pratiques. Ce n'est qu'à cette condition qu'une civilisation planétaire de la diversité est possible, entraînant à sa suite, un respect de la nature et de la grande variété des peuples et de leurs territoires de vie. Dans ce contexte, la théorie des sites est une modeste contribution à l'intérieur de ce grand mouvement social qui cherche des racines dans l'ouverture et la diversité des hommes et des sociétés.

A Villeneuve d'Ascq (Nord de la France) le 22 mai 2002

1 Martin Heidegger , Acheminement vers la parole, TEL/Gallimard, 1976, Paris. 2 Cf. Notre dernière contribution: Les économies dissidentes, Revue Internationale d'Economie Sociale, Institut d'économie sociale, Maison des sciences de l'Homme, avril 2002. Paris 3 Cf. Hilary Putnam,: Raison, vérité et histoire. Les éditions de Minuit. Paris, 1981. Voir aussi Dosse François: L'Empire du Sens. L'humanisation des sciences humaines. La Découverte, Paris, 1997. 4 Dans les critères du progrès tel qu'ils ont été définis en Occident, les pays pauvres ont tout essayé: marxisme, nationalisme et libéralisme, sans pouvoir se libérer de l'héritage colonial et de la décadence. Au poids de leurs histoires s'ajoutent les manipulations extérieures et intérieures de leurs identités et de la modernité par les élites stériles qui les gouvernent. En alliance avec les grandes puissances, elles en tirent des rentes sans projet collectif motivant pour la grande majorité des habitants de ces contrées. 5 H .Zaoual, The Maghreb experience : A Challenge to the Rational Myths of Economics. Review of African Political Economy, Vol. 26 N° 82, 1999.. p. 469-478. Carfax Publishing Company. United Kingdom 6 Si, l'histoire intellectuelle et pratique de l'émancipation de l'économie vis à vis de la société est connue, le jeu subtil des interactions entre la catégorie économique du capital et le milieu dans lequel il s'introduit est loin d'être exploré dans toutes ces profondeurs. Les expériences du développement nous ont appris que les configurations de ces interactions fondamentales ont des natures multiples et surprenantes, la " marée de l'informel " dans les pays du Sud en est une parfaite illustration. Toutes les conditions préconisées par la théorie du changement par l'économique peuvent être réunies sans pour autant entraîner les effets escomptés. Et, c'est là où surgit l'impuissance du modèle et la puissance du site. A vrai dire, l'illusion scientifique est omniprésente. Et ici, les constats empiriques demandent une réelle réévaluation de nos modes de pensée. En science, il est toujours tentant d'exposer de manière déductive, de A à Z, ce que nous croyons connaître en omettant de discuter sur ce que nous ignorons. 7 Cf. H.Zaoual, L'économie institutionnelle africaine. une pensée économique métisse en marche. Revue Techniques financières et Développement Epargne Sans Frontière Numéro 52 septembre- octobre 1998 p 48-63, Préface du Professeur C. De Boissieu. 8 Voir, par exemple, un de des ouvrages de Ndione E.S. " Le don et le recours. Ressorts de l'économie urbaine". Editions ENDA, 1992, Dakar. 210 pages. ouvrage publié aussi dans les éditions Karthala. 9 Cf. Robert D. Putman, " Bowling Alone: America's Declining Social Capital" An Interview with Robert Putnam Journal of Democracy 6:1, Jan 1995, 65-78 Copyright (c) 1995 The National Endowment for Democracy and The Johns Hopkins University Press. Voir aussi Robert D. Putnam, Making Democracy Work: Civic Traditions in Modern Italy, Princeton: Princeton University Press, 1993 10 En réalité, les dynamiques informelles ont leurs propres structures endogènes. Celle-ci sont le plus souvent implicites et renvoient à des univers complexes que le réductionnisme des experts est dans l'incapacité de déchiffrer à l'aide de concepts non ajustés. 11 Cf. .Zaoual H, -The Economy and The symbolic sites of Africa. ( numéro spécial sur la méthode des sites appliquée aux économies africaines). International Journal of Intercultural and Transdisciplinary Research, Vol. XXVII, n0 1. Winter 1994. Issue n0122 . Montreal. Canada. Version réduite: H. Zaoual, 1997, The Economy and Symbolic Sites. p.30-p39, contribution à un ouvrage collectif sous la direction de Majid Rahnema (University of California / BERKELEY et Victoria Bawtrée, The Post-Development Reader. Zed Books London and New Jersey USA ,1997. 12 Le titre de l'ouvrage de Serge Latouche est assez suggestif à ce sujet, voir L'autre Afrique. Entre don et marché. Bibliothèque Albin Michel Economie, Paris, 1998. 13 Voir, par exemple, Friedberg Erhard: "Les quatre dimensions de l'action organisée" Revue Française de Sociologie - p.534, XXXIII, 1992, pp.531-557. E.Friedberg souligne, à juste titre, que : "La formalisation d'une organisation n'est donc jamais que la partie visible de l'iceberg de sa régulation effective". Dans toute organisation cohabitent plusieurs mondes (formel/informel, visible/invisible, explicite/implicite, singulier/pluriel...). La partie visible et formelle de ce puzzle est la "région" immergée du site. L'expérience montre que c'est le "monde souterrain" de cet ensemble qui est pertinent dans le déchiffrage des pratiques des acteurs : relations informelles, les non-dit, l'entre-soi etc.. De nombreux auteurs, comme J.F.Dortier et F.Stoeckel ("Dans les coulisses du lien social" - Sciences Humaines Hors série, n°5, Mai-Juin 1994) mettent en évidence le caractère indispensable des dynamiques "informelles" dans la vie des organisations formelles. En substance, elles alimentent, enracinent, arrondissent et accroissent la souplesse des systèmes formels. Ces deux auteurs soulignent aussi que l'"informel" est toujours la partie "immergée" du site (relations informelles, boîte noire, réseaux de connivence, des complicités-conflits...). Tout se passe aussi comme si les phénomènes de l'organisation étaient travaillés par toutes sortes d'antinomies : ordre/désordre, uniformité/variété, unité/diversité, stabilité/instabilité. 14 Du côté de la consommation, des mécanismes d'aliénation comparables ont cours. Le système use de la séduction pour stimuler la consommation. La marque, la publicité et, de façon générale, le marketing créent et exploitent des symboles et des concepts qui font référence à l'appartenance à des groupes réels et/ou imaginaires. 15 Cf. H.Zaoual, " Le site et l'organisation en économie du développement" in Canadian Journal of Studies on Development, Volume XXI n° 2, 2000 Ottawa, 2000 16 Voir les travaux de Philippe D'Iribarne : " La logique de l'Honneur". Collection Points Edition Seuil, 1993, et récemment un ouvrage collectif sous la direction du même auteur : " Cultures et Mondialisation. Gérer par delà les frontières". Seuil, Paris, 2000. Voir aussi - Diversité des Cultures et mondialisation, au delà du culturalisme et de l'économisme, Sous la direction de Henry Panhuys et H. Zaoual, L'Harmattan, 2000. Réseau Sud/Nord et G.R.E.L. 250 pages. 17 Thomas Kuhn, Structures des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983; Paris 18 Tout le projet scientifique de l'économie pure consiste à supposer qu'il existerait une " nature économique" indépendamment des croyances, des cultures et des histoires de sociétés. Et, c'est la connaissance de cette " nature " qui permettrai de codifier des lois scientifiques à caractère universel. Cette " nature" est donc supposée observable, en toute neutralité et théorisable dans des modèles. Au delà des différences décelables ici et là, à la racine, la science économique repose sur ce principe. En conséquence, elle interdit (ou censure) l'influence des facteurs ne relevant pas de son domaine disciplinaire. Le site intellectuel de l'économie politique est donc sélectif et relativement clos. Si les populations des sites cibles exigent d'intégrer leur sens et leurs institutions dans le changement, l'économiste leur offre au mieux des causes mécaniques Les procédures qui en découlent sont, en conséquence, appauvrissantes pour la connaissance des organismes sociaux et économiques. De fait, les comportements économiques ne sont pas, en réalité, des objets extérieurs à la perception de l'observateur et à l'influence des facteurs du milieu sur les comportements des individus et des organisations. Les limites des modèles de développement économique montrent que les modèles réducteurs sont producteurs d'illusions scientifiques. D'ailleurs, la théorie économique contemporaine l'a bien compris et s'oriente de plus en plus, tant bien que mal, vers des visions plus complexes de la vie économique 19 Cf. Pratiques de la dissidence économique. Réseaux rebelles et créativité sociale. Sous la direction de Yvonne Preiswerk et Fabrizio Sabelli Les NOUVEAUX CAHIERS DE L'INSTITUT UNIVERSITAIRE D'ETUDES DU DEVELOPPEMENT. I.U.E.D de GENEVE. SUISSE. Juin 1998. 20 D'une époque à une autre, en économie, on peut soutenir une conception et par la suite tout son contraire. Cette volatilité extrême de la pensée économique est déroutante d'autant plus que les réalités du terrain semblent, plutôt, beaucoup plus mitigées et nuancées que le prétendrait une quelconque théorie. 21 Cf. par exemple, Ulrich Beck, La société du risque, Aubier, Paris, 2001. Voir aussi "Nous avons besoin d'une culture du risque" entretien avec le Monde, mardi le 20 novembre, 2001.Cet auteur souligne bien que la science et la technique deviennent, aujourd'hui, une des principales sources des problèmes de la société industrielle. Leur développement mine les compétences des experts et des hommes politiques. En raison de leur nature cumulative à conséquences majeures, l'auteur incite à intégrer le risque et l'incertitude au coeur même de toute décision. L'aléa ne doit plus être à la périphérie mais au centre du savoir et du pouvoir sans pour autant les paralyser. 22 Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Editions Odile Jacob, 1997. Sans être d'accord sur ses arrières pensées et les coupures entre les aires culturelles et religieuses (Occident, hindouisme, islam, confucianisme, Afrique etc. ) que l'auteur met en évidence pour asseoir son paradigme civilisationnel, l'approche en termes de singularités civilisationnelles contient des éléments incontestables quant à la description de l'état du monde qui se dessine devant nos yeux. Ce caractère de diversité peut même être multiplié à l'infini jusqu'à des micro sites culturels à l'échelle du moindre territoire d'appartenance. Il exprime la vitalité des groupes humains et leurs résistances à l'uniformisation imposée par les forces économiques globales. Sous la globalisation prolifère une diversité à l'intérieur comme à l'extérieur du capitalisme. Ces réalités sont irréductibles à un seul modèle d'interprétation et d'action. Ce qui rend poreuse l'extension de l'occidentalisation du monde entendue comme modèle unique. Les emprunts de toute nature peuvent aller d'un lieu à un autre sans donner, en profondeur, les mêmes effets en raison des multiples codes de sélection de la grande diversité de cultures et de civilisations. Notre problème est comment harmoniser cette diversité dans le cadre d'une conception économique respectueuse de la nature, de la diversité locale et mobilisant les apports de toutes les cultures du monde. Ce qui n'est pas le point de vue de Samuel P.Hungton. En ignorant le métissage, sa théorie est plus portée sur le conflit que l'harmonie. Elle sert comme arme théorique à l'impérialisme US. 23 - H. Zaoual, La "Sitologie": une démarche économique "indisciplinée" introduction à l'ouvrage collectif: S.Latouche, F. Nohra et H. Zaoual: Critique de la raison économique. Introduction à la théorie des sites. Octobre 1999, L'Harmattan. 24 Se reporter aux travaux du G.R.E.L.: - Kherdjemil B., H.Panhuys et H.Zaoual, 1998, Territoires et dynamiques économiques, ouvrage collectif. Editions l'Harmattan.1998. Coordination et introduction ( p9-p25). Paris. -H. Zaoual, Les dimensions relationnelles du développement local. Introduction à l'ouvrage collectif : La socio-économie des territoires. Expériences et Théories. 342 pages. L'Harmattan.1998.. Coordination et introduction p13-p23. Paris. 25 Se reporter aussi à l'excellente somme que représente l'ouvrage de Benoît Lévesque, Gilles L. Bourque et Eric Forgues qui font le point, au plan théorique, des multiples courants de la pensée économique (M.AU.S.S., école de la régulation, économie des conventions etc.) qui se démarquent du paradigme économique traditionnel: La nouvelle sociologie économique, Desclée de Brower, 2001, Paris. 26 Cf. par exemple, le numéro spécial, Qu'est ce que le tiers secteur?, Sociologie du travail, n°42 , 2001. 27 Nous y faisons référence à cette énigme dans les premiers textes relatifs au cheminement de la théorie des sites. Jamais publié, cette contribution porte l'intitulé: "- La querelle des sens : "le Tiers monde joue aux dés". Colloque International -Réseau Sud - Nord - Glasgow (13-18 septembre 1990) " Towards the understanding of the implicit meaning of local practices " Ecosse. 28 Le principe d'incertitude a signé la fin de la science classique dont le déterminisme a volé en éclats devant les avancées des théories de la relativité, de la mécanique quantique et, aujourd'hui, du chaos. Dieu devenu une "hypothèse inutile", Laplace l'avait remplacé par un "système monde", cette conception mécaniste est, maintenant ,à bout de souffle. Elle n'a plus sa place face aux nouvelles nécessités qu'impose l'évolution et la complexité de notre monde. Malgré les révolutions qui ont touché le modèle scientifique de la physique imité par la science économique, cette vision mécaniste survit encore en économie. Il n'y a qu'à réfléchir sur la mondialisation comme modèle unique pour s'en rendre compte. 29 Dans la pratique, le concept de site est flexible. Il peut s'appliquer à de multiples échelles et organisation: un quartier, une ville, une région, une localité quelconque, une tribu, une ethnie, une communauté de fait d'origine diverse, un pays, une culture, une civilisation, une profession, un métier, une entreprise ou organisation quelconque etc. Ces mêmes entités peuvent se combiner de diverses manières et donner lieu à un macro site contenant une pluralité de sites ainsi de suite. Il faut donc situer, à chaque fois, le niveau d'application de la notion. On peut être, à la fois, romain, italien, européen ou berbère, citadin, marocain, maghrébin, africain, francophone, universitaire etc. 30 Bayard. J.P., (sous la direction), " La réinvention du capitalisme", Karthala 1995. 31 Cf. " Modernités et recomposition locale du sens". Actes du colloque des 19, 20 et 21 mai 1999. Textes réunis par Jean-Emile Charlier et Frédéric Moens. Facultés Universitaires Catholiques de Mons (FUCaM). Mai 1999. Cette problématique de " sens" est aussi reprise par Dosse François: " L'Empire du Sens. L'humanisation des sciences humaines". La Découverte, Paris, 1997. A titre d'expérience, les recompositions entre les univers formels et informels de la vie économique dans les pays du Sud se font dans des contextes où visiblement les pratiques économiques observables sont fortement intégrées à des espaces sociaux locaux. Les fais économiques y sont entremêlés avec des codes sociaux qui mobilisent le sens implicite des pratiques locales. Ici, l'usage classique de la science qui consiste à mieux séparer pour mieux comprendre devient même un obstacle épistémologique. L'expérience dicte, au contraire, qu'il vaut mieux mettre ensemble pour mieux comprendre. La théorie économique doit tenir compte de ces leçons que procure l'économie du développement. Ici, l'expérience du Sud enrichit la connaissance économique universelle en direction d'une pensée économique qui se doit d'être flexible et ouverte dans ses hypothèses et ses concepts. 32Pierre Lévy, Les technologies de l'intelligence. L'Avenir de la pensée à l'ère informatique, p 596-605 in Sciences de l'information et de la communication S/D Daniel Bougnoux, Larousse.1993. Texte tiré de l'ouvrage de l'auteur intitulé : Les Technologies de l'intelligence : l'Avenir de la pensée à l'ère informatique, La Découverte, Paris, 1990. En s'inspirant des travaux de Pierre Lévy sur le concept d'interface Homme/machine, une manière d'humaniser la technique, il est difficile de continuer à croire aux conceptions déterministes. Ce qui nous suggère que même si le site détermine il est aussi déterminé par toutes sortes d'interactions internes et externes. Il n'y a pas de " nécessité en dernière instance " ou un point fixe donné d'avance comme le met en avant l'approche de Pierre Lévy. Le point fixe se fixe au fur et à mesure des interactions entre acteurs !La théorie des sites montre bien que les univers sociaux ont un caractère dynamique et ouvert sur le changement et l'adaptation. De ce fait, le site est une sorte de point fixe éternellement en recomposition. C'est une construction sociale qui se construit en permanence sous l'impulsion des désordres inhérents à la nature des organismes sociaux. C'est donc une mise en ordre du désordre dont ont besoin les acteurs pour se repérer et agir sur leur réalité. En ce sens, ils ont besoin de donner un sens à leurs actions et interactions locales et concrètes. Le sens de leurs pratiques soutient et donne une direction à la manière dont ils se coordonnent dans un univers perturbé. Cette adhésion/construction structure et produit des routines organisationnelles et donne au site dans son ensemble le caractère d'un " habitus anthropologique " momentané. Le site devient ainsi un code social, le siège des coutumes locales, le temps qu'elles soient soumises à l'évolution donc à la sélection du changement de l'environnement ainsi de suite. A ce niveau, tout peut concourir au changement y compris le moindre facteur insoupçonnable. La démographie des agents et des facteurs du changement est tellement vaste et variée que le moindre déterminisme est à prendre avec précaution. 33 Comme les fourmis, les hommes marchent sur les traces de leurs ancêtres. Il suffit qu'une trace transparaît dans l'épaisseur du site pour faire naître une voie. Dit dans le langage de la nouvelle science du chaos, une petite fluctuation peut générer un nouveau système ainsi de suite. Dans le monde humain de multiples bifurcations sont possibles car la décision de l'homme est compliquée. Elle dépend de la grande variété du passé et de la multiplicité dans la manière d'anticiper le futur. Dans ces conditions, l'évolution est indéterminée. Suivre les émergences est la seule manière de conduire les affaires humaines. Favoriser les émergences et décourager les solutions toutes faites. Ceci conduit à une véritable révolution dans toutes les dimensions de la société. Il n'y a plus de centre et de hiérarchie. Le partage et la flexibilité de la pensée et de la pratique deviennent ainsi prioritaires. La société du savoir et de l'information semble, d'ailleurs, exprimer cette nécessité vitale. Et, ici, le principe de l'incertitude, à la condition de l'adopter comme culture, devient un principe moteur de la créativité et de l'innovation dans la mesure où il musèle l'a priori et le déterminisme bureaucratique. Si le monde la physique est devenu indéterminé et probabiliste que dire du monde humain et économique? 34 Cf. Michel Cazenave, Sous la direction, Dictionnaire de l'ignorance. Aux frontières de la sciences, Bibliothèque Albin Michel Sciences. 1998, Paris. 35 cf. l'œuvre de ce physicien-historien notamment Structures des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983; Paris 36 Cf. H.Zaoual: La pensée économique peut-elle être flexible? in Cultures et Structures économiques. Vers une économie de la diversité, ouvrage collectif sous la direction de Roland.Granier et Martine Robert, Faculté d'Economie appliquée, Aix-Marseille, à paraître aux Editions Economica juin-octobre 2002. 37 Comme l'exprime, de manière simple, un regard extérieur à notre domaine, celui de Ilia Prigogine, Prix Nobel de Chimie, "Science et société"p. 22 in Science, Traditions et Management, Centre d'Etudes et de Recherche des Dirigeants, Forum International Pluridisciplinaire, Fès 28-30 mai 1999, Editions CDR Maroc. 38 L'acte fondateur de cette école de pensée est le numéro spécial de la Revue Economique n°4, mars, 1989 : L'Economie des conventions. Voir aussi, Boltansky Luc et Thevenot Laurent, 1991, De la justification : les économies de la grandeur, coll. NRF Essais, Gallimard, Paris, 1991. Voir aussi, Boltansky Luc, Entretien " Agir en commun " Sciences Humaines, n°5, hors série, mai-juin. Paris, 1994. Favereau Olivier, Développement et économie des conventions in "L'Afrique des incertitudes" S/D Philippe Hugon , Guy Pourcet et Suzanne Quers-Valette (CERED-FORUM). PUF. Paris, 1995 39 Se reporter par exemple à l'excellente contribution de Bernard Walliser, L'Economie cognitive, Editions Odile Jacob, 2000. 40 Cf. Pierre Lévy, Les technologies de l'intelligence. L'avenir de la pensée à l'ère informatique, Points/Sciences/La Découverte, 1990, Paris 41 Voir, par exemple, Mark Granovetter, " Le marché autrement", Desclee De Brower , 2000, 239 p Selon cet auteur, la littérature socio-économique a tendance à surestimer le caractère imbriqué des marchés économiques dans les sociétés dites traditionnelles et à le sous-estimer dans les économies capitalistes. De son point de vue, les lois économiques se construisent, à des degré divers, en interaction avec le contexte social des agents économiques. Ce qui fait d'elles des constructions sociales. Dans ce renouveau de la sociologie économique, nous renvoyons aussi le lecteur aux travaux de Philippe Sterner, " La sociologie économique", Repères, La Découverte, Paris, 1999. 42 Martin Heidegger, "Le cheminement ...." op. cit. p . 41 43 Ibid p.172 44 Ibid p.174 45 Ibid p.196 46 Ibid p.196 47 Comme le suggère la théorie des sites, l'Homo situs est un "interprétant " de situation, il l'est dans l'immédiat et dans la dynamique de sa situation. C'est l'homme social, pensant et agissant dans une situation donnée. Et, il est tout cela, en véhiculant le sens du moment, celui de sa situation avec tout le poids du passé et du changement qui s'impose. C'est donc à l'intérieur de multiples contingences qu'il exerce son comportement économique. Contrairement à l'homo oeconomicus, l'homo situs est un homo communicant avec son milieu. De ce fait, "il se laisse moins facilement saisir, ou découper" (formule de Daniel Bougnoux, " Naissance d'une interdiscipline? " Introduction à l'ouvrage collectif (p.11) in "Sciences de l'information et de la communication", S/D Daniel Bougnoux, Larousse,.1993. Ce point de vue est à l'opposé de l'épistémologie parcellaire des sciences sociales comme "sciences compartimentées" dans lesquelles, la parcellisation des savoirs a divisé "la culture" et a fait disparaître les humanités. Le savoir d'aujourd'hui est ainsi un savoir mutilé et mutilant. 48 H.Zaoual, La fin de l'occidentalisation du monde? De l'unique au multiple. Communication au Colloque international: "Défaire le développement et refaire le monde" organisé par Le Monde Diplomatique et l'association Les amis de François Partant, Ligne d'Horizon, Palais de l'UNESCO, du 28 février au 3 mars 2002. Paris