VERS UN SOCIALISME CIVIL ?
  L'épreuve de la contrainte démocratique 
  de différenciation de la société
  Bruno Théret
Publié in Capitalismes et socialismes en perspective. Evolution et transformation des systèmes économiques, sous la direction de B. Chavance, E. Magnin, R. Motamed-Nejad et J. Sapir, Paris, Editions La Découverte, Coll. Recherches, 1999.
 Les pays à économie de type soviétique peuvent être 
  caractérisés par le fait que le politique a cherché à 
  y empêcher (ou à revenir sur) le processus de différenciation 
  de la société qui, avec la montée en puissance simultanée 
  du capitalisme industriel et de l'État de droit territorial, a affecté 
  en premier lieu le monde occidental. Le projet “ communiste ”, socialiste 
  d’État, était non pas de réenchasser l’économique 
  dans le social, comme ce fut le cas dans la plupart des sociétés 
  capitalistes à l’issue de la seconde guerre mondiale, mais de le 
  réabsorber totalement dans le politique. Ainsi, au projet bourgeois libéral 
  individualiste porté par le discours de l’économie politique 
  orthodoxe et visant à se libérer de tout pouvoir collectif souverain, 
  le projet communiste étatiste qui a inspiré la construction du 
  “ socialisme réel ” a opposé une visée purement 
  holiste de retotalisation de la société. A l’idéal 
  du marché de concurrence parfaite était de la sorte simplement 
  opposé son dual, le modèle de la rationalité planificatrice 
  omnisciente.
  Or la différenciation sociale entre l’économique et le politique 
  est un processus structurel inhérent au développement des sociétés 
  modernes où l’homme cherche à se libérer des formes 
  traditionnelles de la domination. Dans cette perspective, toute forme de projet 
  visant à l'indifférenciation de la société et des 
  individus, et notamment ceux aboutissant au renforcement du pouvoir d’État 
  sur la société et non à son dépérissement 
  sous la forme d’une "société réglée", 
  selon l'expression de Gramsci, s'inscrit à contre-courant des grandes 
  tendances de développement des sociétés contemporaines 
  et, pour cela, est à plus ou moins long terme voué à l’échec.
  En effet, si la protection de la vie de chacun et de tous prend la forme exclusive 
  d’une dette sociale gérée par le parti-État auto-institué 
  comme représentant de la société, les tendances à 
  la différenciation du politique et de l’économique portée 
  par le développement industriel salarial ne peuvent être contenues 
  que par l’exercice récurrent de la violence physique par l'État 
  sur les individus, et/ou la représentation d’une agression extérieure 
  permanente légitimant une gestion économique du type économie 
  de guerre pénurique. Cette domination coercitive appelle alors une multiplicité 
  de contre mouvements : prise d’autonomie de l’économie productive 
  ; insoumission intellectuelle ; développement contenu mais néanmoins 
  irrépressible de pratiques monétaires et juridiques privées 
  tentant de déborder les sphères étroites dévolues 
  à la monnaie et au droit par une puissance publique se vivant comme le 
  tout de la société et cherchant à se passer de ce genre 
  de médiation entre elle et les individus. De là, la nécessité 
  de réformes et l'incapacité de les mener à bien dans le 
  cadre politique établi. Et de là aussi, en fin de compte, le refus 
  de la société de soutenir plus longtemps les visées de 
  l'État totalitaire, en dépit de la protection sociale et matérielle 
  substantielle qu'il représente pour la population dans sa grande masse.
  Mais l’hypothèse d’une nature structurale de la différenciation 
  des sociétés modernes conduit également à récuser 
  l'idée selon laquelle le capitalisme en serait la seule voie possible 
  de développement, constituant ainsi la fin de l’histoire. Car le 
  capitalisme, généralisé à toutes les sphères 
  de la vie sociale, est une utopie aussi totalitaire que le socialisme d’État. 
  Sa dynamique auto référentielle propre - le marché autorégulateur 
  - conduit, en effet, à la destruction du politique, et donc aussi à 
  un totalitarisme qui, au mépris des formes complexes de l’intégration 
  sociale dans les sociétés différenciées en de multiples 
  sphères, fait appel à une rationalité économique 
  étroite et unique tentant de s'imposer partout. D'où son échec 
  dans le premier vingtième siècle (1914-1945), un échec 
  du même ordre que celui de la révolution soviétique bien 
  que le coup d'arrêt ait pris en ce cas la forme sanglante d'une série 
  guerre crise guerre mondiales. Et c'est cette "guerre de trente ans du 
  XXème siècle " qui engendre, pendant les "Trente Glorieuses", 
  la "Grande Transformation" qu'est l'avènement de la société 
  salariale.
  Mais, comme dans le cas des expériences socialistes d'État, une 
  transformation de cette ampleur ne résulte pas de turbulences passagères, 
  fussent-elles extrêmement violentes. Elle est plutôt le fruit d'un 
  processus historique long dont ces turbulences sont également l'expression. 
  Le déchaînement du libéralisme économique, par le 
  désordre social total qu’il entraîne, appelle en effet, bien 
  avant sa crise finale, des réactions du corps social conduisant à 
  la réinstitution d’organisations politiques collectives limitatives 
  de la prétention de l’ethos capitaliste marchand à régir 
  l’ensemble des sphères de la vie sociale. Ce fut là la source 
  de la mise à la raison du capitalisme R0“sauvage” américain 
  appelé de ses vœux, théorisée et mise partiellement 
  en pratique dans l’entre-deux guerres par John Commons et ses "Wisconsin-Boys" 
  lors du New Deal. Ce fut là également l'origine des épisodes 
  totalitaires fasciste et nazi, ainsi que des diverses variantes européennes 
  du capitalisme salarial qui se sont épanouies dans l'après-guerre. 
  C’est là encore l’origine des mafias lorsque aucune autorité 
  souveraine ne prévaut, cas actuel de la fédération de Russie. 
  
  A l'Ouest comme à l'Est donc, les projets de totalisation de la société 
  ont ainsi du finalement s'accommoder de sociétés différenciées 
  de facto. Toutefois, tant qu'ils continuent à servir de modèles 
  de référence pour l'action des pouvoirs dominants, ceux-ci ne 
  reconnaissent pas comme légitime une telle différenciation et, 
  par conséquent, l'assimilent à du désordre et cherchent 
  à la cantonner dans l'informel ou aux marges du système. Ce qui 
  fait qu'aucune place n'est reconnue à une société civile 
  autonome. Cela dit, en se situant en dehors de l'opposition polaire entre le 
  capitalisme libéral et le socialisme d'État, les sociétés 
  salariales de l'après-guerre ont esquissé une forme de dépassement 
  du capitalisme comme de l'étatisme. En faisant une place centrale dans 
  leur régulation sociale à des processus de socialisation démocratique 
  fondés sur les principes de liberté et d'égalité 
  et institutionnalisés grâce au jeu de la monétarisation 
  et de la juridicisation des rapports sociaux, elles ont posé des bases 
  pour une véritable autonomie de la société civile tant 
  à l'égard du capitalisme que de l'État. 
  L'analyse de la structure et de la dynamique de ces sociétés conduit 
  alors à rompre avec la vision bipolaire usuelle qui n'y distingue que 
  deux grands ordres de pratiques sociales, l'économique (le monde de la 
  richesse, le marché) et le politique (le monde de la puissance, l'État). 
  En effet, cette analyse montre qu'un troisième ordre autonome de pratiques, 
  l'ordre domestique (le monde de la vie) tient aussi dans ce type de société 
  une place cruciale puisqu'il y fournit la matière (et la condition) première 
  des processus d'accumulation de richesse et de puissance qui sont respectivement 
  au fondement de l'autonomie de l'économique et du politique (Théret, 
  1992). Il est alors possible de penser non plus deux mais trois grands types 
  ou familles de systèmes socio-économiques : les systèmes 
  capitalistes, les systèmes dits socialistes mais en fait étatistes, 
  et les systèmes véritablement socialistes au sens du Marx prônant 
  le dépérissement de l'État et qu'on nommera ici, pour éviter 
  toute confusion, "sociétalistes" ou "socialistes civils" 
  (cf. schéma 1). 
SCHÉMA 1 : Systèmes totalitaires et systèmes différenciés
Chacun de ces types peut être caractérisé par la domination 
  de l'un des trois ordres sur les deux autres. Cette domination peut aller jusqu'à 
  se traduire par un projet de soumission totale des ordres dominés à 
  la logique de l'ordre dominant (idéaux du capitalisme libéral 
  radical, du socialisme d'État, et du communisme communautaire intégral 
  fondé sur le modèle de la famille patriarcale élargie). 
  Mais dans les sociétés concrètes, ainsi qu'on l'a déjà 
  suggéré, même quand ces idéaux servent d'idéologie 
  officielle, la domination d'un ordre de pratiques ne prend que la forme relative 
  d'une soumission d'un ordre à un compromis entre les deux autres institué 
  sous l'hégémonie de l’un de ces derniers. On peut ainsi 
  parler d'ordres indépendants dont l'un est dominant et l'autre dominé, 
  tous deux se soumettant de concert un ordre dépendant dominé. 
  
  Les systèmes capitalistes et socialistes ont en commun de faire du monde 
  de la vie et de la sphère domestique l'ordre dépendant dominé. 
  Ils se distinguent en revanche l'un de l'autre par le fait que dans les premiers, 
  l’ordre économique, sa rationalité et ses valeurs sont en 
  position hiérarchiquement supérieure et servent de référence 
  dominante dans l’ensemble des sphères de pratiques sociales, alors 
  que dans les seconds, l'État, confondu avec la société, 
  est placé en position hiérarchiquement supérieure en pouvoir 
  comme en valeur. Contrastant avec ces deux types de systèmes, on peut 
  alors définir les systèmes sociétalistes (démocratiques 
  et décentrés) comme des systèmes où l'ordre domestique 
  et la société civile, le monde de la vie, sont privilégiés 
  et dominent les ordres économique et politique en les instrumentalisant 
  et en les soumettant à leur raison. 
  Dit autrement, selon cette grille typologique, on a d’un côté 
  l'imaginaire de l’individualisme radical fondé symboliquement sur 
  l'hypostase du principe formel de liberté et faisant appel à une 
  raison purement économique où la rationalité utilitariste 
  est privilégiée et mobilisée dans l’accumulation 
  individuelle d’avoirs. De l’autre, on a le collectivisme (ou holisme 
  radical) fondé symboliquement sur une hypostase de même type du 
  principe formel d'égalité et d'une rationalité politique 
  privilégiant la raison d'État et l’accumulation de puissance 
  sur les êtres. Et au-delà, comme synthèse et dépassement 
  de ces deux utopies totalitaires, on a la visée d'un holindividualisme 
  sociétal qui en impose autant à l’individualisme capitaliste 
  qu’au holisme étatique, et qui fait appel à une rationalité 
  communicationnelle mobilisant aussi bien la rationalité économique 
  et le principe de liberté que la logique du pouvoir d'État et 
  le principe d'égalité, mais en les cantonnant à des fonctions 
  sociales particulières et locales. 
  Mais quel peut être alors le fondement symbolique de ces sociétés 
  du troisième type ? Quelles sont les conditions éthiques pour 
  qu'un tel holindividualisme puisse réellement advenir ? Si le capitalisme 
  de marché est fondé sur le principe de liberté et le socialisme 
  étatiste sur celui d'égalité, quel principe éthique 
  peut-il servir de valeur hiérarchiquement supérieure dans le sociétalisme 
  ? L'histoire, l'anthropologie et la philosophie proposent chacune leur candidat 
  à ce rôle, car, contrairement à ce qu'on pourrait croire 
  au seul vu des opinions les plus médiatisées, il existe toute 
  une riche et longue tradition de réflexion dissociant socialisme et étatisme 
  et cherchant à penser l'égalité dans la différence 
  et la liberté. Ainsi l'histoire propose la fraternité, un principe 
  porté par les diverses révolutions françaises et plus particulièrement 
  celle de 1848 (David, 1992) ; elle y adjoint parfois la solidarité, mais 
  celle-ci, particulièrement privilégiée au tournant du XX 
  ème siècle par Durkheim et les républicains "solidaristes", 
  n'implique pas nécessairement l'égalité comme le fait la 
  fraternité. On l'a vu dans les années 1980 quand le parti socialiste 
  français au pouvoir a cherché à substituer la solidarité 
  à l'égalité afin de promouvoir la notion d'inégalités 
  justes (Théret, 1991).. L'anthropologie, de son côté, distingue 
  le principe de réciprocité, celui-ci apparaissant notamment dans 
  les travaux de K. Polanyi ; la réciprocité est par ailleurs souvent 
  assimilée au don qui doit ses lettres de noblesse à M. Mauss et 
  a été revalorisé récemment par les néo-maussiens 
  (Chanial, 1998). La philosophie, enfin, dans sa tendance communautarienne personnifiée 
  par M. Walzer, avance, quant à elle, l'idée d'égalité 
  complexe comme fondement d'un "socialisme démocratique décentralisé 
  » . Par delà leur diversité, ces approches conduisent toutes 
  à faire de la "solidarité réciproque" (un équivalent 
  moderne de la fraternité), le troisième principe éthique 
  dont la mise en valeur hiérarchiquement supérieure est propre 
  à fonder un socialisme civil ; elles montrent également qu'une 
  telle solidarité réciproque gouverne déjà de nombreuses 
  pratiques sociales dans la mesure où elle s'avère nécessaire 
  à la reproduction en tant que telles des sociétés différenciées. 
  
  Nous reviendrons sur cette convergence dans la dernière partie de ce 
  texte, quand il sera temps pour nous de la mobiliser afin de montrer, avec Walzer, 
  que le sociétalisme n'est pas une utopie mais une visée raisonnable 
  . Auparavant, nous allons nous attacher à8 montrer par un détour 
  théorique ce caractère latent du sociétalisme au sein du 
  rapport salarial développé. A cette fin, on partira d'une caractérisation 
  générale du lien social qui organise toute vie humaine en société, 
  toute vie collective. On proposera ensuite, à partir de cette caractérisation 
  du lien social, une interprétation de la différenciation sociale 
  - qui conduit à placer le sujet individuel, mais un sujet individuel 
  divisé, au centre du système des valeurs des sociétés 
  modernes - comme contrainte démocratique spécifique aux systèmes 
  sociaux contemporains et à venir. 
  Plus précisément, la grille d’analyse qu'on utilisera s’appuie 
  :
  1/ sur la notion de dette de vie comme fondement anthropologique du lien social 
  et de dédoublement des formes de cette dette dans les sociétés 
  individualistes, le fait saillant étant l’apparition d’une 
  dette privée dont on peut se libérer avant la mort et qui vient 
  concurrencer le lien traditionnel de dette de vie à l’égard 
  du souverain, un lien dont, en ce qui le concerne, on ne peut jamais se libérer 
  ;
  2/sur une réinterprétation de la monétarisation des rapports 
  sociaux et du salariat fondé sur cette définition du capitalisme 
  à partir de la notion de “dette dont on peut se libérer” 
  par un paiement monétaire, et sur la nécessité de médiations 
  sociales construites pour assurer la fermeture du lien social d’endettement 
  mutuel du fait de la différenciation de ses formes économiques 
  et politiques ;
  3/sur le besoin qui en découle d’analyser également le processus 
  d'autonomisation de l'ordre domestique, lequel se traduit par des transformations 
  profondes dans l'organisation des familles et va avec l'émergence d'une 
  société civile qui n'est pas immédiatement régie 
  par les rationalités propres aux ordres économique et politique, 
  quand bien même elle est articulée à ceux-ci par la médiation 
  de l'espace public ;
  4/sur une conceptualisation du sociétalisme comme aboutissement possible, 
  mais non nécessaire, de ce processus d'émergence d'une société 
  civile en tant que sphère propre de pratiques sociales ancrées 
  dans l'ordre domestique et porteuse, pour cela, d'un principe éthique 
  de "solidarité réciproque" (autrement dit de "fraternité" 
  ou "d'assistance mutuelle"), seul à même de fonder une 
  communauté politique réellement égalitaire dans les sociétés 
  différenciées.
I. De la dette primordiale aux formes différenciées de la dette privée et de la dette sociale.
Toute vie collective suppose l'existence d'un lien social qui tient ensemble 
  les humains s'identifiant au groupe, qui fixe leur appartenance à la 
  société. Ce lien est un rapport d'endettement mutuel, rapport 
  social qui structure à son niveau le plus fondamental une société. 
  
  On peut ainsi poser que la dette est le lien social au fondement de tout "commerce" 
  entre les humains, la structure qui se cache derrière toute vie en société, 
  et, par voie de conséquence, derrière toute transaction ayant 
  une dimension économique, qu'elle soit un échange marchand, un 
  don/contre-don, un prélèvement avec redistribution différée. 
  Ces transactions ne sont jamais, en effet, que des “méthodes de 
  création de dette” (Commons, 1934-1986 ; Maucourant, 1993). 
  En suivant un certain nombre d'anthropologues et d'historiens (cf. Aglietta 
  et Orléan eds, 1998), on peut également poser une série 
  d'hypothèses théoriques complémentaires concernant ce lien 
  social vu comme endettement. 
  Première hypothèse, sa forme originelle, primordiale, est la dette 
  de vie, dette qui a trait à la reproduction des sources, à la 
  protection et à l'écoulement régulier de la vie humaine. 
  Car à l'origine de l'humanité, laquelle peut être caractérisée 
  par sa fonction symbolique qui la différencie du monde animal, il y a 
  une représentation de la mort comme en deçà et au-delà 
  de la vie, représentation d'un monde invisible qui fait de la naissance 
  à la vie un endettement originel de tout homme à l'égard 
  des puissances représentatives du tout cosmique dont l'humanité 
  est issue. 
  Deuxième hypothèse, à cette représentation est liée 
  l'émergence de pouvoirs temporels souverains (églises, États) 
  s'imposant comme les légitimes représentants de ces puissances 
  cosmiques et qui récupèrent ainsi la créance croyance inaugurale 
  qui est alors transférée de l'au-delà à l'ici-bas. 
  
  Ce sont enfin, troisième hypothèse, ces pouvoirs souverains qui 
  inventent la monnaie comme moyen de règlement des dettes, un moyen dont 
  l'abstraction permet de résoudre le paradoxe sacrificiel faisant de la 
  mise à mort de victimes vivantes le moyen permanent de la protection 
  de la vie. La monnaie est originellement liée à la forme fiscale 
  (ecclésiastique, puis étatique) de paiement de la dette de vie 
  (remboursement des avances faites à la naissance et /ou contrepartie 
  d'un don de sécurité accrue).
  La structure symbolique qu'est la dette primordiale, dans la mesure où 
  elle trouve sa source dans le rapport qu’entretient l’être 
  humain avec la mort, est ainsi une institution humaine de même statut 
  anthropologique que la prohibition de l’inceste. Elle est, dans cette 
  perspective, le fondement toujours nécessaire des sociétés 
  modernes, et ce qui différencie ces dernières est seulement les 
  formes que cette dette y prend ainsi que les moyens de son règlement. 
  Ces formes nouvelles sont l'expression de ce que dans le processus de substitution 
  des moyens de paiement de la dette, le passage à la monnaie introduit 
  un fait radicalement nouveau. En tant qu'elle est unité de compte et 
  donc un opérateur d’homogénéisation et d’abstraction 
  du contenu des dettes, la monnaie permet en effet que les relations d'endettement 
  ne se confondent plus nécessairement avec des rapports interpersonnels 
  et qu'elles soient sécularisées. Les dettes peuvent ainsi, grâce 
  à la monnaie, circuler par transfert sur de plus larges espaces.
  Notre interprétation des sociétés contemporaines dans cette 
  perspective se décline de la manière suivante .
  - La monétarisation de la dette de vie est ce qui a permis son dédoublement 
  et le retournement du rapport au temps et du rapport créancier/débiteur 
  qui originellement la fondait. Dédoublement en des formes économiques 
  et sociales autonomes et retournement spécifique à chacune de 
  ces deux formes : retournement du rapport au temps pour la dette économique 
  et du rapport créancier/débiteur pour la dette sociale. La dette 
  économique, produite par les échanges marchands et les opérations 
  de crédit commercial qui les accompagnent, emprunte à l’antique 
  dette de vie sa structure fondamentale, à savoir qu’elle est endettement 
  de l’individu vis-à8-vis d'une totalité représentée 
  par la monnaie. Mais elle implique un rapport au temps inversé : elle 
  ne renvoie plus à un endettement passé contracté sur un 
  mode religieux dans l’en deçà de la vie humaine, elle est 
  désormais sécularisée et fondée sur des anticipations 
  du futur, sur des "paris sur l’avenir" de la société. 
  Cette dette est associée à la libre entreprise et on peut s'en 
  libérer au moyen de paiements monétaires. La dette sociale reste, 
  quant à elle, comme la dette originelle de vie, fondée sur une 
  représentation du passé, sur des créances croyances "héritées" 
  dont on ne peut pas se libérer. Toutefois, elle tire sa forme d'une inversion 
  de la représentation de la relation de l’individu au tout de la 
  société : c’est la société qui est maintenant 
  endettée vis-à-vis des hommes dont elle constitue la réunion, 
  et la dette primordiale devenue dette sociale est constituée de l'ensemble 
  privatif des capitaux individuels de vie que la société doit préserver. 
  Affaibli à la fois par ce renversement des sources de la souveraineté 
  et l'apparition d'un ordre économique privé de la dette, l'État 
  qui, jusqu'à ce double avènement, monopolisait conjointement et 
  concurremment avec l'église les créances sur la société, 
  doit désormais, pour se légitimer, se placer en position de garant 
  de ces nouvelles formes de dette sans que cela implique pour autant qu'il réussisse 
  à monopoliser le crédit social qui leur est associé.
  - La monnaie moderne assure la commensurabilité des deux types de dette 
  qu'on vient de distinguer et qui structurent conjointement et concurremment 
  l’intégration sociale des individus dans les sociétés 
  salariales. C’est pourquoi elle est unité commune des comptes publics 
  et privés, lien entre finances publiques et sociales et finance privée. 
  C'est pourquoi elle est également un système de moyens de paiement 
  permettant de se libérer (définitivement ou provisoirement dans 
  le cas de l'impôt) de toute dette, qu'elle soit économique ou sociale. 
  Elle est alors un symbole actif représentatif du tout de la société 
  constituée ainsi en communauté de paiement. En contrepartie, elle 
  perd le monopole de la représentation du tout social comme elle a pu 
  et peut encore l'avoir dans certaines sociétés peu différenciées. 
  Le processus de différenciation sociale s’appuie en effet sur et 
  reproduit plusieurs représentations à la fois concurrentes et 
  complémentaires du tout de la société, plusieurs médiations 
  symboliques entre l'individu et le tout qui participent de la définition 
  des identités. Le droit et l'abstraction intellectuelle (sous la forme 
  par exemple de la mathématisation des représentations du monde) 
  se développent dans le même mouvement que la monétisation 
  des rapports économiques. C'est pourquoi le lien social ne saurait être 
  strictement monétaire. Mais il ne saurait pas plus être strictement 
  juridique, ni purement discursif. Il mobilise nécessairement simultanément 
  les trois types de médiation symbolique. 
II. Le travail démocratique de la contrainte de différenciation dans le salariat
Le lien social qui prend la forme du salariat généralisé 
  à l'issue de la "guerre de trente ans du XX ème siècle" 
  est alors d'une part articulation complexe d'un endettement économique 
  et d'un endettement social garantis par le politique, d'autre part simultanément 
  monétaire, juridique et discursif. L'individu salarié se retrouve 
  à la fois créancier du capital, créancier de la société 
  et créancier de l'État, chacun de ces types de créance 
  étant le fruit de transactions spécifiques et ayant, de ce fait, 
  des caractéristiques monétaires, juridiques et discursives propres. 
  Préciser ces assertions permet de montrer que la différenciation 
  de la société salariale est à l'origine de son caractère 
  démocratique et potentiellement "sociétaliste".
  Dans Théret (1992), on a proposé une distinction entre deux grands 
  idéals types de sociétés différenciées étatistes 
  capitalistes correspondant à deux stades dans le mouvement d'émancipation 
  de l'ordre économique vis-à-vis de l'ordre politique : les systèmes 
  territoriaux rentiers-guerriers, les systèmes salariaux industriels-providentiels. 
  
  Dans le premier type, où le degré de différenciation atteint 
  est relativement faible, le capitalisme est d'abord financier et rentier, car 
  il vit aux dépens des ressources des États (endettement public, 
  gestion des finances publiques, exploitation de rentes territoriales concédées). 
  L'État est, quant à lui, guerrier et à la recherche d'une 
  expansion territoriale continue. Enfin, la production de richesse est essentiellement 
  le fait d'une petite production marchande (si on met à part les monopoles 
  capitalistes territorialisés : mines, voies de communication et de transports) 
  soumise au tribut étatique par l'intermédiaire d'une finance privée 
  gestionnaire des finances publiques. En gros, le monde (aristocratique) de la 
  puissance domine le monde de la vie qu'il exploite par l'intermédiaire 
  du monde (bourgeois) de l'argent, lequel, encore confiné à un 
  rôle d'intermédiaire, est également dominé en dépit 
  de son autonomie.
  Le second type de système, le type salarial, connaît un renversement 
  du rapport des forces capital/État, le capital s'émancipant de 
  l'État en s'investissant directement dans la production qui devient industrielle 
  et en réduisant, dans le même mouvement, l'ordre domestique à 
  un monde bio-reproducteur. Ce qui, d'une part redouble l'assujettissement politique 
  de la sphère domestique à l'État par sa soumission économique 
  au capital, d'autre part rend l'État immédiatement (et non plus 
  seulement médiatement comme dans le système territorial) économiquement 
  dépendant du capital (industriel et non plus financier). Le désir 
  de richesse peut alors s'autonomiser vis-à-vis du désir de puissance, 
  ce qui n'était pas le cas dans le système territorial où 
  la richesse n'était pas encore une fin en soi, mais seulement un moyen 
  d'accéder à la puissance politique pour les outsiders du système 
  ("classes moyennes"), l'ethos aristocratique dominant toujours l'ethos 
  bourgeois (Bidou, 1997). La dette privée en tant que liée à 
  la futurity (Commons, 1934-1986), en tant que création continue alimentée 
  par des paris sur l'avenir, prend alors véritablement son essor, concurrence 
  et même va jusqu'à s'imposer comme représentation hégémonique 
  de la dette primordiale aux dépens de la dette sociale.
  Le rapport salarial qui émerge dans ce nouveau système est l'illustration 
  du travail de la contrainte démocratique dans le cadre capitaliste. Il 
  est, en effet, le résultat d'un énorme travail symbolique qui 
  a modifié radicalement les représentations que l'homme se fait 
  de lui-même, un travail qui lui a permis de vivre de manière non 
  schizophrénique son insertion contradictoire dans l'économie marchande 
  et dans le politique étatique. Car, quand bien même il y a redoublement 
  de la domination des individus, ce redoublement prend paradoxalement les formes 
  démocratiques de la liberté et de l'égalité qui 
  définissent un nouveau sujet politique, l'individu en soi et pour soi. 
  
  Le travail de symbolisation propre aux sociétés salariales produit, 
  en effet, deux abstractions intellectuelles fondamentales : la notion de force 
  de travail (formalisée par Marx) et celle de force de pouvoir (analysée 
  par Schumpeter en 1947 (1990) et formalisée sous le nom de force politique 
  par Foucault). Ces symbolisations sont des solutions de type démocratique 
  trouvées aux problèmes, sinon irrésolvables, de la mobilisation 
  des populations dans le cadre industriel capitaliste et dans le cadre de l'État 
  de droit national territorial respectivement. Elles sont les produits du processus 
  de dédoublement renversement des formes de la dette ci-dessus évoqué.
  L'émancipation de la dette privée à l'égard de la 
  dette primordiale, fondement de l'indépendance de la bourgeoisie à 
  l'égard des guerriers (aristocratie) et des prêtres (hiérocratie), 
  contient en elle, en effet, l'impossibilité de soumettre l'ordre domestique 
  de la petite production marchande aux cadres du capitalisme industriel sur un 
  mode coercitif ou religieux. Ne pouvant mobiliser la croyance en une dette originelle 
  pour contraindre la population au travail au sein des organisations hiérarchiques 
  industrielles, il fallait en effet lui appliquer dans sa masse la logique "libertarienne" 
  de la dette économique créée par l'échange monétaire 
  et contractuel. Dans l'échange salarial, cette dette économique 
  n'est autre que l'avance à crédit par le salarié de son 
  travail, avance évaluée en monnaie et sanctionnée juridiquement 
  comme mise à disposition d'une "force de travail" que le travailleur 
  peut aliéner sans pour autant renoncer à sa liberté, à 
  ses droits de propriété sur lui-même. Les formes monétaires 
  du salaire et juridique du contrat de travail réélisent ainsi 
  la fiction discursive qu'est la force de travail, représentation de la 
  valeur de l'individu dans l'ordre économique capitaliste qui assied la 
  relation salariale en permettant de résoudre sa contradiction constitutive 
  entre, d'un côté, la liberté du travailleur et son égalité 
  politique à son employeur, de l'autre, sa soumission au pouvoir capitaliste 
  et l'infériorité de sa position sociale au sein de l'ordre productif. 
  
  Avec Simmel, on peut voir là l'émergence d'une forme de relation 
  sociale de portée démocratique, puisque, sous certaines conditions, 
  le travailleur, en tant que personne, est soustrait à la domination : 
  il suffit que l'organisation productive soit purement fonctionnelle pour qu'elle 
  n'implique aucun rapport de pouvoir intersubjectif ; c'est en tant qu'objet, 
  moyen de production, force animale, que le salarié est hiérarchiquement 
  soumis à un devoir d'obéissance ; en tant que sujet, il ne concède 
  aucun de ses droits démocratiques, il reste libre et égal à 
  l'employeur avec lequel il a contracté ; le travailleur en tant qu'humain 
  est absent de la production, c'est seulement son corps qui y est présent. 
  C'est là certes encore une fiction, mais elle est plus élaborée 
  et permet d'entrevoir ce que pourrait être le règne réel 
  de la démocratie dans l'économique : des procédures de 
  décision collective associant détenteurs de capital et de force 
  de travail pour ce qui concerne l'organisation de la production, de telle sorte 
  que toute hiérarchie de pouvoir qui ne soit pas fonctionnellement légitimée 
  soit exclue des relations de production. 
  Mais cette solution laisse entière la question du partage de la valeur 
  ajoutée, i.e. de la valorisation différentielle des divers droits 
  de propriété ou, dit autrement, des différentes créances 
  sur la production. A juste titre d'ailleurs, car il ne s'agit pas là 
  d'une question proprement interne à l'économique différencié 
  (même si la constitution d'institutions et d'acteurs collectifs en son 
  sein y joue un rôle clef), mais d'un problème de rapport de forces 
  politiques relevant de déterminations plus générales, à 
  l'échelle de la société. Car le partage de la valeur ajoutée 
  met en jeu le mode d'insertion du salarié dans l'ordre politique et la 
  manière dont l'État se porte garant de la dette sociale.
  La valeur de la créance salariale sur la production est aussi fonction, 
  en effet, du mode de relation que le politique entretient avec l'économique, 
  et, par conséquent, de la manière dont les salariés font 
  valoir leurs intérêts dans l'ordre politique, intérêts 
  qu’on peut, en raison de ce qui précède, assimiler à 
  des créances sociales. Cette insertion du salarié dans l'ordre 
  politique est-elle aussi le fruit d'une opération symbolique complexe 
  qu'on peut associer au retournement du rapport créancier débiteur 
  qui caractérise la forme moderne "sociale" de la dette primordiale. 
  Tout individu, désormais considéré comme créancier 
  de la dette de vie, porteur du capital de vie dont l'État a besoin pour 
  accumuler de la puissance, ne peut plus, en effet, être directement assujetti 
  au pouvoir d'État dont la souveraineté procède désormais 
  des individus. Comment faire alors pour que ceux-ci puissent être néanmoins 
  de facto assujettis à l'État tout en étant reconnus comme 
  les sources de sa souveraineté ? Comment faire pour que des individus 
  libres et égaux à l'égard des puissants puissent accepter 
  que cette puissance s'impose à eux ? Pour cela, il faut que soit mis 
  en œuvre un dispositif symbolique formellement identique à celui 
  qui prévaut dans l’économique avec l’invention de 
  la force de travail et de la “propriété sociale” (Castel, 
  1995), c’est-à-dire une symbolisation de l’individu qui lui 
  permette de s’aliéner objectivement au pouvoir des élites 
  politiques sans pour autant que subjectivement, il soit contraint de renoncer 
  à ses prérogatives de sujet souverain. Cette représentation 
  est la "force de pouvoir" qui est reconnue à tout un chacun 
  comme quelque chose de détachable de sa personne propre et qu'il peut 
  alors “donner”, en échange d’une redistribution relative 
  à la reproduction de son capital de vie, de manière à ce 
  qu'elle soit centralisée dans les mains des détenteurs du pouvoir 
  politique. C’est ainsi que la démocratie libérale représentative 
  ou démocratie pluraliste élitiste (Schumpeter, 1990), devient 
  l’expression de la contrainte démocratique au sein de l'ordre politique. 
  
  Bien évidemment, la force de travail et la force de pouvoir sont, dans 
  les sociétés capitalistes, des formes de la propriété 
  économique ("propriété sociale") et des droits 
  politiques (droits sociaux) dépréciées par rapport aux 
  formes de propriété et de droits que se réservent ceux 
  qui ont un accès immédiat aux positions dominantes au sein de 
  l'économique et du politique : propriété du capital qui 
  donne accès au crédit privé nécessaire pour se lancer 
  dans des projets productifs autonomes et risqués, droits de la citoyenneté 
  active réservés aux classes politique et administrative au sein 
  de l'État. Bref, force de travail et force de pouvoir sont les instruments 
  symboliques de la domination de la masse du démos. Elles n'en expriment 
  pas moins, cependant, la reconnaissance d'un légitime accès des 
  dominés à la liberté et à l'égalité, 
  et donc la présence au sein des sociétés capitalistes étatistes 
  de ferments de leur transformation. 
  Un de ces ferments est contenu dans la différenciation même des 
  deux représentations de l'individu qui lui permettent d'être une 
  valeur dans l'économique comme dans le politique, mais selon des critères 
  a priori différents dans chacun de ces ordres. La dualité travail/pouvoir 
  de la force d'action individuelle et de la créance salariale implique 
  une réunification sous une forme ou sous une autre, sauf à conduire 
  à la destruction psychique de la personne et/ou du lien social. Cette 
  réunification des créances salariales se fait d'abord, ainsi qu'on 
  l'a déjà suggéré, par le jeu des trois grandes médiations 
  sociales "primaires" que sont la monnaie, le droit et la discursivité, 
  ces langages abstraits qui permettent à l'économique et au politique 
  de communiquer. Mais il ne suffit pas que les symboles économique et 
  politique de l'individuation soient abstraitement compatibles, il faut aussi 
  qu'ils soient concrètement complémentaires au plan de la reproduction 
  sociale et que, vu la concurrence qui règne dans le monde global de la 
  richesse comme dans celui de la puissance, leur articulation dans le cadre de 
  chaque État soit économiquement et politiquement efficace. De 
  là la construction de diverses médiations "secondaires" 
  organisant cette complémentarité nécessaire : système 
  de protection sociale articulant salaires et droits sociaux reconnus par l'État 
  ; réseaux néocorporatistes liant acteurs collectifs publics et 
  privés ; partis politiques permettant aux "civils" d'accéder 
  à la décision dans l'ordre politique et, par ce biais, d'exercer 
  une influence sur l'économique. Et comme, pour remplir leur rôle 
  de médiation, ces organisations doivent acquérir une autonomie 
  vis-à-vis des ordres qu'elles relient, elles composent un espace mixte 
  (i.e. indissociablement économique et politique, monétaire, juridique 
  et discursif) de socialisation des individus, un espace d'indifférenciation 
  entre dette privée et dette sociale qu'on pose, pour cela, comme étant 
  celui de la société civile. 
  C'est la dualité des formes d'extériorisation de l'être 
  humain hors de la sphère domestique et de son intégration dans 
  les ordres économique et politique qui est la source d'émergence 
  de cette société civile autonome. Dans cet espace, le désir 
  de richesse et le désir de puissance se nient l'un l'autre et sont renvoyés 
  dos à dos ; ils sont placés sous l'autorité symbolique 
  des contraintes premières d'une existence non compartimentée et 
  sans masques. C'est pourquoi on peut voir dans la différenciation de 
  la société qui est au principe d'un tel espace la condition de 
  base d'une démocratie réelle et, par conséquent, d'un socialisme 
  civil. 
III. Les transformations de la famille moderne associées à l'émergence d'un ordre domestique autonome.
La nouveauté et l'extraordinaire sophistication au plan symbolique du 
  mode de présence de l'individu salarié dans l'économique 
  et le politique ne doit pas faire oublier cependant que son camp de base, le 
  monde de la vie à partir duquel il est tenté d'accéder 
  aux mondes de la richesse et de la puissance, est la famille et un ordre domestique 
  désormais régi par ses propres règles. Le rapport de l'individu 
  au tout de la société, le lien social, reste en effet médiatisé 
  en premier lieu par l'institution familiale. Celle-ci néanmoins prend 
  dans le salariat des formes nouvelles, liées à ce que l'union 
  des sexes qui permet la reproduction démographique de la société 
  est désormais principalement régie par un choix bilatéral 
  des conjoints sur la base d'une réciprocité du sentiment amoureux. 
  Dans ce choix transparaît au niveau de la psyché individuelle l'imaginaire 
  social institué de liberté et d'égalité, le mariage 
  perdant alors son caractère d'institution sociale indissoluble et devenant 
  un lien contractuel privé qui peut être dissous par la volonté 
  même des cocontractants (Guillaume, 1985 ; Théry, 1993 ; Commaille, 
  1996). 
  L'amour, cette représentation sentimentale particulière de l'autre 
  dans les rapports privés, devient le médium à partir duquel 
  se forment, se reproduisent ou se délitent les unités domestiques 
  élémentaires que sont les familles nucléaires. Avec l'autonomisation 
  des pratiques domestiques dépouillées de leurs fonctions immédiates 
  d’ordre économique et politique (Théret, 1992, pp. 103-106), 
  ce n'est plus en effet pour l'essentiel le calcul associé au désir 
  de richesse ou de puissance qui régit tendanciellement les "stratégies" 
  matrimoniales du plus grand nombre et la reproduction des familles par la filiation. 
  C'est un désir propre à l'intersubjectivité, directement 
  lié à la sexualité, un sentiment pour une large part associé 
  à "l'émotion voluptueuse" (Klossowski, 1997) et où 
  se concentre le refus de la rationalisation comme principe de vie, soit le refus 
  d'un lien social qui ne mobiliserait que l'abstraction des médias sociaux 
  primaires, monnaie, droit et discursivité . L'amour est le concept pour 
  ce sentiment médiateur de l'ensemble des relations intra et inter familiales, 
  norme d'évaluation des pratiques familiales. Il fonde la famille moderne 
  en tant que groupement qui se dissout dès lors qu'il n'est plus un lieu 
  d'amour partagé. 
  Dans les discussions usuelles sur le socialisme et le capitalisme, fortement 
  marquées par l'économicisme, de même qu'on réduit 
  le plus souvent le politique à une médiation instrumentale de 
  l'économique, on se place rarement à ce niveau des pratiques domestiques. 
  Or la transformation de ces pratiques est ce qui ancre l'autonomie de la société 
  civile et, par voie de conséquence, ce qui fonde la possibilité 
  d'un socialisme civil. Aussi nous faut-il préciser ici les trois catégories 
  sociologiques d'amour, de famille et d'ordre domestique qui permettent de conceptualiser 
  cette transformation .
  L'amour, "d'un point de vue sociologique, ne doit pas être regardé 
  lui-même comme un sentiment (…), mais comme un médium de 
  communication généralisé symboliquement qui permet d'exprimer, 
  ou de nier, avec succès certains sentiments, et de créer, ce faisant, 
  les attentes correspondantes, rendant ainsi probable l'acceptation de la communication 
  dans des conditions particulières d'improbabilité" (Corsi, 
  Esposito et Baraldi, 1996, p. 21) . "L'improbabilité qu'affronte 
  l'amour est celle de la communication interpersonnelle intime" : il est 
  ce qui permet de "faire face à l'individualisation radicale de la 
  personne" dans les sociétés différenciées, 
  et c'est pourquoi lui-même "se différencie à l'époque 
  moderne (à partir du XVIII ème siècle), quand naît 
  la conception sémantique de l'individualité de la personne" 
  (ibid., pp. 21-22) . Cette individualisation rend en effet de plus en plus "improbable 
  qu'Ego accepte les demandes d'Alter de l'écouter parler de lui-même 
  et de comprendre ses idiosyncrasies. (…) (car) plus s'élève 
  l'idiosyncrasie et la singularité de celui qui parle, plus se réduisent 
  l'intérêt et l'accord de celui qui écoute. Cette improbabilité 
  d'arriver à un accord et à un appui de la part d'Ego vient de 
  ce que le point de vue d'Alter est unique, spécifique et strictement 
  personnel" (ibid., p. 22). Alors qu'a priori, par conséquent, Ego 
  et Alter n'ont rien en commun, l'amour en tant que "médium de la 
  construction du monde avec les yeux de l'autre", rend la communication 
  entre eux, "l'entente", néanmoins possible.
  Deux de ses caractéristiques en découlent. D'une part, l'amour 
  implique la réciprocité : "Il se réfère uniquement 
  à lui-même et ne se développe que s'il peut entrer en relation 
  avec un autre amour" (ibid., p. 23). D'autre part, "l'amour n'est 
  pas stable", car plus le degré d'individualisation de la personne 
  est élevé, plus il requiert de prétentions à communiquer 
  et plus "l'amour est facilement mis en péril" du fait des conflits 
  ouverts par ces prétentions dans un contexte individualiste (ibid.).
  Cette instabilité se retrouve dans la famille à partir du moment 
  où l'amour devient le médium de sa formation et, pour une large 
  part également, de sa reproduction. En devenant "la base de la différenciation 
  entre communications personnelles et impersonnelles, faisant ainsi dépendre 
  sa reproduction de cette différenciation" (ibid., p. 21), l'amour 
  imprime sa marque à la famille moderne qui peut alors être définie 
  dans toute sa spécificité à partir des notions de personne 
  et d'intimité. 
  La famille moderne en effet, tout d'abord, "inclut dans la communication 
  la personne entière des participants : tout ce qui se réfère 
  à eux, toutes leurs actions et expériences, y compris celles qui 
  se déroulent à l'extérieur de la famille, relèvent 
  potentiellement de la communication familiale. (…) Toute situation qui 
  concerne la personne (ce qui s'est produit sur le lieu de travail, comment elle 
  a dormi pendant la nuit, quelle gratification elle a obtenu à l'école, 
  qui elle a connu à l'extérieur de la maison) concerne la famille. 
  La personne est pour cette raison la perspective à travers laquelle la 
  famille peut traiter de ce qui se passe hors de ses limites, sans pour autant 
  les détruire" (ibid., p. 83). La famille est donc, par le biais 
  de la communication rendue possible en son sein grâce au médium 
  de l'amour, l'instance fondamentale d'intégration en une "personne 
  entière" de l'individu divisé par ses inclusions multiples 
  dans des ordres de pratiques spécifiques, régies par leurs propres 
  règles et orientées selon des finalités divergentes . 
Mais la communication familiale doit également être spécifiée 
  comme "communication personnelle intime". "L'intimité 
  surgit quand le monde d'un être humain devient important pour un autre 
  être humain, et que cela est réciproque" (ibid.). C'est là 
  une caractéristique tout à fait nouvelle de la vie familiale, 
  fruit de l'individualisation et de l'apparition de l'amour comme "code 
  du système familial, fixant les limites d'une communication intime par 
  rapport à une communication non intime" (ibid., p. 84).
  Cela dit, si la famille est devenue le lieu instable de l'intimité entre 
  "personnes entières", il n'y "existe pas seulement des 
  communications intimes, mais aussi des interactions liées aux activités 
  quotidiennes triviales" (ibid.). Aussi la famille n'est-elle pas exclusivement 
  réglée par l'amour, et "toute la communication qui se développe 
  dans la famille n'est pas codifiée par lui (car, par exemple, toute la 
  communication juridique y est codifiée par le droit, et la communication 
  économique par la monnaie)" (ibid.). L'amour et la famille ne se 
  confondent ni ne se superposent donc, ils ne sont pas dans une relation biunivoque 
  et intrinsèque. La famille mobilise d'autres médiations que l'amour 
  pour s'insérer dans la société (en tant notamment qu'elle 
  est l'instance de production de l'individu porteur d'une force de travail et 
  d'une force de pouvoir comme on l'a vu ci-dessus), et de son côté, 
  l'amour, en tant que médium de communication symboliquement généralisé, 
  intervient au-delà des frontières de la famille (notamment du 
  fait qu'il peut prendre également les formes de l'amitié, de la 
  fraternité ou encore de la solidarité, comme on le verra ci-dessous). 
  
  L'instabilité de la famille réglée par l'amour empêche 
  également qu'elle fonctionne désormais comme "structure d'intégration 
  sociale" à la manière dont Durkheim encore pouvait la considérer 
  (Commaille, 1996, p. 70). Elle n'est plus “une catégorie, principe 
  collectif de construction de la réalisation collective” (Bourdieu)", 
  comme cela était le cas lorsque "la construction politique était 
  calquée sur la famille, elle-même fondée sur les liens du 
  sang et réciproquement" (ibid., p. 220) . Car il y a eu dilution 
  de l'ancienne "réalité familiale constitutive d'une conception 
  de la société" (ibid., p. 201), "désinstitutionalisation 
  des comportements relevant de la sphère privée" (ibid., p. 
  202) . La famille n'est plus une structure car elle n'est plus susceptible de 
  s'auto conserver dans le cours de ses transformations, elle n'est plus qu'une 
  forme institutionnelle caractérisée par sa pluralité. "L'idée 
  d'unicité (de la forme familiale) ne résiste pas à la réalité 
  des nouveaux comportements et des nouvelles situations" qui ressort du 
  nombre très élevé et croissant de ruptures conjugales et 
  de la “géométrie variable” du "réseau 
  de parenté après la désunion" (ibid., p. 61-62). En 
  outre, à la "pluralité croissante des types de structures 
  familiales" s'ajoute le caractère transitoire de nombre d'entre 
  elles. Il y a ainsi "mobilité des états de la vie privée 
  et des passages de plus en plus fréquents et rapides d'une forme domestique 
  à une autre" (ibid., p. 64-65). 
  En conséquence, la famille ne peut plus être l'espace de la régulation 
  familiale. C'est seulement l'ensemble pluriel des familles, un monde de la vie 
  privée caractérisé par la pluralité des formes familiales, 
  qui peut encore faire système, et c'est ce système qu'on qualifie 
  d'ordre domestique. On peut néanmoins se demander si cela a encore un 
  sens de distinguer ce niveau de régulation familiale de la société 
  civile, voire du social global, i.e. de la société tout court. 
  J. Commaille, en effet, considère qu'il y a "dilution du familial 
  dans le social", qu'il n'existe donc plus "du familial, mais bien 
  indissolublement du sociofamilial" (ibid., p. 201), et que la conjugaison 
  des transformations de la famille et de la crise économique contraint 
  plus encore à traiter conjointement du familial et du social" (ibid., 
  p. 228) . Mais traiter conjointement le familial et le social ne signifie pas 
  nécessairement diluer l'analyse de l'un dans celle de l'autre. Si c'était 
  le cas, il y aurait là danger de faire l'impasse sur la "spécificité 
  du groupe domestique" en ne le différenciant "pas des relations 
  sociales globales" (Théry, 1993, p. 54) et en oubliant, par conséquent, 
  tout ce qui a trait à la spécificité des relations de descendance. 
  Dans un tel point de vue immédiatement englobant, disparaîtrait 
  paradoxalement la dimension d'intimité qui spécifie la famille 
  moderne et qui, précisément, est à l'origine de sa crise 
  structurelle actuelle en tant qu'institution de base de la société. 
  Il faut certes saisir le familial dans sa relation au social, mais sans dissoudre 
  sa spécificité qui est d'être un espace de la communication 
  intime, privée. 
  Aussi distingue t-on le niveau "sociofamilial" de l'ordre domestique, 
  espace encore privé de la régulation familiale, des niveaux plus 
  englobant de socialisation des pratiques domestiques que sont la société 
  civile, espace de communication et d'action concernant toujours des "personnes 
  entières" mais dans un cadre qui n'est plus d'intimité, et 
  l'espace public qui unifie la société dans son ensemble en faisant 
  se communiquer ses divers ordres constitutifs et la société civile 
  (cf. schéma 2). 
SCHÉMA 2 : De la famille à l'espace public
L'ordre domestique est constitué de l'ensemble des réseaux de 
  relations de conjugalité et de parentalité. C'est encore une sphère 
  des communications intimes entre "personnes" en dépit du possible 
  éclatement des familles ; y sont en relation des personnes non anonymes, 
  ni étrangères. Cela dit, la famille n'en est pas pour autant la 
  métaphore, pas plus qu'elle ne l'est désormais, on l'a vu, de 
  la société dans son ensemble, comme elle pouvait l'être 
  quand elle était indissoluble et considérée comme le "séminaire 
  de la société" (Théry, 1993, p. 32). Elle n'en est 
  qu'une métonymie. La famille n'est pas transposée paradigmatiquement 
  à l'échelle de l'ordre domestique : elle n'en est plus qu'une 
  partie qu'on prend pour le tout et qui ne fait sens qu'en tant que contenant, 
  en fait à chaque fois spécifique, des relations générales 
  d'alliance et de descendance. Dit autrement, ces relations ne font système 
  qu'au niveau de cette totalité plus large qu'est l'ordre domestique rassemblant 
  selon sa logique anthroponomique propre diverses formes de vie familiale. Mais 
  qu'est-ce qui fait que l'ensemble de ces formes domestiques différenciées 
  peut constituer un ordre partiel, possiblement stable, régulé, 
  de pratiques autonomes alors que chaque famille n'en est plus capable ?
  Une ré interprétation des relations d'alliance et de descendance 
  à partir de la pluralité des formes modernes de la dette permet 
  de répondre à une telle question. En effet, la famille salariale 
  se forme selon la logique de la dette économique, c'est-à-dire 
  par contractation d'un endettement privé réciproque lors d'un 
  mariage entre deux individus égaux et libres, et dont, dès lors 
  qu'il y a constat de faillite dans la communication intime, on doit pouvoir 
  se libérer par "consentement mutuel" selon la procédure 
  de règlement des comptes qu'est le divorce . Mais ce mariage pari sur 
  l'avenir du couple, cette fondation de la famille comme "libre entreprise", 
  a pour objet un projet de production tout à fait spécifique, la 
  production reproduction de la vie humaine par la filiation. Dès lors, 
  la famille est soumise également à la logique de la dette sociale, 
  puisque la mise au monde d'enfants est production d'un lien d'endettement dont 
  on ne peut pas se libérer dans le temps de la vie humaine. Au lien horizontal 
  contractuel d'union entre conjoints libres et égaux que valorise le modèle 
  de la famille salariale, s'ajoute donc un lien vertical généalogique 
  de filiation entre parents et enfants. La logique de l'alliance contractuelle, 
  susceptible d'être rompue à tout moment, se trouve ainsi en contradiction 
  avec celle de la descendance qui, de son côté, en raison de ses 
  fondements biologiques, ne peut jamais être abolie. La famille salariale 
  est ainsi travaillée intérieurement par la dualité des 
  logiques d'endettement qu'on retrouve séparées à l'échelle 
  de la société tout entière ; elle endogénéise 
  en quelque sorte la contradiction entre ces deux types de lien sans néanmoins 
  avoir les moyens de la circonvenir à son échelle. 
  Un fonctionnement autonome en régime permanent de ce type de famille 
  ne serait possible en effet que si l'amour, qui permet sa formation, permettait 
  aussi sa reproduction endogène en rendant compatibles ses deux relations 
  constitutives. Pour cela, l'amour ne doit pas seulement être l'opérateur 
  de l'alliance conjugale ; il doit aussi être le médium de la relation 
  de filiation et, à cette fin, prendre d'autres formes fonctionnelles 
  - amour parental maternel ou paternel, amour filial, amour fraternel -. Et on 
  observe bien effectivement que, au moins pour les familles bien insérées 
  dans le salariat, l'amour a transformé les relations parent(s)-enfant(s) 
  conformément à l'imaginaire social individualiste en créant 
  des liens de caractère plus intime, affectif et égalitaire, et 
  en leur donnant la forme de relations d'autorité symbolique plutôt 
  que de pouvoir, la puissance paternelle sur la femme et les enfants tendant 
  à céder la place à une autorité parentale partagée 
  entre le père et la mère sur des enfants auxquels on tend également 
  à reconnaître le statut de personnes particulières (leur 
  particularité résidant dans leur besoin spécifique de protection). 
  Toutefois, cette extension spécification de la communication personnelle 
  intime aux rapports parentaux augmente l'instabilité de la cellule familiale, 
  puisqu'elle fait croître la probabilité de son éclatement 
  en renforçant le côté contractuel de l'ensemble des rapports 
  familiaux. Bref, elle entraîne que la logique de l'alliance l'emporte 
  sur celle de la descendance en amoindrissant l'effet régulateur de la 
  coresponsabilité parentale sur la stabilité du lien conjugal. 
  
  Cette instabilité structurelle de la famille réglée par 
  l'amour oblige à définir un espace de la reproduction généalogique 
  qui la dépasse et où le tout des relations conjugales et parentales 
  qu'on a nommé ordre domestique soit hiérarchisé de telle 
  sorte qu'il fasse système. Pour qu'il en soit ainsi et qu'une régulation 
  sociodémographique soit possible, il faut que, à l'inverse de 
  ce qui se passe dans la famille salariale, la rationalité de la descendance 
  l'emporte sur celle de l'union libre et non nécessairement pérenne 
  entre personnes formellement égales. En d'autres termes, la notion d'ordre 
  domestique ne prend sens que si, dans ses limites, la logique verticale de la 
  reproduction généalogique, c'est-à-dire la reconnaissance 
  d'une commune dette de vie des géniteurs à l'égard de leur 
  progéniture et le devoir d'assistance mutuelle entre eux - débiteurs 
  solidaires - pour le paiement de cette dette, domine celle de l'alliance, et 
  que, par conséquent, la responsabilité sociale de parents à 
  l'égard de leurs enfants régule effectivement le rôle des 
  principes de liberté et d'égalité dans l'alliance conjugale. 
  La difficulté d'une telle régulation est qu'elle doit prendre 
  acte de la haute probabilité de rupture du lien conjugal, et donc s'appuyer 
  sur une certaine socialisation des pratiques domestiques hors de la famille 
  nucléaire, tout en ne sortant pas totalement du domaine de l'intimité, 
  de la vie privée. 
  Ceci ne peut se faire que par l'apparition de relations spécifiques mobilisant 
  le médium de l'amour au-delà de la famille nucléaire mais 
  toujours dans un cadre privé, c'est-à-dire de formes fonctionnelles 
  de l'amour correspondant à divers types de structures familiales (familles 
  monoparentales et/ou reconstituées, ou encore réseaux de parentèle 
  qui assurent, tant bien que mal, la charge de la dette de vie à l'égard 
  des enfants) : relations de solidarité réciproque, voire d'amitié, 
  entre ex-conjoints fondés sur la reconnaissance d'une commune et égale 
  responsabilité à l'égard des descendants ; recomposition 
  d'une autre famille avec transfert de la dette de vie sur le nouveau couple 
  ; relation de fraternité impliquant la parentèle, etc. Une illustration 
  concrète de ces divers types de relations dans le cas français 
  est fournie par D. Le Gall et C. Martin (cf. Commaille, 1996, p. 62). L'ordre 
  domestique est en quelque sorte, dans cette perspective, le système de 
  parenté des sociétés salariales. Il correspond, par ailleurs, 
  au monde de la vie privée chez Habermas.. En outre, la régulation 
  du complexe de relations familiales constitutif de l'ordre domestique ne saurait 
  être envisagée en dehors de son insertion dans le reste de la société 
  et, par conséquent, de la possibilité qu'il dépende partiellement 
  d'institutions extérieures appartenant à la société 
  civile, voire à l'Etat (cas de la monoparentalité avec appel à 
  la solidarité sociale par exemple). 
  Il y a néanmoins autonomie de l'ordre domestique tant que le système 
  des formes familiales qui le constitue se reproduit de manière relativement 
  stable en ne mobilisant les médiations sociales "primaires" 
  (soit l'argent, le droit, la discursivité) que secondairement et selon 
  des règles elles-mêmes stabilisées . En tout état 
  de cause, la particularité de l'ordre domestique par rapport aux autres 
  ordres sociaux ressort d'une part de ce que, contrairement aux ordres politique 
  et économique, il est une sphère de la vie sociale où la 
  tension entre dette privée et dette sociale est intériorisée 
  et régulée, d'autre part de ce que l'amour est une médiation 
  symbolique tout à fait spécifique, en tant qu'il est rebelle à 
  toute objectivation, à toute rationalisation instrumentale . C'est pour 
  ces deux raisons que l'ordre domestique est la structure de base d'une société 
  civile autonome et un ingrédient fondamental du lien social. Il est en 
  lui-même une société partielle liant, à son échelle, 
  les deux logiques de la dette et qui tend ainsi à s'émanciper, 
  sans néanmoins les récuser, des logiques systémiques univoques 
  du capital et de l'État. C'est également pour ces mêmes 
  raisons que l'amour, sous les formes de la solidarité réciproque 
  initiées dans les relations entre parents et entre parents et enfants, 
  est une norme limitative des principes formels de liberté et d'égalité 
  qui est susceptible d'étendre son échelle de validité à 
  la société tout entière. Encore faut-il pour cela, d'une 
  part, que l'ordre domestique ne soit pas lui-même en crise, d'autre part 
  que son orientation vers "l'entente" puisse valoir au-delà 
  des limites de la vie privée, c'est-à-dire au-delà de la 
  communication intime, en structurant tout l'ensemble des relations entre personnes 
  anonymes et étrangères les unes aux autres qui sont constitutif 
  de la société civile. 
IV. Société civile et espace public.
A ce point de notre raisonnement, nous sommes alors confrontés à 
  deux conceptions de la société civile. A la fin de notre deuxième 
  partie dédiée au processus de différenciation de la société 
  moderne et à la dualité du lien social d'endettement, nous sommes 
  arrivés à une conception constructiviste de la société 
  civile, celle-ci étant vue comme l'espace social mixte où est 
  recomposée par le jeu de médiations sociales primaires et secondaires 
  la "personne entière", par delà la multiplicité 
  et l'hétérogénéité des pratiques sociales 
  qui la divisent en autant de types d'individu (le consommateur, le travailleur, 
  le patron, le syndiqué, l'ayant droit, l'électeur, l'épargnant, 
  l'assisté, etc.). Dans cette conception, la société civile 
  est composée d'institutions et d'organisations construites à partir 
  de compromis entre des logiques pratiques partielles et régies par des 
  critères de rationalité simple : organes de sécurité 
  sociale liant assurance et assistance sociales, cotisations et impôts 
  ; réseaux de politique publique associant intérêts construits 
  sur une base contractuelle et intérêts définis à 
  partir de positions dans l'ordre politique ; etc. 
  En revanche, au terme de la précédente partie dédiée, 
  quant à elle, à l'émergence d'un ordre domestique salarial 
  se reproduisant à partir d'un médium spécifique qui, d'emblée, 
  prend en compte une personne non divisée, nous sommes arrivés, 
  à une conception différente, presque naturaliste, de la société 
  civile . Celle-ci est en ce cas un espace qui ne se distingue de la sphère 
  domestique que dans la mesure où la communication personnelle n'y a pas 
  nécessairement de caractère d'intimité et peut être 
  anonyme, voire virtuelle. Dans cette conception, c'est dans la société 
  civile que les formes de relations d'entente et de communication personnelle 
  élaborées dans l'ordre domestique grâce au médium 
  de l'amour sont étendues au-delà des rapports d'intimité 
  aux relations entre étrangers et personnes anonymes, prolongeant et projetant 
  de la sorte le monde de la vie dans l'espace public. Au plan institutionnel, 
  cette société civile, deuxième manière, "se 
  compose de ces associations, organisations et mouvements qui, à la fois, 
  accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l'espace 
  public politique, la résonance que les problèmes sociaux trouvent 
  dans les sphères de la vie privée" (Habermas, 1997, p. 394). 
  
  Pour rendre compatibles ces deux conceptions qui, toutes deux, se réfèrent 
  à une autonomie de la société civile tant vis-à-vis 
  du marché et de l'économique que de l'État et du politique, 
  il faut alors admettre, à l'encontre d'Habermas, que la monnaie, au contraire 
  de l'argent et tout comme le droit, n'est pas nécessairement un vecteur 
  de la colonisation du monde vécu, mais est plutôt une forme de 
  représentation du lien social qui ne se réduit pas à un 
  médium fonctionnel de l'ordre économique . Car si la monnaie est 
  autorisée à jouer un rôle de médium non nécessairement 
  impérialiste dans la société civile, rien n'empêche 
  plus de concevoir cette dernière à la fois comme une émanation 
  de la sphère privée du monde vécu - ce qui fait qu'elle 
  est "formée par ces groupements et ces associations non étatiques 
  et non économiques à base bénévole" (ibid., 
  p. 394) -, et comme le produit institutionnel de compromis entre ordres différenciés 
  nécessaires à leur cohabitation dans une même société. 
  La société civile est ainsi composée d'institutions et 
  d'organisations non étatiques et non marchandes dont les unes reposent 
  sur le bénévolat, la fraternité et la libre adhésion 
  des personnes, alors que les autres mobilisent un principe de solidarité 
  alliant logique contractuelle et logique tutellaire et oeuvrant ainsi à 
  la reconstruction de la personne entière à partir de figures individuelles 
  éclatées . Soit une conception plus générale de 
  la société civile comme espace où les deux formes modernes 
  de la dette se mêlent inextricablement et trouvent des formes institutionnelles 
  et organisationnelles de leur mise en compatibilité fondées sur 
  la rationalité de l'entente et le principe de réciprocité.
  Cet élargissement de la conception de la société civile 
  a des implications sur la notion d'espace public qui lui est associée. 
  Il permet notamment de régler un problème de cohérence 
  dans la construction conceptuelle d'Habermas. En effet, pour cet auteur, l'espace 
  public "constitue une structure intermédiaire qui fait office de 
  médiateur entre, d'un côté, le système politique, 
  de l'autre, les secteurs privés du monde vécu et les systèmes 
  d'action fonctionnellement spécifiés" (ibid., p. 401). C'est 
  pourquoi il est ancré "dans le monde vécu par l'intermédiaire 
  de sa base constituée par la société civile" (ibid., 
  p. 386). Or, par ailleurs, pour Habermas toujours, l'espace public ne saurait 
  pourtant "se concevoir comme une institution, ni, assurément, comme 
  une organisation ; (…) (et) il ne constitue pas non plus un système" 
  (ibid., p. 387). Bref, il "se décrit le mieux comme un réseau 
  permettant de communiquer des contenus et des prises de position, et donc des 
  opinions (…) filtrées et synthétisées de façon 
  à se condenser en opinions publiques (…)" (ibid.). 
  Ainsi, d'un côté, l'espace public est posé comme un pur 
  "espace" de communication, sans "contenu" ni "fonctions", 
  qui permet à la sphère privée (l'ordre domestique) de communiquer 
  avec les autres ordres (les "systèmes fonctionnels" chez Habermas). 
  De l'autre, il a sa base dans la société civile qui inclut la 
  sphère privée et à laquelle est reconnu un contenu institutionnel 
  et organisationnel propre. De deux choses l'une pourtant : soit la société 
  civile fait partie de l'espace public, ce qui est le cas quand on en fait sa 
  base ; soit elle n'en fait pas partie, ce qui est a contrario le cas lorsqu'on 
  admet qu'elle a un contenu organisationnel alors que l'espace public n'est pas 
  censé en avoir.
  Sortir de ce dilemme sans abandonner l'idée de différencier la 
  société civile de l'espace public, comme tend finalement à 
  le faire Habermas (ibid., p. 393), conduit à adopter la conception large 
  de la société civile. En effet, dans cette conception, la communication 
  dans l'espace public emprunte aussi bien le médium de la monnaie que 
  celui de la discursivité ; il y a lieu de considérer, par conséquent, 
  non seulement un espace public politique, mais aussi un espace public économique 
  où des flux monétaires circulent entre les divers ordres sociaux 
  et leurs économies. On peut alors voir dans la société 
  civile la partie instituée de l'espace public qui trouve certes, par 
  le bas, appui dans la sphère privée, mais est également 
  tirée par le haut, de l'extérieur, en tant qu'elle abrite aussi 
  des constructions institutionnelles négociées entre acteurs économiques 
  et politiques mobilisant l'ensemble des médiations sociales primaires 
  . Dans cette perspective, l'espace public est l'espace dans lequel les médiations 
  primaires se déploient en tant que purs médias de communication, 
  alors que la société civile est l'espace des médiations 
  secondaires qui inscrivent dans des formes institutionnelles particulières 
  ces médiations primaires. 
  De la sorte, plus une société est pluraliste, libérale 
  individualiste, moins elle fait appel à des médiations secondaires 
  pour assurer le lien social, plus l'espace public purement communicationnel 
  est large (et laissé au jeu des seuls mass médias) et la société 
  civile restreinte (et laissée au libre jeu d'une simple importation des 
  règles de l'ordre domestique en son sein). A l'inverse, plus il y a de 
  médiations secondaires, comme dans les sociétés sociales-démocrates 
  ou néo-corporatistes, plus l'espace public est conquis par la société 
  civile. Il y a alors confrontation en son sein entre institutions et organisations 
  endogènes (créées selon une logique domestique qui s'extériorise) 
  et exogènes (produites en fonction d'une logique de l'alliance entre 
  le politique et l'économique dont les activités respectives sont 
  ainsi intériorisées par la société et canalisées 
  à son profit).
  Le développement de la société civile permet aux pratiques 
  réglées par le médium de l'amour de sortir de l'intimité 
  de l'ordre domestique et de s'insérer par cette voie dans la régulation 
  sociale d'ensemble. La société civile fonctionne en quelque sorte 
  comme une couche périphérique de protection des relations domestiques 
  contre la pression des logiques dominatrices univoques du politique et de l'économique. 
  Réciproquement, elle donne une portée sociale plus large aux valeurs 
  et normes qui structurent l'ordre domestique. Toutefois, cette dynamique de 
  la société civile a été jusqu'à maintenant 
  secondaire par rapport à celle qui découle de son rôle dans 
  la recomposition du lien social et de la personne. Et c'est sans doute pourquoi 
  Habermas, en raison de son désir normatif de promouvoir la rationalité 
  communicationnelle personnelle en tant que moteur de la transformation des rapports 
  sociaux, fait si peu de cas de l'efficace régulatoire de la société 
  civile dans les sociétés salariales actuelles. 
V. La solidarité réciproque comme valeur hiérarchiquement supérieure dans le socialisme civil.
Le détour théorique qu'on vient d'effectuer montre au contraire 
  l'importance de l'ordre domestique et de la société civile dans 
  la régulation des sociétés capitalistes salariales. Le 
  développement en leur sein d'une sphère où la logique affectuelle 
  du monde de la vie prévaut, même si celle-ci ne peut s'épanouir 
  pleinement en raison des contraintes qu'y exercent les mondes dominants de la 
  richesse et de la puissance, conduit à l'affirmation de valeurs orientées 
  vers l'entente et d'un principe de solidarité réciproque dont 
  le jeu est rendu nécessaire pour circonvenir la contradiction entre dette 
  privée et dette sociale qui est intériorisée par la famille 
  salariale. L'ordre domestique, en tant que cœur de la société 
  civile, est ainsi un laboratoire social dont les découvertes peuvent 
  servir à l'échelle de la société tout entière 
  puisque celle-ci est aussi divisée par ces deux formes de la dette. Espace 
  d'expression et de reproduction de l'être humain en tant que personne 
  entière et non pas dissociée, l'ordre domestique fournit le modèle 
  d'alliance entre la dette privée et la dette sociale dont la structure 
  peut être reproduite à l'échelle sociétale, sans 
  impliquer de retotalisation de la société.
  Dans les sociétés salariales actuelles cependant, les formes fonctionnelles 
  de l'amour - conjugal, parental, fraternel - qui structurent l'ordre domestique, 
  ainsi que les principes d'entente interpersonnelle et de responsabilité 
  individuelle qui le régulent, sont dépréciés, voire 
  carrément ignorés. D'où le peu de cas qui est fait, en 
  pratique, du principe éthique de fraternité, pourtant inscrit 
  en lettres d'or au fronton de la république bourgeoise. A contrario, 
  comme on l'a avancé en introduction, prôner un socialisme civil, 
  c'est rechercher une revalorisation de ce principe jusqu'à ce qu'il devienne 
  hiérarchiquement supérieur en valeur. La question qui se pose 
  alors est celle du comment il peut ainsi devenir véritablement, dans 
  l'imaginaire institué des sociétés contemporaines, cette 
  valeur supérieure. 
  Pour le concevoir, on peut d'abord rappeler que la solidarité réciproque, 
  en tant que forme fonctionnelle de l'amour liant les rapports d'union contractuelle 
  et de descendance biologique, est tout autant que la monnaie - support de la 
  liberté - et le droit -support de l'égalité -, la représentation 
  ambivalente d'un rapport horizontal entre personnes et d'un rapport vertical 
  de l'individu à une totalité. C'est pour cela qu'elle peut être 
  la valeur supérieure dans le modèle chrétien du cosmos, 
  où l'amour du Dieu souverain est le garant de l'amour entre les hommes, 
  où l'amour vertical du père, représentation du tout cosmique, 
  est le garant de l'amour horizontal entre frères. C'est en raison de 
  cette ambivalence aussi qu'elle a servi à la sécularisation de 
  ce modèle dans les sociétés modernes où Dieu, le 
  père, est remplacé par la Nation, la patrie, c'est-à-dire 
  par la communauté politique d'appartenance. C'est l'amour partagé 
  de cette communauté qui rend les hommes frères et valorise une 
  solidarité fondée sur la réciprocité et déniant 
  par conséquent les rapports inégalitaires en richesse et en pouvoir. 
  Dans cette perspective donc, pour basculer dans le socialisme civil, il suffit 
  que l'amour, avec ses dimensions d'alliance et de chaîne, devienne le 
  médium dominant dans l'espace public, en surplomb de la monnaie et du 
  droit, ce qui équivaut à une montée en puissance hégémonique 
  de la société civile. 
  Mais on peut aller plus loin dans l'argumentation en utilisant le fait que la 
  perspective ci-dessus tracée converge avec diverses traditions socialistes 
  d'origines intellectuelles et d'époques variées. Trois d'entre 
  elles, en effet, mettent particulièrement en valeur le principe de solidarité 
  réciproque en en faisant un principe éthique supérieur 
  du socialisme devant commander aux principes de liberté et d'égalité 
  dans le cadre d'une hiérarchie de valeur : La tradition française 
  des socialistes pré marxistes dont P. Leroux est une figure éminente 
  ; la tradition du "socialisme fédéral" (guild socialism) 
  dont K. Polanyi est l'héritier ; et la tradition communautarienne récemment 
  réactivée par le philosophe M. Walzer.
  Pour les socialistes pré marxistes actifs lors de la révolution 
  de 1848, dans la triade "liberté, égalité, fraternité", 
  tout indissociable qui est "la plus haute expression des lois souveraines, 
  destinées à régir l'humanité" (David, 1992, 
  p. 329), la fraternité est le liant qui garantit la compatibilité 
  entre liberté et égalité. Ainsi, pour Pierre Leroux, elle 
  évite "que la liberté et l'égalité ne s'entrechoquent" 
  ; elle a pour fonction l'articulation, la médiation entre ces deux derniers 
  principes et peut ainsi servir de "moyen pour acheminer la société 
  vers son but : l'égalité dans le respect des différences" 
  (ibid., p. 108). De même pour Saint-Simon, la fraternité est le 
  principe "le plus général de tous les principes sociaux. 
  Il comprend dans ses conséquences, non seulement toute la morale, mais 
  aussi toute la politique. Il est le véritable principe constituant" 
  (ibid., p. 32). Et pour les communistes qui suivent Cabet, comme "les termes 
  de liberté et d'égalité sont essentiellement négatifs, 
  individualistes, égoïstes", "seule la fraternité, 
  en les réconciliant, les rend bénéfiques" (ibid., 
  p. 368). 
  Bref, les socialistes quarante-huitards "confèrent à la fraternité 
  cette particularité de pallier aux contradictions qui affectent la coexistence 
  de la liberté et de l'égalité" (ibid., p. 385) ; "la 
  liberté et l'égalité qui, prises séparément, 
  consacreraient ou l'indépendance individuelle, absolue négation 
  de la société, ou le complet assujettissement à l'État, 
  sont unies et conciliées par la fraternité" (C. Renouvier, 
  Manuel républicain de l'homme et du citoyen, 1848, cité par David, 
  1992, p. 352). "C'est la fraternité qui portera les citoyens réunis 
  en assemblée de représentants à concilier tous leurs droits, 
  de manière à demeurer des hommes libres et à devenir, autant 
  qu'il est possible, des égaux" (ibid., p. 265). 
  Mais la liberté et l'égalité ne font pas seulement que 
  se contrarier l'une l'autre, elles ne sont pas également, en tant que 
  principes d'individualisation, susceptibles à elles seules de faire société. 
  En revanche, dans la fraternité, il y va de la responsabilité 
  sociale de chacun, ce qui fait qu'elle est apte à servir de clef de voûte 
  du social. Dit autrement, on a "d'un côté la liberté 
  et l'égalité d'où procède le droit, de l'autre la 
  fraternité, qui est du devoir. Droit et devoir sont les conditions radicales, 
  premières de l'ordre. Alors que le droit protège l'individu, lui 
  assure la pleine jouissance de soi, le devoir le subordonne à la société 
  et unit ainsi, au profit de tous, les individus entre eux" (ibid., p. 330). 
  Ceci fait écho au point de vue développé plus en amont 
  dans ce texte selon lequel, dans l'ordre domestique salarial, d'une part la 
  responsabilité à l'égard de la descendance (dette sociale 
  qui prend la forme de la solidarité réciproque) est appelée 
  à surplomber les principes de liberté et d'égalité 
  qui régissent l'alliance conjugale (dette privée), d'autre part 
  cette hiérarchie de valeur propre à la sphère domestique 
  peut être transposée à l'échelle de la société 
  tout entière pour y intégrer l'ordre de la dette privée 
  sans pour autant récuser son existence, condition de la liberté.
  Cela dit, si on veut "éviter d'avoir à faire état 
  nommément de la fraternité jugée idéologiquement 
  surannée ou politiquement inefficiente" (ibid., p. 16), on peut 
  lui préférer la notion de réciprocité. Il faut alors 
  se référer non plus à la triade républicaine, mais 
  à son équivalent, le triptyque polanyien des "formes d'intégration" 
  - échange, redistribution, réciprocité -. Pour Polanyi, 
  "concevoir un ordre social qui concilie la liberté intérieure 
  absolue de l'individu et les nécessités de la survie de la communauté, 
  indispensable à la survie de l'individu et en même temps menace 
  pour sa liberté", implique de combiner ces trois "types d'organisation 
  sociale des activités économiques". Car "l'absolutisation 
  d'un seul mode menace tout aussi bien la liberté de l'individu que la 
  justice. (En effet, d'un côté) la société de marché 
  (…) qui fait de l'échange un absolu (…) représente 
  un danger mortel pour l'avenir. (De l'autre) la société des pays 
  socialistes (qui) absolutise la redistribution (…) supprime la liberté 
  individuelle. Seule une société fondée sur la réciprocité, 
  comme l'économie domestique, semble échapper chez Polanyi aux 
  dangers qu'il dénonce" (Maucourant, Servet et Tiran, 1998, p. XXVI, 
  c'est nous qui soulignons). 
  En effet, selon cet auteur, "(…) dans la vie institutionnelle de 
  la société, la liberté et l'égalité représentent 
  deux principes opposés", et pour les concilier, il faut "développer 
  les valeurs de la communauté" (ibid., p. XXVII). Aussi propose-t-il 
  un modèle de "socialisme fédéral" (Maucourant, 
  1993) où "des associations coopératives de producteurs, de 
  consommateurs et des communautés (municipalitiés, etc.) déterminent 
  en commun l'allocation et la répartition des ressources dans un processus 
  de négociations (où) les critères d'efficacité économique 
  (sont) tempérés par la politique sociale choisie par les membres 
  de ces associations" (Polanyi Levitt, 1998, p. 16). Soit une économie 
  qui n'est nullement sans marchés, ni sans monnaie, mais qui est une économie 
  de "choix négociés de collectivités associatives opérant 
  dans la complexité d'une société civile démocratique" 
  (ibid., p. 6). 
  Il est clair que la réciprocité n'est pas autre chose ici qu'une 
  forme de la fraternité et que le "socialisme fédéral" 
  de Polanyi est de la même veine que celui des quarante-huitards. C'est 
  là encore un "socialisme démocratique décentralisé" 
  visant "l'égalité dans la différence" et qui, 
  pour cela, fait toute sa place à ce qu'on a appelé la contrainte 
  démocratique de différenciation de la société.
  Sur ce dernier point, toutefois, le plus explicite est sans doute M. Walzer, 
  un autre partisan du "socialisme démocratique décentralisé" 
  , lorsqu'il met au cœur de son communautarisme un principe éthique 
  "d'égalité complexe". Pour ce philosophe, comme pour 
  Leroux et Polanyi, le socialisme veut l'égalité dans la différence, 
  i.e. une égalité qui se combine avec la liberté : "Une 
  société libérée de la domination, tel est le but 
  de l'égalitarisme politique. C'est l'espoir vivant que traduit le mot 
  égalité ; plus de courbettes ni de salamalecs, plus de servilité 
  ni de léchage de bottes ; plus de craintes ni de tremblements ; plus 
  de gens tout-puissants ; plus de maîtres, plus d'esclaves. Ce n'est pas 
  l'espoir que soient éliminées les différences ; nous n'avons 
  pas besoin d'être tous pareils ou d'avoir les mêmes choses en quantité 
  égale. Les hommes et les femmes sont égaux entre eux (sur tous 
  les plans moraux et politiques importants) quand personne ne possède 
  ni ne contrôle les moyens de domination" (Walzer, 1997, p. 16). Car, 
  "à la racine, la signification de la notion d'égalité 
  est négative ; l'égalitarisme est à l'origine une politique 
  abolitionniste (…). L'expérience de la subordination, de la subordination 
  personnelle avant tout, sous-tend la conception de l'égalité" 
  (ibid., p. 15), et une société est égalitariste "quand 
  aucun bien social ne sert ou ne peut servir de moyen de domination" (ibid., 
  p. 16). 
  C'est pourquoi, pour Walzer, viser un socialisme qui ne soit pas tyrannique 
  implique de passer de la recherche de l'égalité simple à 
  celle d'une égalité complexe. La recherche de l'égalité 
  simple se focalise sur une égale distribution des biens sociaux et conteste 
  tout monopole sur quelque ressource que ce soit. Elle ne s'attache pas en revanche 
  à empêcher la prédominance d'un bien sur les autres. Or 
  c'est la prédominance, laquelle découle de la possibilité 
  pour les détenteurs d'un bien de faire valoir par conversion ce bien 
  dans toutes les autres sphères de la vie sociale, plutôt que le 
  monopole lui-même, qui conduit à la domination tyrannique du groupe 
  social détenteur du bien prédominant. Aussi instituer un régime 
  d'égalité simple relativement à un bien prédominant 
  (les moyens de production par exemple) ne résoud pas le problème 
  des inégalités et de la domination, cela ne fait que déplacer 
  la prédominance sur d'autres biens (les moyens de coercition, par exemple). 
  
  L'égalité simple recèle en effet une contradiction indépassable. 
  D'un côté, elle nécessite "une intervention continue 
  de l'État pour briser ou contraindre les monopoles et pour réprimer 
  de nouvelles formes de dominance". Le pouvoir étatique lui-même 
  devient alors "l'objet central de la lutte compétitive". Et 
  comme "la politique est toujours le chemin qui mène le plus directement 
  à la prédominance, et (puisque) le pouvoir politique (plutôt 
  que les moyens de production) est probablement le bien le plus important de 
  l'histoire de l'humanité, et certainement le plus dangereux", il 
  faut alors, d'un autre côté, "contraindre les agents de la 
  contrainte, et établir des garde-fous et des équilibres constitutionnels 
  (…), limites imposées au monopole politique (…)". Mais 
  la forme démocratique de limitation du pouvoir politique consistant à 
  le distribuer largement, ce pouvoir sera nécessairement "faible 
  quand il lui faudra affronter la réémergence des monopoles dans 
  l'ensemble de la société, la force sociale des ploutocrates, des 
  bureaucrates, des technocrates, des méritocrates et autres" (ibid., 
  p. 40). Bref, "en théorie, le pouvoir politique est le bien prédominant 
  dans une démocratie, et il est convertible au choix des citoyens. Mais 
  en pratique, (…) briser le monopole du pouvoir a pour effet de neutraliser 
  sa prédominance" (ibid.) ; il n'est plus alors capable d'empêcher 
  la formation de monopoles sur d'autres biens sociaux et l'accès à 
  la prédominance de ces monopoles. Pour sortir de cette contradiction 
  inhérente au régime de l'égalité simple, il faut 
  considérer que c'est non pas le monopole, mais la prédominance 
  qui est "le problème central de la justice distributive" (ibid., 
  p. 41). 
  C'est à cette fin que Walzer met en avant son principe d'égalité 
  complexe, destiné à la fois à "redonner forme à 
  la complexité réelle des répartitions et vivre avec elle", 
  et à "définir les limites précises qu'on doit assigner 
  à la convertibilité des biens" d'une sphère de répartition 
  à l'autre, de sorte que "le processus de conversion n'engendre pas 
  la multiplication de l'inégalité" (ibid., p. 42) et la domination 
  tyrannique qui l'accompagnera nécessairement. En effet, puisque la prédominance 
  d'un bien est liée à sa capacité de conversion dans d'autres 
  biens appartenant à d'autres sphères d'activité régies 
  par des principes propres, et comme "convertir un bien quelconque en un 
  autre, quand il n'y a pas de connexion intrinsèque entre les deux, c'est 
  envahir la sphère dans laquelle une autre communauté d'homme et 
  de femmes a autorité", la prédominance mène inéluctablement 
  à la tyrannie et au cumul des inégalités : "la prédominance 
  des biens produit la domination des gens" (ibid., p. 44-45). En d'autres 
  termes, l'égalité complexe, qui reconnaît comme un fait 
  premier la différenciation de la société en de multiples 
  sphères autonomes d'activité et de valorisation, n'implique pas 
  l'égalité simple dans chacune de ces sphères, mais seulement 
  la non-redondance des inégalités d'une sphère à 
  l'autre et une valorisation identique des divers principes distributifs qui 
  prévalent dans chacune d'entre elles. Ce n'est qu'à "partir 
  du moment où nous commençons à distinguer des significations 
  et à délimiter nos sphères distributives (que) nous sommes 
  sur le voie d'une entreprise égalitaire" (ibid., p. 56).
  Mais si la notion d'égalité complexe permet de fonder un socialisme 
  démocratique et décentralisé, du fait même qu'elle 
  met à son principe "la défense des frontières" 
  entre les différentes sphères qui participent de la vie d'une 
  société - soit "une différenciation maximale par opposition 
  à une coordination maximale" -, elle pose immédiatement la 
  question de ce qui fait alors société, de ce qui fait tenir ensemble 
  ces diverses sphères. Pour Walzer, la réponse est que, pour cela, 
  il suffit de prendre comme "base à partir de laquelle on peut considérer 
  la justice distributive" (ibid., p. 58) la communauté politique 
  où "le langage, l'histoire et la culture s'unissent (…) pour 
  produire une conscience collective" (ibid., p. 57). Selon cet auteur, en 
  effet, l'appartenance à une communauté politique implique simultanément 
  "une signification commune de cette appartenance pour les membres présents 
  et le principe de l'aide mutuelle" (ibid., p. 88) : au-delà et en 
  deçà de sa dimension symbolique, l'appartenance est fondée 
  "en raison de ce que les membres d'une communauté politique se doivent 
  l'un l'autre et à personne d'autre, ou à personne d'autre au même 
  degré (…), la première chose qu'ils se doivent (étant) 
  une certaine assistance communautaire (communal provision) en matière 
  de sécurité et de bien être (welfare)" (ibid., p. 103). 
  
  En liant ainsi communauté politique et aide mutuelle , et en faisant 
  de la communauté politique la base d'un régime d'égalité 
  complexe , M. Walzer retrouve à son tour le rôle recteur du principe 
  de fraternité ou de "solidarité réciproque" des 
  socialistes pré marxistes français et de Polanyi. Mais, entre-temps, 
  il a enrichi l'approche de la relation entre fraternité, liberté 
  et égalité. L'égalité complexe ne règle pas 
  seulement, en effet, chez lui, la relation entre égalité et liberté, 
  en tant qu'elle est égalité dans la liberté. Elle définit 
  également les conditions pour que l'aide mutuelle puisse devenir un principe 
  éthique hiérarchiquement supérieur et que, simultanément, 
  grâce au principe de "différenciation maximale", toute 
  forme de totalitarisme soit étouffée dans l'œuf. 
Conclusion
Au terme de ce texte, on pense avoir montré qu'il existe une voie possible 
  de dépassement du capitalisme qui, compte tenu de l’effondrement 
  du socialisme d'État, reste la seule permettant de penser que le capitalisme 
  n'est pas la fin de l'histoire. Le développement politique n'apparaît 
  pas non plus épuisé ou définitivement canalisé par 
  les formes de la démocratie libérale, quand bien même cette 
  dernière, en dépit des multiples indices de sa crise actuelle, 
  est le plus souvent présentée comme la forme achevée du 
  politique. 
  Le problème central de la démocratie libérale est que, 
  dans son cadre, la conquête de la liberté ne peut se faire qu'aux 
  dépens de l'égalité et de la cohésion sociale interne, 
  ou, réciproquement, celle de l'égalité aux dépens 
  de la liberté et de l'expansion économique ou de la puissance 
  externe. Or les sociétés modernes sont à la recherche de 
  l'égalité dans la liberté. Pour sortir de ce dilemme, on 
  a vu la nécessité de faire intervenir un troisième terme, 
  la fraternité ou la solidarité réciproque, terme médiateur 
  rendant possible la coexistence de la liberté et de l'égalité 
  dans un régime d'égalité complexe respectueux de la différenciation 
  de la société en de multiples sphères, gage d'une démocratie 
  réelle. Ainsi sont mis en œuvre conjointement les principes de liberté, 
  d'égalité et de fraternité qui trouvent leurs espaces "naturels" 
  d'action dans les différents ordres économique, politique et domestique, 
  et qu'il s'agit de lier dans l'ordre symbolique sans pour autant que cela conduise 
  à un retour à l'indifférenciation sociale. 
  Dans cette perspective, la démocratie est effective en même temps 
  que la société sera socialiste lorsque ces trois principes sont 
  articulés selon une hiérarchie de valeur où la solidarité 
  réciproque est une valeur supérieure à l'égalité 
  politique et à la liberté économique. La démocratie 
  reste formelle tant que les valeurs du marché ou celles de l'État 
  s'imposent en toute légitimité dans l'ensemble des sphères 
  de la vie sociale, car alors il y a dégradation de l'autorité 
  du système des valeurs communes en pouvoir. A contrario, dans la démocratie 
  réelle, l'autorité souveraine sera le monde de la vie et les pouvoirs 
  économiques et politiques devront être soumis à l'autorité 
  de la société civile régie par le principe de solidarité 
  réciproque. Ce qui n'empêche pas qu'à un niveau inférieur 
  en valeur, l'égalité comme la liberté, activées 
  dans leurs mondes propres de la puissance et de la richesse, l'emportent sur 
  celui-ci. Ce maintien de leur présence à des niveaux inférieurs 
  en valeur dans la société est nécessaire pour garantir, 
  grâce à la division des pouvoirs et à la diversité 
  des rationalités de comportement, contre toute dérive totalitaire 
  de type familialiste-communautaire-vitaliste (que, par exemple, le projet d'une 
  certaine écologie radicale n'est pas sans évoquer). 
  En d'autres termes, le "sociétalisme" requiert une rehiérarchisation 
  du triptyque "liberté, égalité, fraternité" 
  en "fraternité-égalité-liberté" ou "fraternité-liberté-égalité" 
  (selon que la trajectoire historique des sociétés est conformée 
  par un référentiel plutôt libéral - l'égalité 
  étant censée découler de la liberté - ou plutôt 
  social - l'égalité étant conçue comme la condition 
  de la liberté), plaçant ainsi la logique domestique de la réciprocité 
  et de la fraternité au sein de l'imaginaire institué en position 
  hiérarchiquement supérieure en valeur. Car il ne s'agit pas de 
  faire disparaître la logique de l'échange et de la dette privée, 
  seule garantie du maintien de la raison d'État en position hiérarchiquement 
  inférieure aux raisons du monde de la vie, comme à l'inverse, 
  de détruire l'État, celui-ci étant réciproquement 
  nécessaire au maintien à sa juste place de la logique marchande. 
  
  Basculer dans un système sociétaliste, dans le socialisme civil, 
  c'est par conséquent réordonnancer la hiérarchie interne 
  à l'ensemble des principes démocratiques déjà constitués, 
  c'est faire la révolution symbolique qui mettra la solidarité 
  réciproque en position d'autorité, de valeur souveraine. 
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