Les difficultés d'ancrage de la bourse régionale des valeurs mobilières de l'UEMOA dans les mœurs économiques ouest-africaines

Babacar NDIAYE
CODESRIA Dakar
SENEGAL


INTRODUCTION

A l'heure des débats sur le NEPAD, la réforme des institutions de Bretton Woods et l'annulation de la dette des pays du Tiers-Monde, la question du financement du développement se pose avec toujours plus d'acuité que jamais. Il ne saurais en être autrement si l'on sait que le débat sur les modèles possibles de développement a, depuis belle lurette, laissé place à des interrogations sur les moyens de réduction de la pauvreté, la lutte contre la malnutrition et les grandes endémies, en un mot, les questions de survie ont remplacé les questions de développement.
Une des conséquences tirées de cette situation est que l'aide au développement qui s'est largement essoufflée au cours des deux dernières décennies, est de plus en plus consacrée, non pas à l'effort de développement, mais plutôt au soulagement (" relief ") de quelques " souffrances " comme la pauvreté, les maladies (principalement le SIDA) et la surpopulation. Ainsi, il y a ainsi de moins en moins de crédits à taux concessionnels accordés aux Etats, aux sociétés publiques ou aux entreprises stratégiques. Or, le recours au crédit courant bancaire, en plus de son coût exorbitant, ne permet point de financer le type d'investissement que requièrent ces acteurs économiques. Il s'y ajoute que les déficits publics, la gabegie dans la gestion des entreprises ont sérieusement érodé la capacité d'action des banques de développement.
Dès lors, il s'est avéré utile et urgent de réfléchir sur les moyens alternatifs de financer l'investissement public et privé, ce qui dans toute économie saine et orientée vers la croissance et le développement devrait provenir de l'épargne nationale. Or, l'exiguïté des marchés nationaux et la faiblesse des tissus économiques locaux ne permettent pas de capter une épargne institutionnelle consistante.
Les Etats Ouest-Africains ont tôt compris l'enjeu que constituait le financement des investissements publics et privés par l'épargne sous régionale. C'est ce qui a présidé à la création d'un marché financier sous régional avec comme point d'orgue l'érection de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) à la place de la Bourse d'Abidjan en Décembre 1993. Ce marché qui regroupe l'ensemble des pays membres de l'Union Monétaire et Economique Ouest Africaine (UEMOA) à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo a été conçu pour compléter et renforcer les marchés interbancaires et monétaires et offrir aux opérateurs économiques de la sous région de nouvelles opportunités de placement et de financement alternatifs. La mise en œuvre de la décision du Conseil des Ministres de l'UEMOA de décembre 1993 a conduit à la création en 1996 de la BRVM et du Dépositaire Central/Banque de Règlement et en 1997 du Conseil Régional de l'Epargne Publique et des Marchés Financiers, même si ces institutions n'ont effectivement démarré leurs activités que le 16 septembre 1998.
Presque quatre années après la mise en place de ce marché financier sous régional, il est important, au delà de la satisfaction légitime que l'on peut tirer de son existence et de ses réalisations, de s'interroger sur la faiblesse relative de sa capitalisation boursière au regard des énormes potentialités qu'offre l'épargne intérieure sous régionale.
La réponse à cette interrogation peut être donnée d'un double point de vue : technique d'abord, économique ensuite. Notre propos ici est d'approfondir la réflexion sur le deuxième aspect de la réponse à savoir les difficultés d'ancrage de la bourse dans les mœurs économiques ouest africaines, d'en détecter les causes et de tenter de proposer des alternatives pour une popularisation de la bourse en Afrique de l'Ouest en particulier et dans le continent en général.
Pour ce faire, nous tenterons après une présentation du contexte dans lequel évolue la BRVM (I), d'analyser les difficultés auxquelles elle fait face que nous nous croyons découler des limites du modèle boursier occidental (II), avant de suggérer quelques pistes de réflexion pour un ancrage de l'activité boursière dans une économie sous développée de type ouest africain ou africain (III).

I - LA BRVM DANS L'ECONOMIE OUEST AFRICAINE

C'est dans le contexte de la dévaluation du franc CFA intervenue le 12 janvier 1994, qu'une nouvelle dynamique est née au sein des Etats Ouest africain tendant à la consolidation d'une union économique et d'un marché financier autour de l'union monétaire qui les liait depuis les indépendances en 1960.
Toutefois, pour éviter les écueils notés dans les impulsions régionalistes précédentes, du fait de législations nationales divergentes, les préalables à la création de ce marché financier ont cette fois bien été pensés. Il a fallu, pour cela, procéder à quelques abandons de souveraineté pour créer un cadre juridique et comptable commun aux différents Etats. La mise en place d'un droit uniforme des affaires dans le cadre de l'Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) et celle du Système Comptable Ouest Africain (SYSCOA) après l'élaboration d'un droit uniforme pour les banques et établissements financiers (CRBEF) et les sociétés d'assurance (CIMA) ont été des jalons majeurs dans la préparation et l'accompagnement de l'avènement d'un marché financier sous-régional.
Sur un plan pratique, en décidant en septembre 1998 de substituer la BRVM à la Bourse d'Abidjan, les dirigeants ouest africains ont voulu lui faire bénéficier de l'expérience acquise par cette dernière, même si celle-ci a été plus marquée par une inertie plutôt que par un quelconque dynamisme. La BRVM a été constituée sous forme de société anonyme au capital de près de 3 milliards de francs CFA (4.3 millions USD) avec 170 actionnaires, majoritairement du privé.(1)
La BRVM inclut dans son périmètre d'action l'ensemble des pays de l'UEMOA dont l'économie a été dopée par la dévaluation et la baisse du prix des produits pétroliers vers la fin des années 1990. Pendant cette période, les indicateurs macro-économiques des pays de l'UEMOA affichent une santé somme toute enviable dégageant une épargne intérieure qui est passée de 3.2 milliards de dollars US en 1997 à 4.35 milliards de dollars US en 1999 et une croissance économique stable autour de 5.5%. En valeur relative le taux d'épargne intérieure a gagné 2.4 points entre 1997 et 1999. Les investissements ont également progressé de 3.8 milliards de dollars US en 1997 à 4.9 milliards en 1999 avec un taux évoluant de 1.6 points en valeur relative. Comparés à ceux des autres pays de la sous région, ces indicateurs économiques sont le reflet d'une relative santé économique au moins en termes d'agrégats.(1)
La mission de la BRVM, telle qu'elle lui a été assignée par les autorités monétaires ouest-africaines, était de constituer un pôle attractif de l'épargne des entreprises et des ménages et une source de financement des Etats et des entreprises. Cette mission, la BRVM a tenté de la remplir tant bien que mal en accueillant 38 sociétés et 18 obligations à sa côte ainsi que 16 Sociétés de Gestion et d'Intermédiation (SGI). Elle a réussi à atteindre une capitalisation boursière significative après trois années de fonctionnement ( au 29/06/2002 elle était de 1,12 milliards de dollars US). Des obligations pour un total de 118,3 millions de dollars US y sont également cotées.(1)
L'héritage de la bourse d'Abidjan est assez important dans le portefeuille actions de la BRVM (plus de 90%). Mais le développement le plus notable qu'aura permis le marché financier sous régional concerne les émissions d'obligations aussi bien en faveur des Etats (Sénégal, Côte d'Ivoire, Mali, etc.) et des entreprises (BRAKINA, SAGA CI, SONATEL, ICS etc.) qui ont été portées à la côte de la BRVM. Ces opérations n'auraient pas été possibles sans l'avènement du marché financier sous régional.
Cependant, il ne fait pas de doute que comparée aux bourses nationales sud américaines ou sud européennes opérant dans des pays émergents, ces chiffres sont dérisoires, même si au vu des capacités du marché unique de gré à gré qui l'a précédée, la bourse a permis une amélioration sensible de la captation de l'épargne régionale rien qu'en brisant les frontières nationales.
A son niveau de 1,12 milliards de dollars, le total de ses opérations est bien en deçà de la norme fixée à 40% de l'épargne intérieure soit 1,7 milliards. Ce gap de 35% sur les potentialités qu'offre l'économie ouest africaine s'explique par l'inadéquation entre l'offre boursière et la demande de ressources.
S'agissant de l'offre boursière, il y a lieu de noter que celle de la BRVM est vraiment limitée. Il est, en effet, surprenant de constater que celle-ci n'organise qu'un marché comptant d'actifs financiers. Il n'y est donc pas organisé un marché à terme (futures, forwards), ni un marché dérivé (options), encore moins un marché d'actifs physiques (matières premières minières et agricoles) ou d'actifs monétaires (change). On imagine aisément l'intérêt de ces types de marché dans l'intégration régionale et l'économie ouest africaine.
Outre qu'un marché de matières premières minières et agricoles auraient constitué un lieu d'échange de produits de la sous région non inscrits à la côte des bourses des pays développés du Nord comme le phosphate, l'arachide, le mil, l'huile de palme, la banane etc. alors qu'ils font l'objet d'un commerce très important entre pays du sud (Afrique, Asie et Amérique Latine), un marché à terme de ces types de produits mettrait fin à la spéculation passive dont sont victimes les agriculteurs et les Etats de la sous région pour les produits côtés comme le coton et le cacao. Ainsi un agriculteur malien, la CMDT ou l'Etat malien pourrait vendre des options d'achat de coton au moment où le cours est favorable ou vendre à terme son coton à une industrie textile de la sous région ou encore profitant de l'interpénétration des marchés, trouver preneur en Afrique du Sud, en Asie ou en Amérique Latine. Il est vrai que la spéculation passive à laquelle se soumettent nos Etats et nos opérateurs économiques constitue un des fondements des déséquilibres tant dénoncés dans le commerce mondial. En effet, les prix des matières premières agricoles et minières qui sont nos principales productions sont fixés sur la base de spéculations très virtuelles dont les prises de bénéfices anéantissent tout espoir de les rétribuer à leur juste valeur. Nous pensons donc que le combat pour un commerce équitable passe, au delà du plaidoyer que font avec beaucoup de dynamisme les organisations de la société civile, par la mise en place de structures pouvant faire face à la spéculation abusive dont sont victimes nos productions.
De même, l'on peut s'étonner qu'au moment où est mise en place une agence monétaire ouest africaine et que des critères de convergence pour une monnaie unique à l'échelle de la CEDEAO sont définis, une bourse régionale en Afrique de l'Ouest n'intègre pas un marché des changes. La bourse régionale, en s'intéressant au marché des changes au moins pour les devises africaines, aurait permis des échanges de devises locales pour le commerce intra-régional et même de faire jouer au CFA et au naira nigérian un rôle de monnaie d'échange et de référence sous régionale. Ceci aurait permis de préparer l'avènement d'une monnaie unique ouest africaine mieux que les nombreuses réunions et études en cours si l'on sait l'intégration UEMOA va à contresens de l'intégration CEDEAO. Couplé à un marché d'option, il permettrait de renforcer et de diversifier les opérations de couverture de change qu'opèrent déjà certains acteurs économiques de la sous région dans le marché de gré à gré. Il s'y ajoute que les excédents et insuffisances de ressources en devises dans les Etats de la CEDEAO se compenseraient dans cette bourse, réduisant fortement les placements hors zone, gage de la solidité de la monnaie unique ouest africaine à créer.
Par rapport à la demande de ressources financières, il y a lieu de souligner que la nature des demandeurs est assez particulière en ce que, d'une part, les entreprises publiques et les Etats sont ici habitués à des subventions et des crédits à taux concessionnels (0 à 2%) de la part d'agences de développement et d'organismes régionaux ou internationaux de coopération, et d'autre part, l'écrasante majorité des entreprises privées n'ont ni la taille, ni les moyens de prétendre aux opportunités qu'offre la bourse. En fin de compte, hormis les Etats, la grande majorité des intervenants à la BRVM sont des filiales de multinationales ou d'entreprises publiques du Nord qui ont quelque fois l'audace de rapatrier leurs bénéfices avant d'émettre des obligations sur le marché régional. Les ICS avec une participation publique majoritaire (Etats du Sénégal, du Cameroun, de la Côte d'Ivoire et du Nigeria) constitue à cet égard une exception remarquable.
Il est tout à fait paradoxal qu'au moment où l'on constate une sur-liquidité des banques, beaucoup d'entreprises et d'Etats de la sous-région ploient sous un déficit d'investissements cruciaux à leur développement. La raison n'est pas seulement l'inadéquation entre les ressources disponibles de caractère court et les besoins de financement de caractère long. En effet, la bourse a pour autre finalité de transformer des ressources courtes en ressources longues, du fait de la liquidité des titres qui y sont côtés.
On note également le fait que les investisseurs institutionnels qui s'orientaient souvent vers l'immobilier, ont découvert, avec les troubles politiques intervenus en Côte d'Ivoire et le repli de nombres d'Organisations Internationales et de Sociétés Multinationales, que ce domaine est plus risqué qu'il n'y paraît. Ce type d'investissement, au lieu de se déplacer d'un pays à un autre, pourrait se transformer en valeurs mobilières pour peu que la demande soit exprimée. Mais c'est là où se trouve la difficulté, car comme le rappelait récemment M. Jean-Paul Gillet, Directeur Général de la BRVM, " il y a un potentiel important d'entreprises qui pourraient lever des capitaux sur le marché financier "(2).
L'impact de la BRVM pour l'émergence d'une nouvelle économie en Afrique de l'Ouest fondée sur le dynamisme des marchés financiers est encore très marginal. C'est en cela que le modèle boursier occidental trouve ses plus grandes limites dans le contexte africain.

II - LIMITES DU MODELE BOURSIER OCCIDENTAL

Malgré quelques avancées significatives notées ci-haut, il semble évident que la capitalisation boursière n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière, alors que la BRVM évolue dans le contexte d'une économie ouest africaine en profonde mutation, du fait des vagues de privatisation des sociétés publiques et de l'éclosion de nouvelles opportunités d'affaires notamment dans les services financiers.
Les barrières sont élevées pour les demandeurs de ressources du fait des conditions exigées pour entrer à la BRVM, le capital requis pour accéder à la côte de la bourse (500 millions pour le premier compartiment et 200 millions pour le second) étant largement au dessus de la moyenne de la capitalisation des entreprises de la sous région. Le nombre réduit de Sociétés de Gestion et d'Intermédiation (SGI) intermédiaires du marché (16) ne permet pas encore de faire jouer à fond la concurrence. Dans beaucoup de pays (en dehors de la Côte d'Ivoire et du Bénin), il n'y en a qu'une seule et la raison peut être trouvée dans les exigences mises à leur création : un capital de 215.000 USD entièrement garantis et des équipements notamment informatiques de premier ordre soit la nécessité d'avoir le double en capitaux propres. Les commissions variant entre 1 et 2% pour la levée de fonds et 1 et 1.5% pour le courtage, bien que n'étant pas assez rémunératrices dans le contexte actuel de rareté des ordres de bourse, sont assez dissuasives pour beaucoup d'acteurs économiques.
Il est somme toute paradoxal que, d'une part, beaucoup d'entreprises qui éprouvent de réelles difficultés de financement et de croissance hésitent à tenter l'aventure boursière alors que, d'autre part, des entreprises publiques à privatiser ne trouve pas preneurs ? Il y a là matière à réfléchir sur la perception qu'ont les opérateurs économiques de la bourse et sur le modèle boursier qui leur est proposé et qui n'a pas encore permis l'émergence d'un actionnariat populaire ; seul à même de satisfaire au diktat des institutions de Bretton Woods quant à la réforme du secteur public. La valse d'opérette qui s'exerce autour des privatisations des grandes entreprises nationales d'eau, d'électricité ou de télécommunication est assez troublante. Non seulement, les Etats de la sous-région se plient aux diktats des multinationales étrangères mais encore, lors qu'ils arrivent à un accord, c'est avec des entreprises publiques de l'ex puissance coloniale construisant ainsi un sentiment de re-colonisation au sein de la population. Or, que n'eût il été plus judicieux d'ouvrir le capital de ces sociétés nationales à l'épargne publique sous la houlette d'hommes d'affaires de la sous région.
Nous pensons que les difficultés d'émergence d'un véritable et dynamique marché financier sous régional sont à chercher dans les problèmes d'accommodation des activités boursières dans les mœurs économiques ouest africaines.
Au delà d'un discours sur les spécificités culturelles d'une Afrique en pratique plus qu'extravertie notamment au plan économique, il convient de poser la question par rapport aux types d'activités et à la structure de l'économie de la sous-région largement marquée par une informalisation qui fausse toutes les données économiques objectives et subjectives, du fait d'une anticipation dont la rationalité n'est pas toujours bien cernée.
En effet, les flux monétaires les plus importants sont ici détenus, non pas par les investisseurs institutionnels notamment les banques, les assurances et les fonds de pensions, mais par un secteur informel au dynamisme tentaculaire et auquel il reste à faire l'apprentissage des voies boursières.
Pour ce faire, nous pensons que le modèle boursier proposé aux africains de l'ouest doit être revu. Ce modèle, fondé uniquement sur les actions et les obligations, n'est en fait qu'une transposition à l'échelle régionale d'opérations antérieurement passées au plan national dans un marché de gré à gré. Or, d'une part, l'objectif premier d'un marché organisé devrait être d'étendre la sphère du marché financier, non pas seulement au plan géographique, mais surtout à des activités non couvertes par le marché de gré à gré et, d'autre part, le modèle boursier choisi convient plutôt à une économie organisée avec une intégration complète entre les différents secteurs de l'économie et un recours permanent au système bancaire permettant une compensation entre les besoins et les excédents de ressources. Dans la zone UEMOA, le secteur informel capte l'essentiel des ressources dans une économie parallèle qui ignore pour l'essentiel le système bancaire. Les transactions commerciales et monétaires entre les pays de la zone UEMOA y compris en terme de crédits et de participations échappent pour l'essentiel à l'économie structurée. Il s'ensuit que l'épargne intérieure est objectivement sous évaluée et les potentialités du marché sous estimées.
Cela n'est nullement remis en cause par la réussite des émissions récentes (ICS, Etat de Côte d'Ivoire, etc.)qui ont obtenu beaucoup plus qu'elles n'espéraient simplement du fait de la sur-liquidité du système bancaire sous-régional. Les acteurs économiques cibles de ces émissions étaient principalement les investisseurs institutionnels (fonds de pensions, assurances, OPCVM, entreprises et établissements financiers), ce qui constitue une des grandes faiblesses du système boursier actuel du moment où l'essentiel de l'économie se joue ailleurs.

III - POUR UNE ACCLIMATATION DE LA BOURSE EN AFRIQUE

Faire du marché financier régional un pôle attractif de financement de l'économie suppose évidemment son ancrage dans les mœurs économiques, c'est a dire créer le réflexe qui fait que les excédents et les déficits de ressources s'y compensent. Cela suggère un dynamisme et une fiabilité telles que les opérateurs économiques évitent toute thésaurisation préjudiciable à l'économie. Il est dès lors important dans la recherche des moyens d'impulser un nouvel élan au marché financier sous régional de parier sur l'ancrage culturel des activités boursières dans les mœurs économiques ouest africaines. Cela passe, après un état des lieux et une analyse concrète des types et formes de l'activité économique dans la sous région, par une acclimatation des règles boursières au contexte économique de nos Etats.
De notre point de vue, l'acclimatation de la bourse au contexte économique de nos Etats passe par trois voies :
Il y a d'abord que la sphère des demandeurs de ressources doit être élargie : les niveaux requis pour accéder à la côte de la bourse (500 millions pour le premier compartiment et 200 millions pour le second) doivent être révisés à la baisse ( dans l'ordre de 100 millions pour le premier compartiment et 25 millions pour le second) en privilégiant d'autres critères comme la forte intensité de main d'œuvre, le chiffre d'affaires ou l'orientation vers l'exportation ou encore la rentabilité des capitaux investis. Ceci permettrait d'inviter un plus grand nombre d'entreprises au banquet de la bourse. En effet, autant la bourse est élitiste en Occident, autant elle devrait être populaire en Afrique du fait de l'inexistence d'une véritable catégorie d'hommes d'affaires et de financiers capables de la faire marcher et en raison de la rareté et de la dispersion des capitaux.
Il y a ensuite qu'il est urgent d'étendre la sphère des apporteurs de ressources cibles du marché financier régional. Pour ce faire, il y a d'abord lieu de la réformer du point de vue de son domaine en y intégrant un marché des matières premières agricoles et minières, un marché à terme et un marché dérivé. Il faudrait adopter une stratégie d'actionnariat populaire fondé sur les organismes de micro-finance. Le développement notable de ces organismes noté au cours des dix dernières montre l'intérêt d'une tropicalisation des instruments économiques et financiers occidentaux. En érigeant de nombreuses mutuelles d'épargne et de crédit, les organisations de la société civile ont permis une intégration dans le système bancaire d'un nombre important d'activités qui en étaient jusque là exclues, du petit artisan de quartier à la petite éleveuse de village. Ces organismes de micro-finance peuvent être un relais important pour l'avènement d'un actionnariat populaire en Afrique de l'Ouest. Mais, ceci passe par, d'une part, l'abaissement des valeurs nominales des titres émis de 10.000 à 100.000 CFA actuellement à 2.500 à 10.000 F CFA, et, d'autre part, par une stratégie orientée vers la propriété et la souveraineté économique plutôt que vers le profit. Ce n'est point un rêve que de voir un jour le capital d'Air Afrique partagé par de petits épargnants africains sous la houlette de goldens boys locaux. Mais ceci passe par l'émission d'actions de faible nominal et une perception renforcée pour ces épargnants qu'en achetant une ou plusieurs actions, ils deviennent propriétaires d'un des joyaux de notre intégration économique. Quand le modèle boursier occidental privilégie le profit et la spéculation, son adaptation africaine devrait explorer la propriété partagée pour des raisons à la fois culturelles et religieuses, quand celle-là cible des investisseurs, celle-ci devrait rechercher de petits épargnants.
Il y a enfin que les organisations régionales devraient un rôle plus accru de garantie pour les investisseurs particulièrement les petits porteurs, un rôle qui ne peut pas être rempli par une simple législation ou des organes de contrôle mais qui requiert une plus grande implication des organismes de garantie des investissements. Vis à vis des petits porteurs, cette assurance est fondamentale. Elle l'est autant que l'implication des organisations de base, surtout communautaires, celle de la société civile, particulièrement les organisations syndicales patronales, artisanales, agricoles et ouvrières. Il s'agit là de créer des relais nécessaires pour atteindre les petits porteurs en sécurisant leur épargne.

CONCLUSION

Les autorités monétaires ouest africaines ont fait preuve de beaucoup d'audace et de prospective en créant la BRVM. Cette dernière est sans aucun doute un outil important dans la mobilisation de l'épargne publique sous régionale. Toutefois, comme beaucoup d'instruments économiques et financiers, elle est une pâle copie de ce que fait l'occident sans tenir compte du contexte économique de la sous région. En cela, elle manque d'originalité et de perspectives. L'évolution de l'économie africaine qui a vu émerger un secteur informel très dynamique et qui malheureusement aujourd'hui encore tarde à être encadré et canalisé vers les objectifs de développement du continent ne peut laisser indifférent le modèle boursier à proposer aux africains. Ceux qui l'ont compris avant ont mis en œuvre le concept de micro-finance qui a beaucoup aidé au financement de micro-projets et au captage de la petite épargne. Il est temps de créer la micro-bourse qui serait le modèle africain de marché financier. De même, l'ambition de notre bourse doit aller au delà des valeurs mobilières, elle doit embrasser tous les secteurs où la spéculation est entrain de porter préjudice à nos économies.
Réinventer la bourse, n'est-ce probablement pas cela le prochain apport que nous ferons à l'économie mondiale ?
BIBLIOGRAPHIE

Du fait de son caractère récent, la BRVM n'a pas encore fait l'objet d'ouvrage. Seuls quelques articles lui ont été consacrés dans la presse.
Nombre des informations contenues dans cette communication ont été tirées du site web www.brvm.org

Site web www.brvm.org
Wal Fadjri Sénégal du 02 juillet 2002

1 - Liste des ouvrages consultés :

P. VIZZAVONA : Marchés financiers édition LITEC
AKADIRI ET W. IDOLEKE Analyse de la performance de la BRVM : mémoire non édité.

2 - Liste des articles consultés