Pour une planète humaine et solidaire



Ce souhait d'une planète humaine et solidaire est rivé au cœur de milliards de personnes tant cette planète semble à bien des égards hostile et inhumaine. Pourquoi tant de crises répétées comme celle qui ronge l'Argentine depuis plusieurs mois ? Cette crise, une de plus, est devenue banale au point que les journaux n'en reparlent que lorsque le FMI, qui commence à craindre le pire, prête jusqu'à 30 milliards de dollars au Brésil. Il s'agit de sommes astronomiques qu'il n'a jamais mises à la disposition d'aucun pays jusqu'ici. Pourquoi tant de chômage et de précarité d'emploi, d'incertitudes du lendemain partout? Pourquoi ce mal de vivre presque partout dans le monde rural de Bretagne, de France, du Brésil, du Bengladesh, du Sénégal, etc…?

A quoi sert cette puissance de la technique et des armes de destruction si ce n'est à nous interroger sur la durabilité de ce développement. De quel développement? Comme l'écrivait dans le Monde à propos du sommet de Johannesburg le prix nobel d'économie Amartya Sen : qu'est ce à dire prendre pour objectif que les générations futures bénéficient au moins des mêmes conditions matérielles que les générations présentes pour les milliards de très pauvres?

La bonne volonté et les savoir existent mais ils ne sont pas pertinents. Avec les théories de Keynes on avait cru disparu le spectre d'un monde économique avec des crises à répétition et des risques majeurs du type crise de 1929; mieux même, dans l'euphorie des trente glorieuses, le monde occidental était persuadé d'avoir vaincu définitivement le chômage. En 1962, l'ONU lance une décennie du développement et l'on croit pouvoir éradiquer le sous-développement industriel. On va décider cinq ans plus tard que les pays riches vont généreusement offrir 0,7 % de leur PNB comme aide au développement pour la masse des pays pauvres.

La bonne volonté existe et les pays du tiers monde croient aux enseignements de la science économique et réclament "trade but not aid". Ainsi sur ces bases on a créé en 1965 la CNUCED conférence des nations unies pour le commerce et le développement. Car la science économique ne connaît que les lois du marché et s'il faut pallier ses défaillances, ces "lois" sont toutefois, aux yeux de ses experts officiels, les moins mauvaises références : il faut tenter de s'en rapprocher. On continue donc aujourd'hui à conseiller aux pays pauvres de suivre les lois du marché, à s'y conformer dans les relations avec les pays riches et on dit à l'Argentine que telle est la voie pour retrouver la santé économique.

Pourtant ces savoir experts et leur application conduisent à "l'horreur économique" (V.Forrester) quotidienne de cette planète hostile et inhumaine car selon les mots même d'un autre prix nobel d'économie Joseph Stiglitz (la grande désillusion) c'est de la "mauvaise" économie. "Le problème n'est pas seulement que la politique du FMI peut être jugée inhumaine par des âmes compatissantes. Même si l'on a aucun souci des populations condamnées à la famine, des enfants dont la croissance va être arrêtée par la malnutrition, et que l'on raisonne en termes purement économiques, c'est -écrit-il- de la mauvaise économie". On ne saurait taxer quelqu'un comme Michel Camdessus de mauvaises intentions ou de mauvaise volonté et pourtant il était aux commandes de ce FMI quand la crise Asiatique s'est étendue à la Russie.

La réalité c'est que les savoirs économistes actuels ne sont pas pertinents. Et de fait les pays occidentaux riches ne les respectent pas dans les faits. L'OCDE n'offre même pas la moitié des 0,7% de son PNB comme aide aux pays du tiers-monde mais offre 1,6% de ce PNB comme subventions - hors marché- à ses propres agriculteurs. Le président Bush vient de décider d'augmenter ces subventions; les trente glorieuses en Europe ont vu la construction européenne avec pour principale réalisation, la politique agricole commune qui engloutissait l'essentiel du budget communautaire. Les industries textiles des pays riches ont été fortement protégées au cours de toute cette période vis à vis des importations en provenance de pays pauvres; dans le même temps on les accuse de dumping social et de concurrence déloyale, parce que les salaires et la couverture sociale dans ces pays sont trop faibles: bref il leur est reproché… de ne pas être "riches".

Face à tout cela certains sont révoltés et se lancent dans des campagnes de protestations qui remettent en cause l'ordre des pays riches, mais ces campagnes se déroulent également au sein de ces pays riches. De multiples tentatives de créer des isolats qui échappent grâce à la solidarité de proximité aux plus grandes horreurs sont menées à bien mais cela ne saurait "sauver" que quelques uns d'entre nous. On entend aussi souvent de multiples "y a qu'à".

En fait les problèmes sont extrêmement complexes et la construction passée des savoir en particulier d'une connaissance économique sophistiquée mais exclusivement disciplinaire, où on n'analyse que le strictement économique avec des solutions de type économiques, a abouti à ces savoir experts mais sans pertinence. La réalité imbriquée dans la vie concrète du social et de l'économique est plus marquée par des relations de confiance ou/et de pouvoir. On est loin des liaisons impersonnelles et des comportements rationnels isolés des sphères non économiques que théorise avec rigueur la science économique. Cette science sophistiquée éclaire les prescriptions de ces experts : ils parlent latin mais affaiblissent et menacent de tuer leur malade avec leurs potions.

Il est urgent de reconstruire des savoir sur les activités économiques qui soient pertinents. Cette pertinence ne peut se fonder que sur une construction collective qui transgresse les frontières disciplinaires, en prenant les problèmes sous toutes leurs facettes. Il faut essayer d'adapter, d'hybrider les outils de connaissance disciplinaires existants et tenter d'en forger de nouveaux qui seront "post"disciplinaires. C'est à cette condition qu'on pourra disposer des outils nécessaires pour guider des comportements et des actions en matière économique qui nous fassent avancer vers une planète plus humaine et solidaire, c'est à dire commencer notre développement planétaire.

C'est une tâche urgente et difficile. Un groupe de 500 universitaires, chercheurs et intellectuels originaires de 45 pays et qui ont été formés dans une quinzaine de disciplines de sciences humaines et sociales en sont convaincus et veulent lancer un programme de recherche à cet effet : construire un savoir éthique et politique sur les activités économiques PEKEA (Political and ethical knowledge on economic activities). Le colloque de lancement, parrainé officiellement par l'UNESCO aura lieu du 10 au 13 septembre au siège de la CEPAL à Santiago. C'est une lueur d'espoir pour améliorer nos capacités à rendre la planète humaine et solidaire.

Marc Humbert
Président comité de Pilotage PEKEA,
Professeur à l'Université de Rennes 1.