Troquer, marchander, échanger : le langage du marché

M.Renault

 

Maître de Conférences

Faculté des Sciences Economiques-Université de Rennes I

 

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A priori, la communication apparaît comme une notion totalement étrangère à l’économie qui semble souvent ne prendre en compte que des individus isolés et dotés d’une information parfaite. Ainsi, comme le soulignait W.S.Jevons : " Chaque esprit est […] impénétrable pour tout autre esprit ". Or, si on considère de plus près la tradition économique et le développement de ses différents courants de pensée, on s’aperçoit que les questions de la communication, de l’intersubjectivité qu’elle implique, du " concernement " pour les idées, sentiments, actions…des autres apparaissent et réapparaissent de façon constante. En effet, les questions de l’ordre social, de la genèse d’un accord entre individus, de l’émergence de normes, de conventions et d’institutions, ainsi que, de façon plus évidente, celle de l’échange, sont centrale pour la théorie économique. La problématique de la coordination des comportements individuels apparaît de cette façon comme récurrente de A.Smith à la théorie des jeux. Ces problèmes de coordination , dans une large mesure, constituent des problèmes d’établissement de conventions, de significations partagées, entre individus participant à une interaction; l'échange ou le troc en constituant de bons exemples. Dans ce cadre, un langage commun représente un pré-requis à la fois pour l'échange et pour l’établissement de telles conventions [Field 1993 p.205 ; Lewis 1993 p.11-12]. Ce " langage commun " permet la " compréhension mutuelle " fondamentale dans tout problème de coordination [Habermas 1987b p.429]. L’économie étant une science traitant des interactions collectives, ces interactions peuvent être envisagées comme des communications car elles se réalisent par la médiation de signes et de symboles (la monnaie par exemple). On peut alors envisager l’économie comme l’a souligné P.Livet comme l’une des disciplines ayant pour objet la " communication collective " [Livet 1992 p.449].

 

L’objet de cette conférence sera ainsi centré sur cette question de la coordination des comportements dans l'échange et sur la nécessaire intersubjectivité qu’elle implique, et cela notamment par l’intermédiaire de mécanismes d’identification. Dans ce cadre mon intérêt portera sur la formation de " mondes communs " à partir du concept de communication entendu au sens de G.H.Mead comme " Tout ce qui inter-relie la conduite des menbres de la société et qui devient de ce fait des symboles dans leur esprit ". Une approche communicationnelle me semble en effet permettre de mettre en évidence le fait que la signification des termes impliqués dans chaque accord, dans chaque système d’interaction, découle des interactions communicationnelles autant qu’elles les précède. On retrouve alors la problématique actuelle de " l’économie des conventions " [Dupuy et Al. 1989] qui a souligné que les règles, les normes…sont à la fois des " cadres pour " et des " produits de " l’action et qu’elles s’interprètent plus qu’elles ne s’appliquent. Je montrerais que cette problématique générale est intrinsèque à l’économie politique dès son origine puisque A.Smith dans la " Théorie des sentiments moraux " la met en scène. Il soulignait alors que les acteurs économiques sont des êtres moraux ayant intériorisé les contraintes sociales dans leurs consciences individuelles en particulier par l’intermédiaire d’un processus d’identification. Le processus de socialisation, d’habituation, qui conduit à des " identités sociales intersubjectivement définies " (intersubjectively defined social identities) [Cosgel 1992 p.375] constitue au sens de Mead un processus de communication et la sympathie smithienne apparaît alors comme centrale. Ainsi que l’a affirmé plus tard le sociologue américain C.H.Cooley : " Converser avec autrui, par l’intermédiaire de mots, de regards, ou d’autres symboles, signifie avoir plus ou moins de compréhension ou de communion avec lui, avoir des références communes et partager ses idées et sentiments. Si on utilise le terme sympathie dans cette acception (…) on doit garder à l’esprit qu’il dénote le partage de tout état mental qui peut être communiqué, et n’a pas la connotation spécifique de pitié ou autre " émotion sensible " qu’il traduit de façon commune dans le langage courant " [1922 p.136].

J'examinerais successivement trois points: tout d'abord le rôle de la communication, via l'opérateur de sympathie, dans l'appréhension de l'échange et du "langage du marché" chez Smith, ensuite je présenterais la reformulation par le père de l'interactionnisme symbolique G.H/Mead de la perspective smithienne et enfin je montrerai les correspondances de cette approche avec les perspectives de deux économistes institutionnalistes américains: T.Veblen et J.R.Commons.

 

 

I-Les sentiments moraux et la grammaire sociale

 

Dès l’origine de l’économie politique, la coordination des comportements au sein d’un ordre " raisonnable " a constitué une problématique importante, il s’agissait en particulier de comprendre comment un ordre social stable pouvait émerger dans un cadre de concurrence générale entre les individus du fait de la rareté constitutionnelle. La " Théorie des sentiments moraux " de Adam Smith, le père fondateur de l’économie politique, se situe dans la perspective générale de la régulation des passions et s’inscrit dans la filiation des travaux de D.Hume concernant ce sujet. Par l’intermédiaire des notions de sympathie et de spectateur impartial, la communication avec les autres constitue alors une figure centrale de la genèse d’un ordre social, d’un accord des volonté et un pré-requis pour l’échange économique. La " présence des autres " dans l’esprit individuel constitue ainsi un mécanisme régulateur des passions, en particulier parce qu’il résulte d’un processus de socialisation et d’habituation conduisant à l’intériorisation de la société et de ses normes. Il n’est donc pas étonnant que G.H.Mead, le fondateur de la perspective moderne sur la communication, voyait en A.Smith le père fondateur de la psychologie sociale [Joas 1985 p.47]. On le verra, c’est en ce sens que les approches de Hume et de Smith rejoignent les perspectives pragmatiques et institutionnalistes en économie.

Dans la " Théorie des sentiments moraux " A.Smith expose sa conception de l’individu et montre qu’il est un être " moral " dont les jugements et les comportements sont déterminés dans le cadre des interactions avec la communauté. Dans une large mesure, l’individu smithien n’existe que par rapport au social [Dow 1990 p.153-154]. Le concept central de la " Théorie des sentiments moraux " est celui de sympathie dont l’importance pour la philosophie politique, la sociologie et l’économie n’est plus à démontrer. En économie, comme l’a souligné G.Pelletier, c’est en partie par l’intermédiaire de ce concept que s’est opéré un " retour à A.Smith ", en particulier chez des auteurs comme J.Harsanyi ou A.K.Sen [Pelletier 1990]. Ce principe de sympathie est issu de la théorie de la nature humaine de Hume dont Smith était très proche, il représente un principe de communication des " sentiments, émotions, jugements, manières, coutumes, désirs, d’une personne à une autre " [Dupuy 1989 p.152]. D’une certaine façon, il peut être envisagé comme un principe de contagion par l’intermédiaire duquel les croyances, les sentiments, les désirs…des autres affectent (ou infectent) l’individu. On se trouve alors face à une " épidémiologie des représentations " pour reprendre les termes de D.Sperber [1992 p.412], ce qui est caractéristique des phénomènes institutionnels. Par l’intermédiaire d’un tel processus s’opère une transmission, une diffusion, des représentations, des règles de conduites, du cadre normatif qui se généralisent pour former un " monde commun ". Dans un tel cadre, les mécanismes d’identification, d’empathie (au sens moderne), constituent un point central dans ce qui peut être considéré comme une psychologie de l’acte moral (ou social). Par l’intermédiaire du mécanisme de sympathie, l’individu peut se mettre en imagination dans les conditions et sentiments d’une autre personne [Pelletier 1990 p.329]. Dans ce cadre on retrouve bien la conception de D.Hume selon laquelle chaque individu est le miroir de l’autre ainsi qu’il l’écrivait dans le " Traité de la nature humaine " : " […] l’esprit d’un homme est un miroir pour l’autre […] " [Hume 1991 II I-5 p.213]. L’individu social, l’être moral, se forme donc chez Hume comme chez Smith par l’intermédiaire de la présence des autres dans la conscience individuelle [Mathiot 1990 p.18]. Une telle approche anticipe la conception spéculaire et communicationnelle de l’individuation de la version pragmatique de la sociologie de C.H.Cooley, J.Dewey ou G.H.Mead. On trouve bien en effet chez Hume comme chez Smith ce que C.H.Cooley appelait le " Looking glass self " (moi miroir) ("Un moi social de cette sorte peut être appelé le moi réfléchi ou moi miroir " [1922 p.184]). Chez Smith l’individu n’existe que par rapport au social et au mécanisme de communication qui l’institue: "S’il était possible qu’une créature humaine puisse se développer en quelque endroit solitaire, sans communication avec sa propre espèce, il ne pourrait pas plus penser à son propre caractère, au caractère approprié ou non de ses propres sentiments et conduites, à la beauté ou difformité de son esprit, qu’à la beauté ou à la difformité de son visage. Tous sont des objets qu’il ne peut voir aisément, qu’il ne regarde pas naturellement, et en regard desquels aucun miroir ne lui est fourni qui puisse les présenter à sa vue. Amenez le au sein de la société et le miroir qu’il désirait auparavant lui est immédiatement fourni" [Smith 1966 p.162].

Chez Smith, la formation du jugement moral est obtenue par l’intermédiaire d’un processus spéculaire d’interaction et de communication inter-individuelle. L’individu examine ses passions et ses conduites en considérant la façon dont elles lui apparaîtraient s’il se trouvait à la place des autres, ce processus d’intercompréhension est évidemment central dans la formation de cadres communs de pensée et d’action, dans la coordinations des comportements, dans la recherche d’un accord, dans l’échange économique et dans le cadre des processus d’anticipations. On comprend également pourquoi certaines théories modernes de la justice font de ce " concernement" pour les autres un élément d’intérêt. Pour Smith : "Nous nous supposons nous même le spectateur de notre propre comportement, et entreprenons d’imaginer quel effet, sous cet éclairage, il produirait sur nous. C’est le seul miroir (looking glass NdT) par l’intermédiaire duquel nous pouvons, dans une certaine mesure, avec les yeux des autres, examiner soigneusement le caractère approprié de notre conduite" [Smith 1966 p.164]. La personnalité se trouve alors divisée en deux parties: l'une qui examine et qui juge et que Smith désigne par la métaphore du "spectateur impartial" et l'autre qui est jugée et examinée. Le "spectateur impartial" représente la contrainte sociale intériorisée par l'individu au cours du processus de socialisation et nous sommes alors en présence d'un "modèle mental partagé" par l'intermédiaire duquel les individus peuvent, avec un minimum de sécurité, anticiper les réactions des autres et adapter ainsi a-priori leur conduite au sein d'un système d'action. L'existence de mondes communs d'ordre cognitifs ou sociaux permet ainsi d'assurer un point central dans l'analyse de Hume: la sécurité des "attentes" largement développée dans le Traité de la nature humaine dans une perspective qui sera également celle de Commons.

La sympathie apparaît donc comme un mécanisme de communication collective par l’intermédiaire duquel la société exerce une contrainte sur la conduite de l’individu en particulier par le fait de la nécessité de l’approbation de la conduite ou des opinions par les autres, le spectateur impartial en étant une représentation. R.Sugden [1989 p.95] soulignait ainsi récemment que ce désir d’approbation des autres est l’un des mécanismes transformant des conventions (informelles) en institutions (formelles). Cependant, les concepts de sympathie et de spectateur impartial soulèvent des problèmes dont Smith était conscient : les vues de l’humanité sont partielles et incomplètes et l’examen complet des opinions d’autrui tout comme la prise successive des rôles des autres est impossible et conduirait à des révisions incessantes [Smith 1966 p.224]. La nature n’a pas laissé ce problème sans solution selon Smith, en effet : " Nos observations continuelles concernant la conduite des autres nous amène insensiblement à nous former pour nous même certaines règles générales au sujet de ce qu’il est adapté et approprié soi de faire soi d’éviter" [Smith 1966 p.224] et " c’est ainsi que les règles générales de moralité sont constituées ". L’existence de règles générales, formées par l’intermédiaire d’un processus d’interaction avec les autres, repose donc sur ce processus d’approbation et de désapprobation que l’on retrouve sous une autre forme chez G.H.Mead. Pour Smith, les actions ne sont pas approuvées ou désapprouvées selon leur accord à-priori avec une règle générale mais au contraire : "La règle générale (…) est formée en apprenant par l’expérience que toutes les actions d’un certain type ou accomplies en certaines circonstances sont approuvées ou désapprouvées" [Smith 1966 p.224]. Une fois les règles générales bien établies et diffusées elles peuvent être regardées comme des "standards de jugements" et dans ce cas, dans une certaine mesure, les conventions deviennent des institutions formalisées extérieures et objectivées par rapport aux individus et au processus de leur formation. Ces "standards de jugements", comme par exemple les règles de justice, peuvent alors être comparées à des "règles grammaticales" [Smith 1966 p.250]. Pour Smith comme pour Hume, seules les conventions et les institutions déterminent la nature individuelle de l'homme; Le comportement moral n'est pas relatif à un ordre inné mais est relatif à l'approbation de la société matérialisée au sein de l'individu par la métaphore du "spectateur impartial" [Joas 1991 p.63]. De la même manière que chez Hume, la règle générale émerge à partir d'un processus d'apprentissage social dont le but est de fixer des habitudes de vie. Selon D.Hume, ce n'est pas la raison qui donne naissance aux institutions mais l'habitude et l'éducation (et l'imagination). Il faut bien comprendre en effet qu'au sein du processus social du fait de sa nature "contagieuse" la raison tient, au moins dans un premier temps, peu de place relativement à la disposition naturelle des hommes à communiquer: "Cette disposition naturelle à accommoder et à assimiler autant que nous le pouvons nos propres sentiments, principes et sensations à ceux que nous voyons établis et enracinés chez les personnes avec lesquelles nous sommes obligés de vivre et de converser fréquemment, est la cause de l’effet contagieux d’une bonne ou d’une mauvaise compagnie" [Smith 1966 p.329]. Le processus décrit par Smith dans la théorie des sentiment moraux (et dans la richesse des nations) est donc celui d'une intégration sociale progressive fondée sur la communication. C.H.Cooley a ainsi parfaitement résumé, me semble t-il, la perspective de Smith : " Il apparaît ainsi que la sympathie, dans le sens de partage mental ou de communication, n’est pas une question simple, mais qu’elle est si essentielle que cela suggère que quand nous comprendrons de façon approfondie l’expérience sympathique nous serons capables de comprendre l’ordre social lui-même. Un acte de communication est un aspect particulier du tout que nous appelons société, et reflète nécessairement ce dont il constitue une partie caractéristique. Etre en relation avec un ami, un supérieur, un ennemi ou encore un livre est un acte de sympathie ; c’est précisément en la totalité de tels actes que la société consiste. Même les plus complexes et les plus rigides institutions peuvent être considérées comme consistant en innombrables influences interpersonnelles ou actes de sympathie, organisés dans le ces des institutions, en un tout défini et persistant au moyen de quelque système de symboles permanent tels que des lois, des constitutions, des écrits sacrés…dans lesquels les influences interpersonnelles sont préservées" [1922 p.166-167]. Dans ce cadre l'économie se trouve en continuité avec les autres activités sociales et l'échange de biens représente une modalité de communication. Smith a ainsi bien souligné que l'aptitude des hommes à penser et à s'exprimer, par l'intermédiaire du langage, est probablement le fondement de leur propension à l'échange [Joas 1991 p.73]. C’est en effet ce qu’affirme Smith dans le chapitre II de la " Richesse des nations " et il développe alors la rhétorique de la transaction économique. L’aspect linguistique de l’échange, du marchandage, qui a lieu sur le marché est lié à une inclination naturelle à la persuasion. Selon V.Brown [1994 p.68], le sens de la transaction marchande est de persuader l’autre : " L’offre d’un shilling, qui nous apparaît avoir une signification si claire et si simple, est en réalité l’offre d’un argument pour persuader l’autre de faire en sorte d’agir conformément à son intérêt " [A.Smith cité par V.Brown 1994 p.68]. La transaction envisagée en ce sens rhétorique se retrouve également chez J.R.Commons, nous y reviendrons. Pour Smith, le marché apparaît comme un système général de communication unissant les hommes autour d'un langage spécial, ayant ses "règles de grammaire", celui de l'échange de biens. Le langage du marché est cependant d'une nature particulière.

Le marchandage, en effet, apparaît comme un processus d'influence, de persuasion, de dispute…qui précède l'échange lui-même. Comme le souligne V.Brown [1994, p.68], dans les "Lectures on jurisprudence" Smith reconnaît l'influence de la persuasion. Les aspects linguistiques des transactions marchandes sont reliés à la persuasion. Le discours oratoire ou rhétorique cherche à persuader à n'importe quel prix et cela est connoté péjorativement chez Smith. On trouve ainsi chez lui une opposition classique entre la rhétorique et le discours didactique qui recoupe l'opposition entre rhétorique et philosophie: la philosophie cherche la vérité alors que la rhétorique cherche la persuasion, à amener l'autre à son point de vue; elle obéit donc à une logique instrumentale en tant qu'outil pour atteindre des buts propres. Il faut noter que cette conception n'est pas neutre pour l'appréhension économique de l'échange. L'opposition classique entre philosophie et rhétorique, entre raison et intérêt, conduit à disqualifier le "langage des places publiques", le "langage du marché" et à privilégier l'idéal d'un langage pur fonctionnant comme un simple vecteur dont l'idéal serait la transparence (nous y reviendrons), l'échange est alors réduit à une simple "transmission" (ce qu'on retrouvera chez Jevons, Walras ou Fisher). Les ambivalences du langage, son pouvoir figuratif, les conflits d'interprétation qu'il génère…sont conçus comme potentiellement dangereux.

On trouve ainsi chez Smith et chez d'autres économistes comme Cantillon ou Turgot, une distinction entre un marchandage "honnête" qui représente la traduction sur le marché d'un processus idéal par l'intermédiaire duquel certains résultats que l'on peut déterminer théoriquement (les "vrais prix", les taux "naturels") sont objectivés sur le marché. Les transactions marchandes, bien que nul n'en ait conscience, ne feraient ainsi que traduire des conditions objectives. Cette distinction entre réalité et abstraction est me semble t-il fondamentale pour comprendre les développements de l'analyse économique depuis Smith. La distinction établie par Smith entre le prix "naturel" et le prix de marché s'inscrit dans cette perspective. Le marchandage est ainsi réduit à n'être que le moyen par l'intermédiaire duquel les lois inévitables du marché sont rendues manifestes. Le prix final est atteint par un processus au terme duquel les échangistes découvrent qu'un seul prix est possible. Le marchandage en tant que tel devient invisible ou transparent puisqu'il n'a pas en lui même d'effet sur les valeurs finales. Le langage du marché apparaît donc comme un médium transparent par l'intermédiaire duquel le "vrai" résultat est atteint. Cela correspond bien à la conception classique du langage comme un mécanisme transparent permettant la communication de la pensée d'un individu à un autre individu [Brown 1994 p.74]. L'opérateur de sympathie, dans son acception communicationnelle, correspond également à cette perspective de transparence généralisée. La concurrence devient ainsi un mécanisme abstrait qui ouvre la voie aux analogies mécaniques, comme par exemple la balance de Jevons réduisant le troc à un "pesage" ou le mécanisme de Fisher réduisant le marché à un système de vases communicants. Peut être faut-il y voir également une des raisons de la négligence de la monnaie dans de larges pans de l'analyse économique (la monnaie est un voile). Celle-ci en effet par ses dimensions linguistiques et symboliques contrecarre cet idéal de pureté et de transparence [Wennerlind 2001].

 

II-Sympathie et communication chez G.H.Mead

 

La conception communicationnelle de la sympathie est particulièrement apparente dans la reformulation du principe smithien de sympathie par G.H.Mead et dans la conception institutionnaliste du système économique qui se fondent sur la philosophie pragmatique et la psychologie sociale.

 

Chez G.H.Mead, le passage de l'interaction médiatisée par des gestes à l'interaction médiatisée par des symboles transite par un processus d'ajustement qui se traduit par le fait de prendre l'attitude de l'autre ("Taking the attitude of the other"), la filiation avec Smith devient alors claire comme l'ont fait remarquer L.Boltanski et L.Thévenot [1991 p.81-82]; un chapitre de l'ouvrage principal de Mead "Mind, self and society" s'intitule d'ailleurs "La nature de la sympathie". La socialité se définit alors comme la capacité d'être plusieurs individus (ou éléments) à la fois [Joas 1985 p.182]. Selon Mead: "C'est seulement dans la mesure où il assume les attitudes de son groupe social organisé envers l'activité sociale coopérative, ou envers l'ensemble de telles activités dont le groupe s'occupe, qu'il développe un soi complet ou qu'il possède le soi qu'il a en fait réalisé. A leur tour, les processus coopératifs complexes, les activités et fonctionnements institutionnels de la société humaine organisée ne sont possibles que dans la mesure où tout individu qui y est compris peut prendre les attitudes générales de tous les autres individus à l'égard de ces activités, processus et fonctionnements institutionnels et à l'égard du tout social organisé des relations et interactions d'expériences ainsi constituées, et dans la mesure aussi où il peut diriger sa propre conduite en conséquence" [Mead 1963, p.132]. Par l'intermédiaire de ce processus d'intériorisation, la communauté exerce un contrôle sur l'individu: "C'est sous la forme de l'autrui généralisé que le processus social affecte le comportement des individus qui y sont engagés ou qui le réalisent, c'est à dire que la communauté exerce un contrôle sur la conduite de ses membres" [Mead 1963 p.132]. L'autrui généralisé de Mead joue donc le rôle du spectateur impartial de Smith et le processus d'évaluation inhérent à l'échange est en partie socialement déterminé.

Dans la constitution d'un ordre social une étape importante est franchie lorsque la réaction de la communauté vis à vis de l'individu prend une forme institutionnelle. La communauté agira alors de façon identique quel que soit l'individu en question, dans le cadre analytique pragmatique-institutionnaliste on passe alors des habitudes aux coutumes, et on pourrait dire des conventions aux institutions; pour Mead "c'est ainsi (...) que se forme l'institution" [Mead 1963, p.142]. De cette façon, comme le souligne J.Habermas, l'évolution qui mène de l'interaction médiatisée par des gestes à l'interaction médiatisée par des symboles s'accompagne de la constitution d'un comportement régi par des règles et on retrouve la conception des règles de L.Wittgenstein, la notion de règle impliquant une signification identique et une valeur intersubjective. L'émergence de règles implique donc l'existence d'une convention signifiante (un monde commun) et celle d'un regard critique (l'autrui généralisé) [Habermas 1987a, p.23,58]. Pour Mead, "(...) une institution n'est rien de plus que l'organisation des attitudes que nous portons tous en nous, c'est à dire les attitudes organisées des autres qui contrôlent et déterminent la conduite" [Mead 1963,p.179]. Prendre l'attitude d'autrui est pour Mead nécessaire au développement de l'activité coopérative, et ce phénomène lui-même s'inscrit dans le cadre plus général de l'activité communicationnelle en partie via les mécanismes d’identification: "Ce qui crée les devoirs, les droits, les coutumes et les institutions variées de la société humaine (…) est la capacité de l’individu humain à assumer l’attitude organisée de la communauté vis à vis de lui-même aussi bien que vis à vis des autres " [Mead 1936 p.625]. Le successeur de G.H.Mead, H.Blumer (qui a forgé le terme d'interactionnisme symbolique) a mis l'accent sur le fait que c'est le processus social d'interaction qui crée les règles et les maintien et non les règles qui créent ou maintiennent le processus social. On peut alors résumer l'approche interactionniste par trois propositions de H.Blumer [Bange 1992 p.19]:

-les hommes agissent vis à vis des choses et des événements sur la base des significations que ces choses et ces événements ont pour eux

-choses et événements ont une signification toujours dans le contexte d'une interaction, non "en soi" (il n'existe pas de "monde pur" indépendant du contexte)

-les significations changent constamment dans des processus interprétatifs permanents.

Ces propositions me semblent éclairer de façon simple la genèse et le rôle des institutions et des conventions et elles sont implicites dans la genèse de tout accord, par exemple l'échange économique.

Le cadre d’analyse posé par Mead s’applique bien à la prise en compte de l’échange économique comme il le souligne lui-même. Le processus économique est envisagé comme un processus linguistique; dans l'échange un individu donne ce dont il n'a pas besoin contre ce dont il a besoin: "Ces besoins réciproques qui fondent la communication, et les intérêts communs, fondent l'échange" [Mead 1963 p.246]. Le processus économique apparaît ainsi comme "(...) un processus lent d'intégration sociale qui unit les individus de plus en plus étroitement. Il ne les unis pas spatialement ou géographiquement, mais il les rapproche par la communication" [Mead 1963 p.247]. L'échange économique suppose une identification d'un individu désirant échanger avec un autre individu qui a quelque chose à échanger avec lui. La sympathie intervient dans le schéma de Mead comme un processus général de communication sous une forme similaire à celle envisagée par Smith: la sympathie, l'identification à autrui essentielle dans l'échange implique la création de conventions, de règles communes: "(...) dans le processus économique, l'individu s'identifie aux clients possibles avec lesquels il pratique l'échange et (qu') il cherche sans arrêt à établir avec eux les moyens de communication qui feraient réussir ce processus" [Mead 1963, p.252]. La perspective de Mead apparaît alors proche de celle de Simmel (la monnaie étant envisagée à la fois comme un " flux de langage " et un " stock de symboles " [Hutter 1994b p.98]) quand il écrit : " Comme on l’enseigne en économie, l’argent n’est rien de plus qu’un geste, le symbole d’une certaine richesse. C’est le symbole d’un objet désiré par les individus qui veulent bien faire l’échange ; les formes d’échange sont alors les méthodes de conversation : les moyens de commerce deviennent les gestes qui nous permettent de réaliser, à de grandes distances, ce processus de donner quelque chose qu’on ne veut pas pour obtenir quelque chose qu’on désire en assumant l’attitude d’autrui. Dans le processus d’échange, ces signe de richesse sont donc des gestes ou des symboles comparable à ce qu’est le langage dans d’autres domaines " [1934 p.248] et dans ce cadre " Tout le processus dépend de l’identification à autrui " [Ibid. p.275]. La réussite de ce processus économique élémentaire nécessite selon Mead une identification de plus en plus complète à autrui et donc une liaison de plus en plus intime avec autrui. Le processus économique serait donc soumis à une évolution corrélative à une détermination de plus en plus complète de l'échange, c'est à dire à une généralisation et à une abstraction croissante: il faut que l'échange tende vers la transparence et l'équivalence la plus totale possible, ce qui est en cause est alors l'aspect "semblable" des règles selon la perspective de L.Wittgenstein [Habermas 1987a p.25]. Cette "transparence" signifie l'établissement d'une signification commune des termes de l'échange afin de dépasser les conflits d'interprétation qui peuvent, sans cela, sans cesse survenir et altérer de ce fait l'interaction [Denzau & North 1994 p.20]: la monnaie représente sans doute l'exemple le plus évident d'un tel processus de détermination permettant d'assurer la sécurité des échanges et d'éviter les conflits d'interprétation autour de l'équivalence. Ainsi pour Mead, "Apporter sur le marché est un processus qui ne peut se développer que par le perfectionnement des moyens de communication. Le langage qui sert à l'exprimer est celui de l'argent. Le processus économique continue sans cesse à rapprocher les gens en développant les techniques économiques ainsi que le mécanisme linguistique nécessaire" [Mead 1963 p.255-256]. Cette conception est, ici encore, proche de celle de G.Simmel (et de Smith) selon laquelle l'individu connaît les autres par analogie, mais une connaissance complète supposerait une identité complète ce qui laisse la place à l'incertitude et à l'émergence de nouveauté, l'autre est ainsi perçu comme "généralisé" [Simmel 1986 p.28]. Une parfaite détermination du système serait équivalente à la mise en place d'un pur discours logique: "Si l'on pouvait élever à la perfection théorique ce système de communication l'individu s'affecterait lui-même comme il affecterait autrui. Ce serait l'idéal de la communication, idéal qu'on atteint par exemple dans le discours logique où on se comprend. La signification de ce qu'on dit est ici la même pour soi que pour tout autre" [Mead 1963 p.276]. L'idéal de la communication serait donc la transparence qui assure la coordination parfaite des comportements individuels..

 

Dans cette lignée, l'institutionnalisme américain, qui s'est inspiré de la tradition pragmatique a lui aussi présenté une approche communicationnelle du monde des biens et de l'échange.

 

 

III-Le langage des biens et les transactions: T.Veblen et J.R.Commons

 

T.Veblen a été largement influencé par la perspective pragmatique, même si elle ne peut résumer la somme de ses influences. La définition des institutions comme des " habitudes de pensée " ou encore comme des " complexes organiques d’habitudes de pensée " [1961 p.7] est ainsi largement similaire à celles qu’on retrouve dans les analyses économiques ou sociologiques issues du pragmatisme. Ainsi pour C.H.Cooley [1909 p.314] : " Au sein de l’individu l’institution existe en tant qu’habitude de pensée et d’action, largement inconsciente parce que largement commune à tout le groupe ". On retrouve également chez Veblen le processus d’évolution par l’intermédiaire d’un " travail adaptatif " déjà décrit chez Dewey ou Cooley : " L’évolution sociale est un processus d’adaptation sélective du tempérament et des façon de penser ; ce sont les conditions de la vie qui poussent les hommes à s’adapter. L’adaptation des façons de penser, c’est le développement même des institutions " [Veblen 1970 p.140]. C’est sans doute dans l’analyse de la consommation que Veblen a le mieux décrit le rôle et l’influence des institutions en tant que " grammaire sociale ", même si son analyse apparaît parfois comme largement datée. Comme le souligne R.E.Babe [1994, préface] : " Dans la Théorie de la classe de loisir Veblen a initié une analyse embryonnaire des propriétés communicationnelles ou symboliques des biens de consommation, un aspect qui suscite un intérêt croissant aussi bien chez les anthropologues culturels que chez les économistes institutionnalistes ". La Théorie de la Classe de Loisir apparaît en effet comme une analyse des " institutions de consommation " c’est à dire de " systèmes de règles socialement construits qui génèrent des régularités dans le comportement de consommation des individus " [Cosgel 1997 p.153]. L’économie, l’échange de biens, apparaît ainsi comme un monde de signes et de symboles dans lequel les préférences individuelles sont modelées et influencées, au moins partiellement, par le regard des autres. Les biens constituent ainsi des composantes de l’identité, du statut, de la connaissance, du comportement de chaque agent, aussi bien par leurs caractéristiques physiques que par leurs caractéristiques sémiotiques, symboliques et informationnelles [Parker 1994 p.72]. Les préférences individuelles sont donc déterminées dans le cadre des interactions sociales, en particulier via des mécanismes d’approbation et de désapprobation. La critique véblénienne des " robinsonnades " des économistes marginalistes repose ainsi sur le simple constat qu’à partir du moment ou on quitte l’île, les choix individuels de mots ou de consommation font immédiatement face à l’examen des autres, le " miroir social " contribuant en retour à définir l’identité individuelle. De cette façon : " […]les préférences sont déterminées dans le cadre d’interactions sociales " [Cosgel 1994 p.15]. Les préférences ne peuvent donc être considérées comme purement subjective par ce fait même. L’environnement social, la " matrice sociale " de Dewey, fournit aux individus des significations partagées, des codes, qui influencent largement leurs actions. Dans un tel cadre " Chaque individu a besoin d’une identité pour une existence ayant un sens, mais d’une identité socialement confirmée " [Cosgel 1992 p.374]. La consommation de biens s’inscrit donc bien dans le schéma de la construction communicationnelle de l’identité mise en scène par Cooley et Mead. Par l’intermédiaire de sa consommation, de ses échanges, de ses évaluations, l’individu dit quelque chose aux autres et en attend une réponse, une approbation, qui lui permet ou non de confirmer son identité, de la modifier. Par ce mécanisme également la société devient présente dans l’esprit individuel. La perspective de Veblen s’inscrit donc bien dans le cadre de certaines approches contemporaines mettant en avant le rôle communicationnel de la consommation. Ainsi pour M.Douglas et B.Isherwood [1979 p.95] : " Nous ne pourrons jamais expliquer la demande en considérant uniquement les propriétés physiques des biens. L’homme a besoin des biens pour communiquer avec les autres et donner une signification à ce qui se passe autour de lui ".

Pour conclure sur ce point, il faut voir que les institutions de consommations s’inscrivent également dans le cadre de notre propos initial. En effet, les institutions de consommation en fournissant des codes communs, des significations communes, une " connaissance commune ", facilitent la coordination des comportements individuels. Comme le soulignent Cosgel et Langlois [1998 p.112], les transactions économiques relèvent de la rencontre des routines (habitudes) établies par les producteurs et de celles établies par les consommateurs. Le problème de la production devient alors un problème de coordination : " […]découvrir-ou plutôt aider à créer- une structure interpersonnellement partagée de transactions. De la même façon que la conversation ne peut prendre place sans structures de significations partagées, la transaction ne peut avoir lieu dans un vide institutionnel ". L’analyse de Commons se situe dans cette perspective générale et son intérêt porte surtout, en ce qui concerne notre propos, sur l’échange économique (la transaction) qui met en jeu la communication et l’intersubjectivité.

Dans l'approche de Commons le concept principal est sans doute celui de transaction qui doit remplacer le concept d'échange, qui selon lui revêt une connotation mécaniste, comme unité fondamentale d'investigation pour la théorie économique. Les individus qui participent à des transactions sont comme chez Smith, Hume et Mead des individus "moraux", socialisés, qui sont unis par des représentations communes et un langage commun, ainsi "(...) l'unité ultime d'activité qui établit une corrélation entre la loi, la théorie économique et l'éthique, doit contenir les trois principes d'ordre, de conflit et de dépendance. Une transaction, avec ses participants, est la plus petite unité de l'économique institutionnaliste" [Commons 1934 p.58]. Ce concept mérite d'être explicité, au moins brièvement.

En effet, dans l'appréhension de la notion de transaction, Commons met l'accent sur un certain nombre d'éléments soulignés également par l’école française de l’économie des conventions: les notions de négociations, de stratégie, de processus et le rôle des acteurs dans la production des liens sociaux. On retrouve bien alors la considération de la transaction comme un processus social chez Commons celui-ci soulignant que les participants aux transactions sont insérés dans trois types de relations sociales:

-le conflit, qui est lié à la rareté et à des intérêts conflictuels dans la propriété des droits.

-La dépendance, liée à l'incomplétude des individus dans un système où règne la division du travail.

-L'ordre, qui est lié à la nécessité d'assurer la sécurité des anticipations.

On comprend déjà à travers ces éléments la proximité (qu'il revendique) de l'analyse de Commons avec celles de Hume et de Smith. Ainsi, l'appréhension de la notion de transaction par Commons met en jeu un système de relations sociales qui surdétermine chaque transaction particulière.

Le concept de transaction est un concept relationnel: dans un sens les transactions représentent des "parties" dont l'organisation ou le système d'action (going concern) constitue la "totalité" de référence. L'organisation, ou l'institution, impose donc des contraintes au déroulement des transactions. D'un autre côté, la transaction représente une "totalité" puisqu'elle découle d'un processus d'adaptations mutuelles, d'anticipations croisées, des agents qui aboutit à un "accord dans l'action" concernant un transfert de droits de propriété [Ramstad 1986 p.155]. En tant que processus de "travail adaptatif" (adaptive working), la transaction est un processus d'organisation qui relie entre elles des parties.

Il faut noter également dans ce cadre que Commons met l'accent sur les problèmes de coordination qui sont sous-jacents au déroulement des transactions, et en particulier selon une orientation proche de celle de Hume sur les "attentes". Un système d'action (going concern), comme il le souligne dans Institutional Economics, n'est en effet rien d'autre que l'attente jointe de transactions de marchandage, d'administration et de répartition garanties par des "règles de fonctionnement" (working rules). La coordination et la sécurité des attentes implique en effet des règles de fonctionnement qui sont d'ordre social et analytiquement préalables à l'individu comme c'est le cas dans la psychologie sociale de Mead. Ainsi, dans la définition d'un système d'action et de ses règles de fonctionnement, Commons se réfère à D.Hume qui soulignait que trois conditions relatives à la propriété sont absolument nécessaires pour assurer l'ordre social: "La loi de la stabilité de sa possession, la loi de son transfert par consentement, et celle d'accomplissement de la promesse". Dans ce cadre seules les coutumes ou les "lois de statut" peuvent inciter les individus à coopérer au développement d'une organisation ou d'un système d'action [Maucourant 1994 p.144]. L'analyse économique de Commons s'intéresse, via le concept de transaction, à l'échange de droits de propriété et non au simple transfert physique de quantités.

Ainsi, le concept de transaction s'insère dans le cadre d'une approche communicationnelle congruente avec la conception moderne du terme transaction dans les sciences sociales [Hutter 1994a p.312]. Chez Commons, l'aspect matériel de la transaction (l'échange physique de biens) est négligeable par rapport à l'aspect communicationnel: anticipation des agents, définition et transfert des droits de propriété, paiement monétaire, négociation d'un accord, débats, compromis, argumentation, influence, propagande...[Commons 1951 p.28, Vanberg 1989 p.346-347]. Le concept de transaction peut donc être envisagé comme un processus de communication sociale prolongeant le langage [Schmidt 1985 p.89]. Cette approche s’inscrit donc bien également dans la filiation classique du langage du marché évoqué chez Smith. De plus Commons développe une psychologie des transactions qu'il appelle "psychologie négociationnelle".

 

La psychologie négociationnelle évoquée par Commons, est une psychologie sociale, interactionniste, qui ne considère plus les individus comme des objets physiques ou biologiques [Commons 1934 p.91] mais comme des "événements communicationnels" [Hutter 1994a p.311]. L'approche de commons se réfère à la psychologie sociale de Dewey [Commons 1934 p.91] et à la sémiotique de Peirce dont le cadre conceptuel trouve chez Commons une traduction concrète sur le plan de l'action humaine. Ainsi, selon Commons, seule "la psychologie sociale des coutumes" de J.Dewey est capable de fournir un cadre conceptuel adapté à l'analyse des transactions et permettant d'éclairer les relations entre le droit et l'économie [Commons 1934 p.640], les autres types de psychologies n'étant pas relationnelles. Pour Commons, la psychologie sociale de Dewey est un type particulier de psychologie béhavioriste mais le terme "béhavioriste" est ici employé au sens donné par Mead et non au sens mécaniste donné par J.Loeb et J.B.Watson [Harvey & Katovich 1992 p.797]. La psychologie négociationnelle de Commons est en effet orientée vers la compréhension des "processus mentaux" qui conduisent à la formation d'anticipations ce qui, chez lui, est reliée au concept de "futurité" (futurity) [Biddle 1990b p.3-4]. Le concept de futurité, qui prend en compte le fait que les transactions sont orientées vers le futur, possède en effet un aspect psychologique sous la forme des anticipations individuelles: un aspect de la psychologie négociationnelle traite donc des anticipations que forme l'individu à propos du comportement des autres individus participant à l'interaction, il s'agit en particulier d'identifier les "hypothèses habituelles" auxquelles répondent l'action des individus et des groupes. Dans le cadre des transactions, les individus se mettent à la place des autres, il s’agit alors de comprendre leurs " motivations ", leurs " théories ", leurs " philosophies sociales " [ Commons 1934 p.683]. Dans le même ordre d’idée Mead affirmait : " Supposons que nous nous trouvions dans une situation d’affaires. C’est seulement lorsque nous prenons l’attitude de l’autre qui nous offre quelque chose que nous pouvons nous exprimer en acceptant ou en refusant une telle offre " [1934 p.166]. La coutume intervient alors en tant qu' "opinion collective contrôlant l'opinion individuelle" et ces opinions collectives sont "les représentations auxquelles les habitudes de l'individu doivent se conformer si les individus ont à travailler ensemble" [Commons 1934 p.698]. Les coutumes définissent un cadre, un "champ d'opportunité", qui permet aux anticipations de trouver un point fixe ("ce que l'on a de mieux à croire à un moment donné", selon la maxime pragmatique de la "vérité" mise en évidence par Peirce) et d'éviter des anticipations croisées de niveau infini [Orléan 1989, Dupuy 1989]. Dans le cadre des transactions, chaque participant cherche à réduire l'incertitude concernant les actions potentielles de l'autre (ou des autres) [Biddle 1990b p.3]. Chez Commons, les représentations communes, les normes, les institutions, permettent la formation pour l'individu de ce que J.Habermas appelle une "attente de comportement généralisé" [Habermas 1987b p.422] qui revêt deux sens: un sens normatif (les individus sont en droit d'attendre quelque chose, du fait par exemple, de l'existence de règles légales, d'un contrat...) et un sens cognitif (un événement, une action, sont "pronostiqués" ou anticipés). Le cadre de pensée de Commons est donc largement similaire au cadre pragmatiste-interactionniste dessiné par Mead et Dewey..

 

Le concept de transaction se réfère également à la sémiotique de Peirce [Mirowski 1988 p.127]. les problèmes auxquels font face les individus dans les processus d'évaluation relatifs aux transactions sont en effet des problèmes cognitifs. Dans le cadre conceptuel de Peirce, tout acte mettant en jeu des signes ou des représentations doit être analysé en prenant en compte: le signe, l'émetteur du signe, et l'interprète de ce signe. Dans la taxonomie de Commons les émetteurs de signes sont les échangistes actuels, les interprètes sont les échangistes actuels et virtuels et le cadre légal défini la grammaire des représentations, les signes en question sont des contrats, des instruments d'échange [Mirowski 1988 p.127]. Les transactions impliquent donc des conflits d'intérêts et d'interprétation et donnent naissance à des problèmes de coordination. Les processus d'ajustement mutuels (adaptive working), de négociation, d'influence réciproque...ont donc pour objet d'aboutir à une définition commune des signes, à un accord dans l'action. Ce processus aboutit donc chez Commons à la détermination d'un "ordre raisonnable" et plus particulièrement à une valeur raisonnable dans le cadre des transactions économiques [Commons 1974 p.9]. Ainsi, la rationalité comme l'affirmait K.Arrow n'est pas une composante a-priori des individus mais le fruit d'un processus d'interaction social [Atkinson & Reed 1992 p.472]. Le rôle des coutumes et des habitudes est de conférer aux individus un cadre d'interprétation qui circonscrit les conflits, une "grammaire sociale". Cependant dans cette "grammaire sociale" les significations (les "meanings") sont toujours des conventions dirigées vers la détermination d'accords futurs [Dewey 1967 p.106-107]. La fonction des courts de justice est d'assurer le respect des règles issues de la grammaire sociale et de faire converger les processus de négociation si les conflits d'interprétation sur les termes de l'accord sont trop graves pour assurer la coordination "spontanée" des actions. Rien en effet ne garantit l'émergence d'un ordre même si les habitudes, les coutumes, les institutions, circonscrivent à-priori les possibilités de désaccord et en particulier "dictent" en partie les évaluations [Cooley 1918 p.299]. Cependant comme l'ont souligné Mead et De Saussure, un langage n'est pas une structure purement logique et des interprétations nouvelles surgissent sans cesse. Pour Mead [1934 p.169] en effet : " Il existe un langage commun mais chacun peut en faire un usage différent dans chaque nouveau contact avec autrui. Il y a un élément de nouveauté dans une telle reconstruction, grâce à la réaction des individus au groupe dont ils font partie ". L'autre rôle des courts de justice est donc d'institutionnaliser les innovations qui émergent des interactions si celles-ci se révèlent "fonctionnelles" et/ou sont soumises à un processus de généralisation et de diffusion qui aboutit à la formation de nouvelles habitudes et de nouvelles coutumes. La théorie pragmatique de la connaissance de Peirce et Dewey, leur théorie de la "vérité" comme une convention et la conception peircienne du "summum bonum" trouvent donc une traduction concrète dans la théorie des transactions de Commons. Ainsi pour Commons: "Le système de prix est semblable au système des mots ou au système des nombres. Les mots, les prix et les nombres sont nominaux et non réels. Ils constituent des signes et des symboles requis pour les opérations des règles d'action" [Commons 1974 p.9]. En particulier les prix sont le résultat d'une configuration culturellement conditionnée (culturally conditionned pattern) [Hamilton 1953 p.53], ce qu'avait souligné Veblen.

 

 

Le passage du concept d'échange au concept de transaction représente donc le passage de la transmission instantanée de quantités physiques à un processus général de communication impliquant la durée, les anticipations, les coutumes, les règles d'action, les négociations...Le processus d'échange est ici comparable à un mécanisme linguistique reposant sur des conventions de langage. Les agents, que ce soit dans une approche coopérative (telle celle d'Edgeworth) ou non coopérative (telle celle de Walras), doivent en effet être en mesure de communiquer pour négocier et de comprendre la signification des prix "criés" par le commissaire priseur [Field 1993 p.204]. Cette conception est intrinsèquement dynamique et me semble congruente avec l'analyse moderne des institutions [Hodgson 1988, Samuels 1990, Dopfer 1991, Noteboom 1992, Hutter 1994a et b, Cosgel et Langlois 1998].

 

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