Individu et Société : présentation du thème


Ce colloque s'inscrit dans la ligne du programme PEKEA de mise en discussion de quatre blocs de connaissance pour élaborer un nouveau paradigme sur lequel construire un savoir politique et éthique sur les activités économiques. Il constitue donc une étape mais avec sa spécificité propre en prise avec les questions pratiques et théoriques du moment concernant les théories et les pratiques sociales.

Individu et société, une étape dans la constitution d'un programme de recherche

Un premier bloc à défricher pour le projet de programme PEKEA a conduit à apprécier ce qu'est une " bonne société " et à dénier au marché le rôle de dicter ce qu'est la valeur pour ne lui laisser que les prix (auxquels peuvent circuler certaines quantités de marchandises). La valeur sociétale est apparue dans le rôle de la relation humaine, d'un relationnisme (qui d'une manière peut-être restrictive a d'abord été nommé " fraternité ") qui s'est avéré comme conceptualisation et réalité centrales de la création de société.

Le deuxième bloc, à la recherche de quels objectifs assigner à l'activation, au fonctionnement de cette " bonne société " et des avancées possibles en termes de valeur sociétale, nous a amené à chercher quel futur commun il était possible de construire et a mis l'accent sur le devoir de responsabilité vis-à-vis des autres individus, groupes, des générations présentes et futures et de la Nature, au cours de ce processus. Nous avons bien pris conscience de l'écart considérable qui existe entre, d'une part la pensée dominante et le monde tel qu'il est, tel qu'il fonctionne et sur lequel son influence est forte et, d'autre part, cette aspiration à la valeur du relationnisme et au devoir de responsabilité que nous pensons avoir décelé dans une éthique commune. Une éthique de conviction de faire société, une éthique de responsabilité de le faire ensemble.

L'écart tient à nos modes d'organisation bien sûr. Le discours officiel et la préconisation qui paraît la plus pertinente se disent " démocratie " mais ses formes concrètes semblent subordonnées et mises en péril par l'économie, par l' " écocratie ". C'est ce dont nous avons débattu avec ce troisième bloc qui réintroduit le politique, la participation du peuple, c'est-à-dire la citoyenneté, sous des formes qui certes peuvent varier du local au global.

Ce faisant, on se dirige vers le quatrième bloc qui doit nous occuper à Dakar, comment prendre des décisions, comment peuvent s'articuler les comportements individuels et collectifs, comment les comprendre pour que individu et société, société et individu aillent de pair ? Le lien entre néolibéralisme glorifié et hyper-individualisme doit évidemment nous inciter à réfléchir sur les ambiguïtés de l'individualisme contemporain et sur les rapports incertains qu'il entretient avec l'idéal démocratique.


Ambiguïtés éthiques et sociologiques de l'individualisme

Personne a priori ne semble pouvoir contester le droit de tout sujet à se voir reconnaître une identité singulière. Cela est vrai même dans les sociétés les plus traditionnelles (où identité singulière cependant ne veut pas nécessairement dire identité également valorisée). Et il ne fait pas de doute que l'idéal démocratique moderne, y compris dans ses formulations socialistes ou mêmes marxistes (en tout cas chez Marx…), n'ait été un idéal d'émancipation et de réalisation individuelle. Mais il est désormais difficile de ne pas percevoir les dangers d'un individualisme exacerbé.

Comment entendre en effet la " libération " de l'individu ? Dans le sens où Marx disait que le capitalisme avait " libéré " la force de travail, i.e. l'avait privé de toutes les protections sociales et communautaires dont elle jouissait jusque là de façon à la rendre plus aisément exploitable et contrôlable ? Réciproquement, n'est-il pas clair qu'aucun ordre démocratique, et même aucune société humaine vivable, ne peut subsister si les individus libérés ne songent qu'à leur propre libération et à leur seule réussite en perdant tout intérêt pour l'avenir de leur communauté, de la démocratie et du monde (" Après moi le déluge "). Ou encore, s'il est vrai que le néolibéralisme tend à accroître les libertés individuelles, - au moins de ceux qui se retrouvent bénéficiaires de la rente qu'il permet d'accumuler - , il le fait au détriment des libertés collectives, autrement dit de la capacité des peuples à choisir leur destin historique. Devons-nous réellement accepter de voir saccager toute dimension du commun, culture, traditions, communautés, esprit public etc. pour que l'individu devienne roi ?

À l'inverse, pourtant, on ne s'opposera pas aux dérives de l'hyper-individualisme par un appel réactionnaire et autoritaire à faire retour au monde hiérarchisé d'hier. Il y a ici une voie du milieu à définir et explorer, qui fasse droit au désir légitime de l'individuation sans saccager ce qui doit revenir au commun. Et qui, réciproquement, sache respecter les identités collectives et les contraintes qui leur sont inhérentes, sans leur sacrifier les identités individuelles.

Une des premières tâches du colloque de Dakar sera donc de réfléchir, d'un point de vue normatif, aux conditions d'un équilibre retrouvé entre l'individu et sa société et le fonctionnement des activités économiques.
Ceci passe par une approche juridique qui affirme non seulement les droits des individus mais aussi leurs devoirs. L'observation des uns et des autres forme un tout qui peut apparaître comme une exigence fondamentale pour construire une " bonne " société, une société plus fraternelle.


Au-delà du holisme et de l'individualisme méthodologiques ?

Mais cette discussion ne pourra pas avancer sans en recouper une autre, plus directement théorique et épistémologique, la discussion sur la bonne articulation à trouver, en économie politique, en philosophie politique et dans la science sociale en général entre les approches et les positions qui se réclament de l'individualisme méthodologique et celles qui s'énoncent au nom du holisme méthodologique. Entre celles donc, qui tendant à considérer que les sociétés n'existent pas à proprement parler, parce que seuls peuvent être tenus pour sujets de l'action, les individus (les sociétés ne sont alors que le lieu de l'entrecroisement des décisions individuelles), et celles qui posent l'action individuelle comme une résultante, un effet ou une sorte d'épiphénomènes des contraintes collectives. Assurément, à partir de ces points de départ opposés, on trouve dans la littérature savante tout un ensemble de dialectisations et d'essais de composition et de conciliation. Mais ici aussi, comme dans le débat normatif, il faut se méfier des pseudos dialectisations et des accords éclectiques de façade. Une des autres tâches du colloque de Dakar sera donc de se demander comment procéder à un dépassement effectif de ces oppositions largement stériles et trompeuses. C'est à cette condition que l'on pourra réécrire, re-conceptualiser de manière éthique et politique le fonctionnement et la régulation des activités économiques.